LUTTE CONTRE LES ABUS DANS LE DOMAINE DE LA FISCALITE DIRECTE – AU SEIN DE L’UNION EUROPEENNE ET DANS LES RAPPORTS AVEC LES PAYS TIERS* [1]


Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 155

(Année 2008)


Introduction et objectif du présent document

1. A diverses occasions, les discussions du GT ACCIS ont abordé la possibilité de créer des règles anti-abus, et les experts se sont dits favorables à l’introduction de telles règles dans l’ACCIS, mais la question n’a pas encore été traitée de manière systématique. Les services de la Commission se sont donc engagés à présenter un document sur les mesures anti-abus dans lequel ces règles sont analysées de manière exhaustive.

2. La Commission européenne a récemment publié une communication sur « l’application des mesures de lutte contre les abus dans le domaine de la fiscalité directe – au sein de l’Union européenne et dans les rapports avec les pays tiers »[2]. Toute règle anti-abus éventuelle devra être compatible avec les prescriptions du Traité CE. La communication «analyse les principes qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour de justice européenne en vue de susciter un débat plus général sur les réponses qu’il convient d’apporter aux défis qui se posent aux Etats membres dans le domaine concerné »[3]. Elle fournit un cadre utile aux règles concrètes de l’ACCIS mais, de toute évidence, la législation de l’ACCIS doit être plus spécifique et plus détaillée que la communication.

3. En règle générale, les contribuables assujettis à l’ACCIS doivent être libres d’organiser leurs activités économiques de la manière qu’ils jugent la plus bénéfique pour eux. Néanmoins, cette liberté peut atteindre un point au-delà duquel elle ne peut être tolérée par les autorités fiscales.

4. Les règles anti-abus couvrent une grande variété de règles et de dispositions possibles. Certains Etats membres disposent d’une règle anti-abus générale qui peut être applicable à tous les cas d’abus, tandis que d’autres appliquent des règles anti-abus spécifiques afin de lutter contre une pratique spécifique, telles que les règles en matière de sous-capitalisation, les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées (SEC ou « mesures CFC »), ou encore les règles de « switch over » au moyen desquelles l’exonération se transforme en une incorporation des revenus accompagnée de l’imputation d’un crédit d’impôt afin d’éviter la double imposition. La plupart des Etats membres ont à leur disposition des règles anti-abus générales et des règles anti-abus spécifiques.

5. Au cours des dernières années, la CJE a rendu plusieurs arrêts importants dans ce domaine, et plusieurs Etats membres ont été contraints de revoir leurs systèmes. Les modifications ont été effectuées de deux manières : plusieurs Etats membres ont restreint l’application de ces règles aux résidents de pays tiers uniquement ; tandis que d’autres l’ont étendue en vue de couvrir également les situations internes purement circonscrites au niveau national. A cet égard, il convient de noter que « la Commission estime qu’il serait regrettable que, pour échapper à toute accusation de discrimination, les Etats membres étendent l’application des mesures anti-abus conçues pour lutter contre l’évasion fiscale transfrontalière à des situations purement circonscrites au niveau national dans lesquelles le risque d’abus est absolument nul »[4].

Règle anti-abus générale

6. Une règle anti-abus générale pourrait être créée dans l’ACCIS en vue de permettre aux autorités fiscales de requalifier des transactions entièrement artificielles. Toutefois, le contribuable doit toujours être en mesure de pouvoir réfuter cette requalification en apportant la preuve d’une justification économique.

7. La règle anti-abus générale pourrait être instaurée en combinaison avec des règles anti-abus spécifiques, ou sans autre disposition anti-abus. Ces deux options présentent des avantages et des inconvénients.

8. La mise en place d’une simple règle anti-abus générale offrirait un outil flexible aux Etats membres afin de lutter contre les pratiques abusives, mais en même temps ce pourrait être une disposition difficile à appliquer, qui pourrait être interprétée de différentes manières dans les divers Etats membres, introduisant dès lors une part d’incertitude.

9. Si la règle anti-abus générale est accompagnée d’autres dispositions anti-abus plus spécifiques (sous-capitalisation, « switch over », SEC…), la question immédiate concerne le champ d’application de cette règle. Les services de la Commission estiment qu’une telle combinaison fournirait aux administrations fiscales des règles spécifiques simples et faciles à appliquer, visant à lutter contre des cas d’abus spécifiques et bien connus, tandis qu’une règle générale pourrait être appliquée afin de lutter contre tout autre abus éventuel impossible à prévoir au moment de la conception des règles communes.

Dispositions anti-abus spécifiques[5]

10. En lieu et place ou en complément à la règle anti-abus générale, plusieurs dispositions spécifiques pourraient être créées : (i) des règles en matière de sous-capitalisation, ou des règles plus générales visant à limiter la déductibilité des intérêts, (ii) des règles de « switch over » de la méthode d’exonération vers celle de la taxation et de l’imputation d’un crédit d’impôt couvrant l’impôt étranger, (iii) des règles relatives aux SEC (CFC), (iv) des règles permettant la requalification des ventes d’actions en ventes d’actifs afin d’éviter l’abus des règles de consolidation en lien avec l’exemption des revenus de participation financière[6], (v) des règles visant à éviter les doubles déductions éventuelles (« double dips ») dans les situations dites du « sandwich »[7], (vi) des règles éventuelles en vue d’éviter la manipulation des facteurs dans la répartition proportionnelle.

11. Le présent document analysera la manière dont les règles anti-abus susmentionnées pourraient être conçues, bien que d’autres règles anti-abus spécifiques éventuelles puissent être envisageables.

Règles visant à limiter la déductibilité de l’intérêt

12. Les règles traditionnelles en matière de sous-capitalisation ont été conçues de manière à éviter que les contribuables ne se « surendettent » auprès de parties liées situées à l’étranger. Au moyen de ce type de transaction, le contribuable aurait pu déduire le paiement des intérêts et le bénéficiaire n’aurait pas été imposé dans la même juridiction. Ces règles de sous-capitalisation mises en place dans l’UE étaient généralement uniquement applicables aux dettes envers les résidents de l’UE et de pays tiers (pas au niveau national).

13. En outre, un objectif supplémentaire a été ajouté aux règles en matière de sous-capitalisation : ces règles sont à présent conçues non seulement pour limiter les excès d’emprunts transfrontaliers entre parties liées, et donc de déduction d’intérêts comme indiqué ci-dessus, mais aussi pour déterminer si le montant des intérêts payés par la société est excessif (pas uniquement à ses parties liées, mais à tous les créanciers de la société) – c’est-à-dire que la restriction de la déductibilité des intérêts est élargie de manière à inclure les intérêts sur les emprunts envers de tierces parties.

14. Ce phénomène est illustré par les règles récemment introduites par plusieurs Etats membres[8] qui limitent la déductibilité des intérêts à un certain seuil de résultat avant intérêts et impôts (EBIT) ou de résultat avant impôts, intérêts, amortissements et provisions (EBITDA). La justification de ces règles ne figure pas dans les principes fiscaux. Les Etats membres ont jugé l’introduction de ces règles nécessaire afin de protéger les bases fiscales nationales, car ils ont remarqué que leurs sociétés recourent trop fréquemment à un financement par l’emprunt, qu’ils considèrent dicté par un souci d’optimisation fiscale.

15. Lors de la conception des règles de limitation de l’intérêt dans l’ACCIS, plusieurs possibilités peuvent être envisagées :

16. A) Tests EBIT ou EBITDA : les tests EBIT ou EBITDA introduits par les Etats membres permettent généralement aux sociétés de déduire un certain montant d’intérêts déterminé comme suit :

I. les sociétés ne sont autorisées à déduire les charges d’intérêts que dans la limite de leur revenu imposable perçu sous forme d’intérêts ; l’excédent de ces charges ne pouvant être déduit qu’à hauteur d’un montant égal à un certain seuil d’EBIT ou d’EBITDA.

II. L’excédent de charges d’intérêts qui n’est pas déductible pendant la période d’imposition peut toutefois l’être pendant les périodes suivantes, avec la même limite du seuil d’EBIT ou d’EBITDA (report de l’excédent de charges d’intérêts non déductibles).

III. En général, les Etats membres ont conçu certaines règles visant à circonscrire l’application de ces règles à certaines situations : par exemple, un seuil « de minimis », et/ou une comparaison avec le ratio des fonds propres du groupe.

17. B) Limitation des intérêts déductibles selon un ratio d’endettement fixe : lorsque le ratio d’endettement dépasse un certain montant, l’intérêt versé qui correspond à l’excès de dette peut être non déductible ou requalifié en dividendes.

18. C) Limitation des intérêts déductibles selon les principes de pleine concurrence (Arm’s length principle) : la limitation du montant des intérêts versés déductible peut s’opérer en examinant : (i) le montant des intérêts qui aurait été payé selon le principe de la pleine concurrence, et (ii) l’on peut également vérifier la capacité d’emprunt du contribuable, à savoir le montant total des dettes qui auraient pu être contractées par ce dernier s’il agissait dans des conditions de pleine concurrence.

19. Les règles de l’ACCIS pourraient prévoir l’une des options susmentionnées (A, B ou C) ou une combinaison de plusieurs d’entre-elles. D’après les discussions et les commentaires des Etats membres, l’approche sur la base de la pleine concurrence (C) semble être moins appropriée que les deux autres (A et B), qui mèneraient toutes deux à un résultat plus sûr. De plus, la tendance récente dans la législation des Etats membres semble être favorable à l’introduction de tests EBIT ou EBITDA.

20. Les services de la Commission estiment que l’option la plus souhaitable pourrait être le test EBIT ou EBITDA (option A), car il est plus simple à appliquer et s’accorde avec l’idée que les règles de pleine concurrence en matière de sous-capitalisation n’ont pas permis de protéger efficacement les revenus fiscaux nationaux contre un recours excessif au financement par l’emprunt, que l’on estime avoir eu lieu essentiellement pour des raisons d’optimisation fiscale.

21. Si les tests EBIT ou EBITDA venaient à être introduits dans l’ACCIS, la limite devrait être appliquée à l’ensemble du groupe consolidé car les paiements intragroupes d’intérêts sont supprimés lors de la consolidation.

22. Lors de la conception de ces règles pour l’ACCIS, plusieurs aspects doivent être définis :

I. L’EBIT ou l’EBITDA doit être sélectionné et défini.

II. Etablissement d’un seuil : les seuils établis par les Etats membres s’élèvent à environ 80 % si l’EBIT est choisi, et 25-30 % si l’EBITDA est appliqué.

III. Définition du revenu perçu sous forme d’intérêts et des charges d’intérêts.

IV. Décision quant à savoir si l’excédent de charges d’intérêts peut être reporté de manière illimitée dans le temps, ou seulement sur un nombre limité d’exercices fiscaux.

V. Etablissement d’une règle « de minimis ».

VI. Il serait probablement souhaitable de concevoir une clause de sauvegarde permettant, dans certains cas, la déduction des intérêts lorsque le montant est « normal » (l’une des critiques émises à l’encontre des méthodes EBIT ou EBITDA est leur caractère manifestement injuste dans certaines circonstances en dépit de la sécurité qu’elles apportent).

Une première possibilité serait de permettre aux contribuables de comparer le ratio des fonds propres du groupe consolidé (lorsqu’il y a un groupe) à celui du groupe mondial, afin de démontrer que la dette n’est pas excessive. L’application de cette règle pourrait être remise en question lorsque le groupe ACCIS consolidé constitue à lui seul le groupe mondial. Dans ce cas, les deux ratios seraient bien entendu identiques avec pour conséquence absurde l’exclusion automatique du groupe ACCIS de toute limitation calculée à l’aide des méthodes EBIT/EBITDA, c’est-à-dire que le test de la clause de sauvegarde serait toujours satisfait. Cela a du sens si toutes les filiales d’une société mère font partie du groupe consolidé ; tous les emprunts intragroupes seraient supprimés et tous les autres emprunts devraient respecter l’exigence de pleine concurrence. Pour les prêts de/et envers des actionnaires importants, des règles spécifiques telles que celles concernant les sociétés détenues et dirigées par un petit nombre d’actionnaires (‘closely held companies’) pourraient s’appliquer. Les contrôles effectués aux fins de ce test devront être définis de manière différente par rapport au test de consolidation. Par exemple, ils pourraient l’être conformément à l’IAS 27, ou plus simplement comme plus de 50 % des droits de vote ou de la propriété du capital. (Dans le cas contraire, une société contrôlée à disons 51 % ne serait pas consolidée, et serait donc considérée comme une tierce partie aux fins du calcul de la dette).

Une seconde possibilité pourrait être d’effectuer un test en deux temps. Tout d’abord, le test EBIT ou EBIT(DA) et ensuite, uniquement dans les cas où la société ne réussirait pas le test, l’application d’un ratio d’endettement fixe (une combinaison des tests décrits aux points A et B).

23. En l’absence d’une règle EBIT ou EBITDA, il semble souhaitable d’introduire au minimum une règle qui limite le montant de l’intérêt déductible selon un ratio d’endettement fixe à appliquer sur l’intérêt versé à une société liée non résidente.

Règles de « switch over »

24. Dans le document CCCTB/WP/057, les services de la Commission suggèrent que « en ce qui concerne les revenus trouvant leur source dans un pays tiers, les dividendes provenant de participations financières significatives et les revenus des établissements stables seraient exonérés, sous réserve de l’adoption de la méthode du crédit d’impôt lorsque le taux de l’impôt sur les sociétés dans le pays tiers est peu élevé ».[9]

25. Ce document explique comment doit fonctionner le mécanisme de « switch over ». Les services de la Commission estiment toujours que les règles de « switch over » devraient être appliquées conformément à leur description dans le document CCCTB/WP/057.

« Mesures CFC »

26. D’après la Communication, « le principal objectif des « mesures CFC » est d’empêcher les sociétés résidentes de se soustraire à la fiscalité nationale en transférant des recettes à des filiales établies dans des pays à faible niveau d’imposition. Comme l’a reconnue la CJE, les « mesures CFC » sont généralement un bon moyen d’atteindre cet objectif »[10].

27. De nombreux Etats membres disposent de « mesures CFC » dans leur législation nationale, qui tentent généralement de combattre les cas dans lesquels des revenus passifs sont détournés via une société étrangère établie dans un pays à faible niveau d’imposition mais contrôlée par une société résidente. La conséquence de l’application des règles CFC est que les revenus non distribués de la société contrôlée seront compris dans l’assiette fiscale des actionnaires résidents.

28. Dans le document CCCTB/WP/057, les services de la Commission ont demandé aux Etats membres si, lors de l’élaboration des règles destinées à protéger l’assiette fiscale, des règles CFC étaient nécessaires, ou s’il suffisait de passer au crédit d’impôt (« switch over ») lorsque l’exonération n’était pas justifiée en raison du faible niveau d’imposition local sur les profits. En général, les experts ont estimé que les règles CFC devaient être appliquées parallèlement aux règles de « switch over », puisque les règles CFC ne s’appliquent pas uniquement aux dividendes distribués mais également aux revenus non distribués des SEC.

29. Lors de la conception de « mesures CFC » dans le cadre de l’ACCIS, l’une des questions fondamentales est la détermination du champ d’application de ces règles : si les règles CFC devaient être introduites dans l’ACCIS, elles devraient être conformes aux récents jugements de la CJE. En vue de se conformer à la législation de la CJE, les règles CFC devront n’être appliquées qu’en rapport avec les pays tiers ou bien au sein de l’UE, mais dans ce cas, elles ne viseront que les montages purement artificiels[11].

30. Lors de la conception des règles CFC à appliquer vis-à-vis des pays tiers, plusieurs aspects doivent être déterminés :

– Définition du contrôle : les règles CFC doivent s’appliquer aux sociétés étrangères contrôlées par les résidents. Il existe plusieurs options pour définir ce contrôle. Pour l’ACCIS, on doit probablement considérer qu’une société est sous le contrôle de la société résidente si cette société contrôle, directement ou indirectement, plus de 50 % des droits de vote, de la propriété ou du capital, ou encore des droits au bénéfice, mais d’autres possibilités peuvent être étudiées : (i) les mêmes règles que pour la définition des parties liées (d’après le document CCCTB/WP/057 – 20 % des droits de vote[12]), (ii) le contrôle tel qu’il est défini dans la directive société mère-filiale (10 % de la propriété du capital). Il serait probablement souhaitable d’inclure les situations où le seuil de 50 % et plus est atteint via des entités agissant « de concert » ;

– Le taux de l’impôt étranger jugé trop bas doit être déterminé. La détermination du taux devrait probablement s’accorder avec les règles de « switch over » soit un taux inférieur à 40 % de la moyenne des taux légaux de l’impôt sur les sociétés applicables dans les EM, ou qui est soumis à un régime spécial aboutissant à un niveau d’imposition nettement inférieur[13]. La société contrôlée doit être définie, soit en tenant compte du fait qu’elle n’a pas d’activité économique réelle, soit en considérant la nature de son revenu et en s’attachant à vérifier si ses résultats proviennent surtout de revenus passifs ;

– Une fois la société contrôlée identifiée, le revenu intégré dans l’assiette fiscale de la société résidente peut être soit (i) uniquement le revenu passif, soit (ii) la totalité du revenu de la société contrôlée.

31. Comme indiqué précédemment, le régime aura pour conséquence que le revenu non distribué de la société contrôlée sera compris dans l’assiette fiscale des actionnaires résidents. Le revenu devra être calculé conformément aux règles de l’ACCIS et rattaché à l’exercice en cours à la date de clôture de la période d’imposition de la société contrôlée.

32. L’application du régime de la société contrôlée ne devra pas entraîner une imposition plus lourde (que dans une situation nationale) et assurera une élimination de la double imposition : un même revenu ne peut être inclus qu’une seule fois dans l’assiette fiscale, quel que soit le mode de son inclusion. C’est pourquoi il doit y avoir un allègement pour les impôts payés à l’étranger, et de plus, le revenu qui a été imposé au niveau de la société contrôlée via son inclusion dans l’assiette fiscale des actionnaires résidents ne doit pas être imposé une seconde fois lorsque les dividendes sont distribués aux actionnaires. Il y a deux manières possibles d’éviter la double imposition :

– si seul le revenu passif non distribué est inclus dans l’assiette fiscale de l’actionnaire résident lors de l’imposition des dividendes versés par la société contrôlée (qui ne seront pas exonérés en raison du mécanisme de « switch over »), il conviendra d’établir une distinction entre les dividendes qui proviennent d’un revenu passif déjà imposé et ceux qui représentent une distribution du revenu actif non encore inclus dans l’assiette fiscale de l’actionnaire. Une autre possibilité pourrait être de considérer que les dividendes sont prélevés en priorité sur le revenu passif ;

– à l’inverse, si la totalité du revenu de la société contrôlée est inclus dans l’assiette fiscale de l’actionnaire résident, les dividendes distribués ne doivent pas être imposés une seconde fois.

33. Afin de calculer le revenu dégagé par la vente des actions dans la société contrôlée, il est également nécessaire de déduire les bénéfices non distribués déjà inclus dans l’assiette fiscale de l’actionnaire.

34. Les services de la Commission estiment que la société contrôlée doit être définie en fonction de la nature des recettes de la société : si un certain seuil du total des recettes de la société est un revenu passif (par exemple 80 %), la société est définie comme une société contrôlée. Une fois que la société contrôlée est identifiée, seul le revenu passif doit être intégré dans l’assiette fiscale de la société résidente, et lorsque la société contrôlée distribuera des dividendes, on considèrera que ces derniers proviennent par priorité du revenu passif. Les coûts de gestion liés à la détention de la participation ayant donné lieu à la distribution des bénéfices exonérés devraient être des dépenses non déductibles[14].

Règles de requalification des ventes d’actions en ventes d’actifs pour éviter l’abus des règles de consolidation en lien avec l’exemption des plus-values de cession de titres de participation

35. Pendant les réunions ACCIS, des inquiétudes ont été formulées concernant la possibilité qu’à l’intérieur d’un groupe consolidé des actifs puissent être localisés dans une des sociétés du groupe (sans que l’opération intragroupe ne soit taxée), et que les actions de la société puissent ensuite être vendues sans être taxées en raison de l’exemption des plus-values de cession de titres de participation.

36. Le problème a été abordé dans le document CCCTB/WP/057 qui proposait la règle suivante : « ne pas exonérer les plus-values réalisées sur la cession de ces parts, dès lors que les actifs ont été transférés à la société sortante durant l’exercice fiscal en cours ou précédent et que la cession aurait entraîné une plus-value (éventuellement un contribuable pourrait faire échec à cette sanction s’il a la possibilité d’avancer des raisons commerciales valables)[15] ».

37. La règle mentionnée ci-dessus devra probablement être étendue aux cas où la société quitte le groupe (ou lorsque le groupe se termine), mais sans vente d’actions, (par ex. le groupe ne renouvelle pas l’option après la période initiale de 5 ans), auquel cas il pourrait également y avoir une imposition immédiate des plus-values non réalisées sur les actifs transférés à la société sortante durant l’exercice fiscal en cours ou précédent et leur cession aurait entraîné une plus-value.

38. Si une telle règle doit être symétrique, il convient également de réfléchir à la manière de l’appliquer aux cas dans lesquels la vente intragroupe d’actifs aurait occasionné des pertes.

39. Certains Etats membres indiquent que la période de deux années prévue dans le document est trop brève et que, par conséquent, la règle était trop facilement manipulable.

Règles visant à éviter les doubles déductions éventuelles dans les situations dites du « sandwich »

40. Durant les réunions du GT ACCIS et celles du SG5, les experts ont estimé que dans la situation dite du « sandwich », il existe un risque éventuel de double déduction nécessitant la création d’une règle anti-abus. Nous examinons donc cette question en détail ci-dessous.

41. La situation du « sandwich » est décrite dans le document CCCTB/WP/057, paragraphe 87 qui indique que : « le fait que la chaîne de détention d’un groupe de sociétés de l’UE comprenne un maillon non UE (situation dite du « sandwich ») ne rompt pas la chaîne ; dans le cas contraire, les contribuables pourraient fractionner les groupes en groupes multiples ».

42. En fait, des problèmes éventuels de doubles déductions se posent à la fois lorsque la « société sandwich » est dans un pays hors UE et lorsqu’elle est dans un Etat membre de l’UE mais exclue du groupe consolidé, par exemple, parce que le seuil de participation pour la consolidation n’est pas satisfait :

– si la société 3 emprunte de l’argent à la société 2, qui elle-même emprunte cet argent de la société 1, et que la société 3 est confrontée à un problème de liquidité et ne peut pas rembourser son emprunt, la société 2 peut reconnaître une provision pour créance douteuse, conformément aux règles nationales du pays hors UE. Si la société 2 traverse ensuite les mêmes difficultés pour rembourser son emprunt à la société 1, la société 1 reconnaîtra une provision pour le montant du prêt et, en même temps, sera en mesure de consolider les pertes encourues dans la société 3. Ainsi, la société 1 « bénéficie » des pertes de la société 3, et « bénéficie » également d’une déduction de créance douteuse en raison de son prêt à la société 2. Cette double déduction éventuelle pourrait être évitée :

• grâce à un principe général selon lequel aucune transaction ne doit donner lieu à une double déduction au sein du groupe ACCIS (probablement assez difficile à élaborer de manière à ce qu’il « attrape » toutes ces transactions et elles seulement) ;

• en se reposant sur une clause anti-abus « générale » (potentiellement difficile à appliquer de manière uniforme) ;

• grâce à une règle spécifique concernant les déductions pour créance douteuse, refusant les déductions pour les créances douteuses avec des parties liées ;

– De plus, la participation de la société 1 dans la société 2 représente la valeur de l’entité hors UE et de toutes ses filiales. Par conséquent, toutes les pertes encourues par la société 3 et ses filiales dans l’UE auront une incidence sur la valeur de la participation. Dès lors, la société 1 pourrait « bénéficier » des pertes de la société 3 en les consolidant, puis «bénéficier» d’une perte sur la vente d’actions dans la société 2 ayant perdu de la valeur en raison des pertes.

Toutefois, les règles de l’ACCIS prévoient une exemption des plus-values de cession de titres de participation pour les principaux actionnaires (plus de 10 % des droits de vote) ; par conséquent, seules les pertes sur les ventes d’actions lorsque la participation est inférieure à 10 % pourraient potentiellement créer des pertes. Cela ouvre la possibilité que jusqu’à 10 % des pertes soient déduites deux fois ; ou dans des cas plus extrêmes, que jusqu’à 25 % des pertes soient déduites deux fois, lorsque la vente d’actions n’est pas couverte par l’exemption des titres de participation parce qu’elle est achetée et vendue dans un délai de douze mois[16]. Cette double déduction éventuelle peut être évitée grâce :

• au principe général susmentionné,

• à la clause anti-abus générale susmentionnée,

• à une règle spécifique (qui pourrait être difficile à rédiger et pourrait être jugée inutile, étant donné que la probabilité pour que les circonstances se présentent est rare).

43. Des solutions aux questions soulevées semblent possibles à propos des situations dites du « sandwich ». En effet, dans le deuxième exemple, l’existence d’un risque réel est discutable. Toutefois, il semble que ces questions s’appliquent aux systèmes nationaux de « consolidation » existants, et les experts sont invités à faire part de leur manière de les gérer ou de la raison pour laquelle ils ont jugé que l’on pouvait ne pas en tenir compte.

Règles en vue d’éviter la manipulation des facteurs dans la répartition proportionnelle (RP)

44. Les Etats membres ont exprimé leur préoccupation sur le fait que les facteurs inclus dans la répartition proportionnelle pouvaient être manipulés pour influencer la distribution de l’assiette entre les différents Etats membres.

45. Des trois facteurs susceptibles d’être inclus dans la répartition proportionnelle, le facteur « actifs » est celui qui pourrait être le plus exposé à la manipulation, puisque la vente d’actifs intragroupe ne sera pas imposée. Une règle éventuelle pourrait être introduite, indiquant que les mouvements d’actifs intragroupes ne sont pas pris en considération s’ils s’avèrent avoir été effectués uniquement dans l’intention d’influencer la distribution de l’assiette. Bien que la plupart des mouvements d’actifs comprennent inévitablement des considérations commerciales, les actifs mobiles de valeur élevée, tels que les avions utilisés pour le transport, pourraient théoriquement être basés dans plusieurs Etats et des transferts pourraient être effectués uniquement à des fins de fiscalité. Une autre possibilité pourrait être de se reposer sur la clause anti-abus générale.

Questions à examiner

A) Les experts pensent-ils qu’une règle anti-abus générale doive être créée ?

B) Comment une clause anti-abus générale doit-elle s’articuler avec une disposition anti-abus spécifique ? Autrement dit, si une transaction est examinée au travers d’une règle anti-abus spécifique et jugée non abusive, peut-elle être testée une seconde fois dans le cadre de la règle anti-abus générale ?

C) Les experts sont-ils favorables à l’introduction d’une règle limitant la déductibilité de l’intérêt à un certain seuil de l’EBIT ou de l’EBITDA, comme le prévoient les paragraphes 15 à 17 ?

D) Les experts sont-ils favorables aux règles de « switch over » de l’exonération vers le crédit d’impôt, telles qu’elles sont décrites dans le document CCCTB/WP/057 ?

E) Les experts estiment-ils que des règles CFC devraient être créées pour les entités contrôlées situées dans des pays à faible niveau d’imposition en dehors de l’UE ? Les règles de l’ACCIS doivent-elles permettre une application des règles CFC à l’intérieur de l’UE limitée aux transactions entièrement artificielles ?

F) Les experts sont-ils favorables aux règles visant à requalifier ventes d’actions en ventes d’actifs pour éviter l’abus des règles de consolidation, ainsi que le prévoit le document CCCTB/WP/057 ?

G) Les experts estiment-ils que des règles visant à éviter les doubles déductions éventuelles dans les situations dites du « sandwich » devraient être introduites ?

H) Les experts estiment-ils nécessaire la conception de règles visant à éviter la manipulation des facteurs dans la répartition proportionnelle ?

I) Les experts estiment-ils que d’autres règles anti-abus spécifiques devraient être créées ?

* Groupe de travail sur une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (GT ACCIS) – Règles anti-abus.

[1] Source : Commission Européenne – Direction Générale Taxud TF1/RP – CCCTB/WP065\doc\fr. – Document de travail – règles anti abus.

[2] COM (2007) 785, communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen sur «L’application des mesures de lutte contre les abus dans le domaine de la fiscalité directe – au sein de l’Union européenne et dans les rapports avec les pays tiers».

[3] COM (2007) 785.

[4] COM (2007) 785.

[5] Certaines des règles spécifiques analysées dans cette partie du document ne sont peut-être pas cataloguées comme règles anti-abus par tous les États membres.

[6] CCCTBWP057, section V.3. Vente d’actifs ou de titres de participations.

[7] CCCTBWP057, paragraphe 87.

[8] Par exemple, le Danemark, l’Allemagne, la France et l’Italie ont introduit ces règles.

[9] CCCTBWP057, paragraphe 120.

[10] COM (2007) 785.

[11] COM (2007) 785.

[12] CCCTBWP057, paragraphe 78.

[13] CCCTBWP057, paragraphe 128.

[14] CCCTBWP057, paragraphe 134.

[15] CCCTBWP057, paragraphe 109.

[16] CCCTBWP057, paragraphe 125.

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