LE NOUVEAU DISPOSITIF DE LA TAXE DE 3 % COMPATIBLE AVEC LE DROIT COMMUNAUTAIRE ?


Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 154

(Année 2008)


La détention d’un immeuble en France au travers d’une société étrangère est traditionnellement regardée avec suspicion par l’administration fiscale française surtout s’il s’agit d’une structure dont les associés sont difficiles à connaître.

Le fisc a en effet tendance à y voir un moyen d’éluder l’impôt, en particulier l’impôt sur la fortune, grâce à l’anonymat des ayants droit dans la société, et a donc élaboré un dispositif, celui de la taxe de 3 % pour lutter contre ce procédé. Mais il a dû, à plusieurs reprises, revoir sa copie pour le rendre ou tenter de le rendre compatible avec les engagements internationaux de la France.

UN DISPOSITIF CONTRE L’EVASION FISCALE

Pour contrecarrer un tel montage, la loi a institué une taxe spéciale, la taxe 3 % qui à l’origine atteignait annuellement la valeur vénale des immeubles possédés en France par les seules personnes morales étrangères, sauf si celles-ci fournissaient chaque année au fisc un certain nombre d’informations concernant notamment les associés et si l’existence d’une clause d’assistance administrative entre la France et l’Etat où la société avait son siège permettait à l’administration fiscale françaises de vérifier, en ayant recours à l’échange de renseignements avec les administrations étrangères, l’exactitude des renseignements fournis.

UN DISPOSITIF CONTESTE SUR LE FONDEMENT DE L’EGALITE DE TRAITEMENT

Le dispositif de la taxe de 3 %, en raison notamment de son caractère discriminatoire, a donné lieu à de nombreux recours devant les Juridictions françaises et, plus récemment, européennes ; ces recours ont abouti à des décisions de principe très intéressantes car elles ont permis à ces Juridictions d’approfondir et de préciser les principes d’égalité de traitement, de liberté d’établissement et de libre circulation des capitaux. Ces décisions ont entraîné des modifications successives dans ce dispositif.

Les premiers recours étaient fondés sur les clauses d’égalité de traitement qui figurent traditionnellement dans les conventions bilatérales de double imposition. En effet le dispositif était discriminatoire au regard de ces textes, puisqu’il traitait les sociétés étrangères, même celles ayant leur siège dans un pays lié à la France par de telles clauses, différemment des sociétés françaises.

Dans un premier temps l’administration avait tenté de nier ce caractère discriminatoire en faisant valoir que la différence de traitement n’était pas liée à la nationalité de la société mais à la résidence de celle-ci, ce qui est compatible avec les conventions internationales qui permettent de traiter de manière différente les résidents et les non-résidents , et avait modifié le texte en précisant que le siège de la société pris en considération était le siège de direction effective et non le siège social et donc que l’imposition était liée à un critère de résidence et non à la nationalité qui résulte de la localisation du siège social.

Cette tentative de « régularisation » de la taxe au regard de l’égalité de traitement ayant échoué, le législateur avait pris une disposition plus radicale en faisant entrer dans le champ d’application de la taxe les sociétés françaises, tout en permettant à ces sociétés mais aussi à celles pouvant bénéficier d’une clause d’égalité de traitement d’être exonérées de la taxe en remplissant des formalités identiques (dépôt d’une déclaration ou prise d’un engagement).

Le dispositif de la taxe 3 % semblait ainsi avoir été rendu conforme aux obligations résultant des conventions fiscales bilatérales et effectivement, depuis cette réforme, la conformité de la taxe à ces conventions n’a plus été utilement contestée.

UN DISPOSITIF CONTESTE SUR LE FONDEMENT DU DROIT EUROPEEN : L’AVIS RENDU PAR LA CJCE

Cependant plus récemment une nouvelle question a été posée, celle de la compatibilité de la taxe de 3 % avec les textes européens.

Cette difficulté est apparue du fait que certaines sociétés bien qu’ayant leur siège dans un Etat de l’Union Européenne n’étaient couvertes ni par une clause d’assistance administrative ni par une clause d’égalité de traitement prévue par une convention de double imposition ; en pratique le problème ne se posait que pour les sociétés holding luxembourgeoises dans la mesure où ces sociétés sont « hors convention » et étaient donc privées de la possibilité d’être exonérées de la taxe en révélant ou en s’engageant à révéler le nom de leurs associés.

Une société holding luxembourgeoise avait donc diligenté une procédure contentieuse à l’encontre de son imposition et l’affaire est venue devant la Cour de Cassation française, laquelle, puisqu’il s’agissait d’interpréter le Traité européen, avait saisi la Cour de Justice des Communautés Européennes de questions préjudicielles.

La CJCE s’est prononcée sur ces questions par une décision du 11 octobre 2007.

LA TAXE DE 3 % EST UN IMPÔT SUR LA FORTUNE

La Cour a d’abord répondu à la deuxième question qui lui était posée qui est de savoir si la taxe litigieuse constitue un impôt sur la fortune au sens de l’article premier de la directive 77/799 relative à l’assistance mutuelle fiscale entre les Etats membres.

La Cour a répondu à cette question par un oui catégorique faisant ainsi justice des allégations du gouvernement français selon lesquelles la taxe de 3 % ne peut pas être assimilée à un impôt sur la fortune au sens de ce texte au motif qu’elle frappe non les personnes physiques mais les personnes morales et que son objectif est de lutter contre l’évasion fiscale.

Certes la taxe de 3 % ne figure pas dans l’énumération de l’article 1er paragraphe 3 de la directive, mais cette énumération n’est pas exhaustive et la qualification d’impôt sur la fortune doit être étendue aux impôts de nature identique ou analogue à ceux visés par cet article, ce qui est le cas de la taxe de 3 %.

L’INCIDENCE DE LA DIRECTIVE 77/799

La Cour ayant répondu de manière affirmative à la deuxième question a pu ensuite aborder la troisième qui est de savoir si les obligations mises à la charge des Etats membres en matière d’assistance mutuelle fiscale par la directive 77/799 s’opposent à l’application par les Etats membres, en vertu des conventions bilatérales d’assistance administrative en matière fiscale, d’obligations de même nature excluant une catégorie de contribuables tels que les sociétés holding luxembourgeoises.

Ce faisant, la Cour a tout d’abord constaté qu’en vertu de la directive 77/799 les autorités compétentes des Etats membres échangent toutes les informations susceptibles de leur permettre l’établissement correct des impôts sur le revenu et sur la fortune ainsi que des taxes et impôts de nature analogue tels que la taxe de 3 % ; cet échange d’informations a lieu sur demande des autorités compétentes de l’Etat membre concerné ou dans certains cas de manière automatique.

En revanche la directive n’impose pas à l’Etat requis l’obligation de faire effectuer des recherches et de transmettre des informations lorsque la législation ou la pratique administrative de l’Etat membre qui devrait les fournir n’autorise pas les autorités compétentes à effectuer ces recherches ou à utiliser ces informations pour les propres besoins de cet Etat (article 8 paragraphe 1 de la directive 77/799).

Enfin les dispositions de la directive ne portent pas atteinte à l’exécution d’obligations plus larges quant à l’échange d’informations qui résulterait d’autres actes juridiques (tels que les conventions bilatérales).

La Cour a ensuite constaté que la convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 prévoit des obligations de même nature que celles résultant de la directive et que les obligations résultant de ladite Convention n’ont aucune incidence sur l’applicabilité de la directive.

La Cour a enfin répondu à l’argument avancé par le gouvernement de la France selon lequel la législation luxembourgeoise pertinente prévoit qu’aucun renseignement ne peut être demandé aux sociétés holding aux fins de taxation.

De ce fait les parties contractantes à la convention du 1er avril 1958 ont exclu du système d’échange d’informations prévu par celle-ci lesdites sociétés holding.

S’il en est ainsi de la législation luxembourgeoise pertinente (ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier), la situation des sociétés holding de droit luxembourgeois, pour ce qui est de l’assistance mutuelle entre les Etats membres dans le domaine des impôts directs et indirects, relève selon la Cour Européenne de l’article 8 paragraphe 1 de la directive.

Dans ces conditions la Cour a répondu à la troisième question, que la directive 77/799 et en particulier son article 8 paragraphe 1 ne s’opposent pas à ce que les deux Etats membres soient liés par une Convention internationale tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et la fortune qui exclut de son champ d’application pour l’Etat membre une catégorie de contribuables soumis à un impôt relevant ladite directive pour autant que la législation ou la pratique administrative de l’Etat membre devant fournir les informations n’autorise pas l’autorité compétente à recueillir ou à utiliser ces informations pour les propres besoins dudit Etat membre, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

LA TAXE DE 3 % NE RELEVE PAS DE LA LIBERTE D’ETABLISSEMENT MAIS RELEVE DE LA LIBRE CIRCULATION DES CAPITAUX

Ayant ainsi répondu à ces deux questions, la Cour a abordé la première question qui constitue le cœur du débat, à savoir : les articles 52 et suivants et 73 B et suivants du Traité CE s’opposent-t-ils à une législation telle que celle prévue par les articles 990 D et suivants du CGI qui accorde aux personnes morales qui ont leur siège de direction effective en France la faculté de bénéficier de l’exonération de la taxe litigieuse et qui subordonne cette faculté en ce qui concerne les personnes morales ayant leur siège de direction effective sur le territoire d’un autre pays, quand bien même s’agirait-il d’un Etat membre de l’Union Européenne, à l’existence d’une convention d’assistance administrative conclue entre la France et cet Etat en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale ou à la circonstance que par application d’un Traité comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité, ces personnes morales ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle sont assujetties les personnes morales ayant leur siège de direction effective en France.

Dans la mesure où il s’agissait de donner une interprétation de l’article 52 du Traité relatif à la liberté d’établissement et de l’article 73 B du Traité relatif à la libre circulation des capitaux, la Cour devait déterminer si une réglementation nationale telle que celle de la taxe 3 % est susceptible de relever de ces libertés.

S’agissant de la libre circulation des capitaux, la réponse est évidemment oui puisque selon la jurisprudence constante, les mouvements de capitaux comprennent les opérations par lesquelles des non-résidents effectuent des investissements immobiliers sur le territoire d’Etats membres ; il n’y a donc pas de doute que l’achat de biens immobiliers en France par une société holding de droit luxembourgeois constitue un mouvement de capitaux au sens de la nomenclature qui figure en annexe 1 de la directive 88/361 CEE.

En ce qui concerne la liberté d’établissement la réponse est plus compliquée. En effet s’il ressort de la jurisprudence de la Cour que la liberté d’établissement que l’article 52 du Traité reconnaît aux ressortissants communautaires et qui comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l’Etat d’établissement pour ses propres ressortissants, comprend pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de la Communauté, le droit d’exercer leur activité dans l’Etat membre concerné par l’intermédiaire de filiales, de succursales ou d’agences, il est aussi nécessaire pour que les dispositions relatives au droit d’établissement puissent s’appliquer qu’une présence permanente dans l’Etat membre d’accueil soit assurée et, en cas d’acquisition ou de possession de biens immobiliers, que la gestion de ces biens soit active, ce qui ne semblait pas être le cas en l’espèce (comme d’ailleurs en règle générale pour les personnes morales susceptibles d’être assujetties à la taxe qui ont rarement une gestion active et réalisée sur place).

La Cour a ensuite rappelé que si, en vertu d’une jurisprudence constante la fiscalité directe relève de la compétence des Etats membres ces derniers doivent exercer cette compétence dans le respect du droit communautaire.

Il résulte également de la jurisprudence de la Cour que les mesures interdites par l’article 73 B du Traité en tant que restrictions aux mouvements de capitaux comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un Etat membre ou à dissuader les résidents dudit Etat d’en faire dans d’autres Etats.

LA DIFFERENCE DE TRAITEMENT QUI RESULTE DU DISPOSITIF DE LA TAXE DE 3 % CONSTITUE UNE RESTRICTION A LA CIRCULATION DES CAPITAUX

La Cour a ensuite décrit le dispositif de la taxe de 3 % et a été ainsi amenée à constater que, pour qu’elles puissent bénéficier de l’exonération de la taxe litigieuse en vertu des articles 990 D et 990 E 2) et 3) du CGI, les personnes morales n’ayant pas leur siège de direction en France sont à la différence des autres assujettis soumises à une condition supplémentaire à savoir celle liée à l’existence d’une convention conclue entre la république française et l’Etat concerné.

À défaut d’une telle convention, une personne morale qui n’a pas son siège de direction en France se trouve privée de la possibilité de demander utilement l’exonération de la taxe litigieuse. Or, compte tenu du fait qu’il appartient aux seuls Etats concernés de décider de s’engager par voie conventionnelle, il s’avère que la condition liée à l’existence d’une convention d’assistance administrative ou d’un Traité est susceptible d’entraîner de facto pour cette catégorie de personnes morales un régime permanent de non exonération.

Il s’ensuit que les exigences prévues par la réglementation nationale en cause pour bénéficier de l’exonération de la taxe rendent l’investissement immobilier en France moins attrayant pour les sociétés non-résidentes telles que les sociétés holding de droit luxembourgeois.

Dès lors, et c’est la conclusion essentielle de la Cour, ladite réglementation constitue pour les personnes morales en question une restriction au principe de libre circulation des capitaux, laquelle est en principe interdite par l’article 73 B du Traité devenu article 56 CE.

La Cour ne s’est pas cependant arrêtée à cette conclusion et a tenu à rechercher si la restriction résultant de la taxe litigieuse est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, ce qui la rendrait alors licite au regard de l’article 73 B.

LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE POURRAIT JUSTIFIER CETTE RESTRICTION

À ce titre le gouvernement français soutenait que la taxe de 3 % faisait partie du dispositif de lutte contre la fraude fiscale dont la finalité est d’inciter les personnes morales détenant directement ou indirectement un immeuble en France à révéler l’identité des personnes physiques ou morales qui en sont les associés.

La réponse donnée par la Cour à cet argument est particulièrement complète et instructive.

Tout d’abord la Cour a rappelé qu’il résulte de sa propre jurisprudence que la lutte contre la fraude fiscale constitue une raison impérieuse d’intérêt général qui peut justifier une restriction à une liberté de circulation.

Toutefois la restriction en cause doit être appropriée à l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.

Il convenait donc d’examiner si la taxe de 3 % est appropriée afin de lutter contre la fraude fiscale et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser cet objectif.

Selon le gouvernement français, la taxe litigieuse viserait à combattre les pratiques consistant dans la création, par des personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France et dont les immeubles seraient normalement soumis à l’impôt sur la fortune, de sociétés qui ont leur domicile fiscal dans un autre Etat duquel la république française ne peut obtenir les informations appropriées sur les personnes physiques détenant des participations dans ces sociétés.

Il apparaît dès lors, a noté la Cour, que le critère essentiel d’exonération est en fait constitué par l’assurance que l’Administration fiscale française puisse demander directement à des autorités fiscales étrangères toutes les informations nécessaires afin de regrouper les déclarations faites par des sociétés détenant des droits de propriété ou d’autres droits réels sur des immeubles situés en France ainsi que les déclarations souscrites par des personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France concernant leurs immeubles soumis à l’impôt sur la fortune.

En taxant toutes les sociétés qui ne satisfont pas à cette condition la législation française a pour effet de taxer les immeubles détenus par des sociétés utilisées comme écran par des personnes physiques qui, en l’absence de la société, seraient soumises à l’impôt sur la fortune.

La taxe litigieuse permet par conséquent de lutter contre les pratiques qui ont pour seul but de faire échapper des personnes physiques au paiement de l’impôt sur la fortune en France, ou tout le moins de rendre ces pratiques moins attrayantes. Elle est donc bien appropriée selon la Cour à l’objectif qui consiste à lutter contre la fraude fiscale. Mais cela ne suffit pas à la rendre compatible avec la libre circulation des capitaux, car il reste cependant à déterminer si la taxe ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser cet objectif.

MAIS LE DISPOSITIF DE LA TAXE DE 3 % VA AU DELA DE CE QUI EST NECESSAIRE POUR LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE

À ce titre et pour justifier le dispositif, le gouvernement français avait affirmé qu’une approche restrictive de l’exonération de la taxe litigieuse était rendue nécessaire par la difficulté pour les autorités fiscales françaises de prouver la fraude fiscale en l’absence d’informations fiables permettant de recouper les informations fournies par les contribuables dans leur déclaration.

Une présomption générale d’évasion ou de fraude fiscales porte atteinte aux objectifs du Traité.

Or, la Cour a tenu à rappeler à cet égard que selon une jurisprudence constante, la justification tirée de la lutte contre la fraude fiscale ne saurait être admise que si elle vise des montages souvent artificiels dont le but est de contourner la loi fiscale ce qui exclut toute présomption générale de fraude. Pourtant une présomption générale d’évasion ou de fraude fiscales ne saurait suffire à justifier une mesure fiscale qui porte atteinte aux objectifs du Traité.

Cette considération rejoint bien la Jurisprudence constante de la CJCE selon laquelle un montage artificiel réalisé dans un but exclusivement fiscal constitue un abus de droit et ne peut donc pas bénéficier des garanties et libertés offertes par le droit communautaire.

Selon une jurisprudence également constante de la Cour, la directive 77/799 peut être invoquée par un Etat membre afin d’obtenir des autorités compétentes d’un autre Etat membre toutes les informations nécessaires pour lui permettre d’établir correctement le montant des taxes.

Les assujettis ne doivent pas être privés de la possibilité d’apporter les justifications requises pour leur exonération.

Certes il résulte de la réponse apportée à la troisième question que dans le contexte de l’affaire le champ d’application restreint de la convention du 1er avril 1958 relève de la limite de l’échange d’informations prévue à l’article 8 paragraphe 1 de la directive 77/799 de sorte que les autorités fiscales françaises peuvent se trouver dans l’impossibilité lutter efficacement contre la fraude fiscale dans le cas de sociétés holding de droit luxembourgeois.

Toutefois, il ressort également de la jurisprudence que bien que l’article 8 paragraphe 1 de la directive 77/799 n’oblige pas les autorités fiscales des Etats membres à collaborer lorsque les lois ou les pratiques administratives de ces derniers n’autorisent pas l’autorité compétente à effectuer des recherches ou à recueillir ou à utiliser des informations pour les propres besoins de ces Etats, l’impossibilité de solliciter cette collaboration ne peut justifier le refus d’un avantage fiscal.

En effet, rien n’empêche les autorités fiscales concernées d’exiger du contribuable les preuves nécessaires pour l’établissement correct des impôts et taxes concernés et, le cas échéant, de refuser l’exonération de Taxe si ces preuves ne sont pas fournies.

Ainsi, il ne saurait être exclu a priori que l’assujetti soit en mesure de fournir les pièces justificatives pertinentes permettant aux autorités fiscales de l’Etat membre d’imposition de vérifier de façon claire et précise qu’il ne tente pas d’éviter ou d’éluder le paiements de la taxe.

En outre, il y a lieu de relever que dans les circonstances de l’affaire l’impossibilité éventuelle de solliciter directement la coopération des autorités fiscales du Luxembourg peut rendre la vérification des informations plus difficile. Toutefois, ces difficultés ne sauraient justifier un refus catégorique d’accorder un avantage fiscal au titre des investissements effectués par des investisseurs provenant de cet Etat membre.

En effet, lorsque les sociétés holding de droit luxembourgeois sollicitent l’exonération de taxe, les autorités fiscales françaises peuvent demander à ces sociétés de fournir les éléments de preuve qu’elles estiment nécessaires pour que soit pleinement assurée la transparence des droits de propriété et de la structure de l’actionnariat de ces dernières indépendamment de l’existence de convention d’assistance administrative ou d’un Traité de non discrimination.

Or, la législation française en cause ne permet pas, aux sociétés qui sont exclues du champ d’application d’une convention d’assistance administrative et ne relèvent pas d’un Traité prévoyant une clause de non-discrimination en matière fiscale et qui investissent dans des immeubles situés en France, de fournir les pièces justificatives permettant d’établir l’identité de leurs actionnaires et toutes autres informations que les autorités fiscales françaises estiment nécessaires. En conséquence, cette législation fait obstacle en toutes circonstances à ce que les sociétés prouvent qu’elles ne poursuivent pas un objectif frauduleux.

Il en résulte selon la Cour que le gouvernement français aurait pu adopter des mesures moins restrictives pour atteindre l’objectif consistant à lutter contre la fraude fiscale. Partant la taxe litigieuse ne saurait être justifiée par la lutte contre cette fraude.

LES CONDITIONS MISES POUR L’EXONERATION DES SOCIETES ETRANGERES SONT CONTRAIRES A LA LIBRE CIRCULATION DES CAPITAUX

La Cour a donc répondu, à la première question posée, que l’article 73 B du Traité doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale telle que celle en cause qui exonère les sociétés établies en France de la taxe litigieuse alors qu’elle subordonne cette exonération pour les sociétés établies dans un autre Etat membre à l’existence d’une convention d’assistance administrative conclue entre la république française et cet Etat en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ou à la circonstance que, par application d’un Traité, comporte une clause de non-discrimination selon la nationalité, ces sociétés ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle sont assujetties les sociétés établies en France et ne permet pas aux sociétés établies dans un autre Etat membre de fournir des éléments de preuve permettant d’établir l’identité de ses actionnaires personnes physiques.

La Cour est donc allée comme à son habitude au fond des choses et a développé un raisonnement lumineux, précis et complet qui pourrait être ainsi résumé :

La taxe de 3 % est une entrave à la libre circulation des capitaux ce qui est contraire, en principe, au Traité CE. Par exception, une telle entrave serait justifiée au regard de ce Traité si elle répondait à une raison impérieuse d’intérêt général et la lutte contre la fraude fiscale alléguée par le gouvernement français est bien une raison impérieuse d’intérêt général. Mais encore faudrait-il que cette restriction soit appropriée à cet objectif et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Or, si la taxe de 3 % est en effet appropriée à l’objectif consistant à lutter contre la fraude fiscale, elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif dans la mesure où elle ne permet pas à certaines personnes morales de fournir des pièces justificatives permettant d’établir l’identité de leurs actionnaires et toutes autres informations que les autorités fiscales françaises estiment nécessaires. Cette législation fait donc peser sur ces sociétés une irréfragable présomption de fraude et le gouvernement français aurait pu adopter des mesures moins restrictives pouvant atteindre l’objectif consistant à lutter contre la fraude, en permettant à toutes les personnes morales d’apporter la preuve de leur actionnariat.

C’est donc bien la présomption de fraude inhérente au dispositif de la taxe de 3 % qui est condamnée, car une telle présomption ne saurait aller à l’encontre des objectifs du Traité européen, en l’espèce de la libre circulation des capitaux.

Enfin, la Cour a estimé qu’eu égard à la réponse donnée aux trois premières questions posées par la Juridiction de renvoi, il n’était pas nécessaire de répondre à la quatrième, qui était de savoir si les articles 52 et suivants et 73 B et suivants du Traité CE imposent à un Etat membre qui a conclu avec un autre pays membre ou non de l’Union Européenne une convention comportant une clause de non discrimination en matière fiscale, d’accorder à la personne morale ayant son siège de direction effective sur le territoire d’un autre Etat membre lorsque cette personne morale possède un ou plusieurs immeubles sur le territoire du premier Etat membre et que le second Etat membre n’est pas lié au premier par une clause équivalente, les mêmes avantages que ceux prévus par cette clause.

UN NOUVEAU DISPOSITIF CONFORME AU DROIT EUROPEEN ?

Le Gouvernement français a rapidement réagi à l’Arrêt préjudiciel de la CJCE et a apporté, dans le cadre de la Loi de Finances rectificative pour 2007, d’importantes modifications au dispositif de la taxe de 3 % dont certaines visent à rendre cette taxe compatible avec le droit européen.

L’Administration a commenté, dans une Instruction du 7 août 2008, le nouveau régime de la taxe de 3 % et indiqué ainsi de quelle manière elle allait appliquer le nouveau texte.

UNE INTERPRETATION RESTRICTIVE DE LA PORTEE DE L’ARRET DE LA CJCE

Pour savoir si cet objectif est atteint, il convient de s’interroger sur la portée de cet Arrêt de la CJCE.

Si cette décision ne concerne que les personnes morales ayant leur siège dans l’Union Européenne, sa portée pratique est très limitée malgré son grand intérêt sur le plan des principes.

La décision n’intéresserait alors, en effet, que les sociétés holding luxembourgeoises (et les sociétés de gestion de patrimoine familial qui ont vocation à les remplacer), qui sont les seules sociétés établies dans l’Union qui ne peuvent se prévaloir d’une convention d’assistance administrative ou d’une clause d’égalité de traitement (ainsi que, à compter du 1er janvier 2009, les entités danoises, dans la mesure où le Danemark a dénoncé la convention fiscale avec la France).

Cette interprétation restrictive est celle qui a été retenue par l’Administration fiscale française et dont le gouvernement français a tiré les conséquences au travers d’un amendement à la loi de finances rectificative pour 2007 qui a modifié le dispositif de la taxe de 3 %.

LE CHAMP D’APPLICATION DE LA TAXE ETENDU A TOUTES LES ENTITES JURIDIQUES ET L’EXONERATION OUVERTE A TOUTES CELLES ETABLIES DANS L’UNION EUROPEENNE

Le Gouvernement a saisi l’occasion de la réforme de la taxe de 3 % pour étendre son champ d’application qui, désormais, ne concerne plus seulement les personnes morales mais toutes les entités juridiques qu’elles aient ou non la personnalité morale. Le but de cette extension est clairement de faire entrer dans le champ d’application de la taxe les entités telles que les trusts, les fiducies et les institutions comparables.

L’Administration fiscale avait déjà fait des tentatives pour imposer de telles entités mais n’y était pas parvenue compte tenu de l’ancienne rédaction de la Loi.

Il est vrai qu’assujettir un trust à la taxe de 3 % pose de sérieuses difficultés tant sur le plan théorique et des principes que sur le plan pratique, que l’Instruction du 7 août 2008 tente de résoudre non sans contradiction et non sans artifices et que le problème est donc loin d’être résolu, bien que l’Administration se montre catégorique à ce sujet.

Mais le nouveau texte de l’article 990 E ne fait désormais plus aucune différence entre les entités juridiques françaises, les entités juridiques établies dans un Etat lié à la France par une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, les entités juridiques établies dans un Etat lié à la France par une clause d’égalité de traitement et les entités juridiques établies dans un Etat de l’Union Européenne. Désormais, toutes ces entités peuvent être exonérées de la taxe de 3 % et, pour parvenir à cette exonération, elles ont toutes la même possibilité de choisir entre le dépôt d’une déclaration annuelle et la souscription d’un engagement, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

Cependant, l’Administration, dans son Instruction du 7 août 2008, cherche à restreindre la possibilité pour les entités juridiques dépourvues de personnalité morale de se prévaloir d’une clause d’assistance administrative, au motif que de telles clauses ne sont pas suffisamment précises dans beaucoup de conventions pour concerner de telles entités.

L’Instruction est également catégorique en ce qui concerne l’impossibilité pour les entités juridiques, dont la localisation du siège de direction effective ne satisfait pas à l’une des trois conditions exposées ci-dessus, de s’exonérer de la taxe de 3 % en révélant, ou en prenant l’engagement de révéler, le nom de leurs membres, quels que soient les justificatifs qu’elles pourraient fournir pour attester de la sincérité de leur déclaration.

Ainsi, si on retient pour la décision de la CJCE une portée limitée aux seules entités européennes, le nouveau dispositif de la taxe de 3 % est maintenant inattaquable au regard du Traité européen.

MAIS CERTAINES ENTITES ETRANGERES DEMEURENT PRIVEES DE TOUTE POSSIBILITE D’EXONERATION

En revanche, si on considère que les entités établies en dehors de l’Europe pourraient se prévaloir de l’avis de la CJCE pour contester utilement leur assujettissement à la taxe de 3 %, il faudra que le Gouvernement revoie sa copie et propose une nouvelle rédaction de l’article 990 E du CGI.

Ce ne serait pas la première fois que, en matière de taxe de 3 %, le gouvernement et le législateur ne tirent dans un premier temps qu’un minimum de conséquences de la jurisprudence quitte à devoir dans un deuxième temps revoir à nouveau le dispositif.

Il est vrai que la Cour a elle-même relevé à titre liminaire que le litige en principal porte sur des faits concernant les Etats membres, à l’exclusion de tout Etat tiers et que, par conséquent, les réponses aux questions préjudicielles ne concernent que des relations entre Etats membres, ce qui pourrait limiter la portée de sa Décision.

L’ARTICLE 56 CE NE FAIT PAS DE DISTINCTION SELON L’ORIGINE DES MOUVEMENTS DE CAPITAUX

Cependant, l’Arrêt préjudiciel se fonde sur l’article 73 B du Traité (devenu article 56CE).

Or, cet article du Traité ne fait aucune différence entre les Etats membres et les Etats tiers puisqu’il prévoit que toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres ou entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites.

Serait-il donc possible de faire une distinction là où le Traité n’en fait pas ?

Certes, une décision récente de la Cour de Justice des Communautés Européennes peut être interprétée comme signifiant que cette Haute Juridiction elle-même n’a pas la même conception de la libre circulation des capitaux selon que l’on reste à l’intérieur de l’Union ou qu’un Etat tiers est concerné.

Cependant, cette distinction ne devrait pas conduire à remettre en cause le principe de libre circulation lui-même mais, peut-être, à considérer que les exceptions au principe reposant sur un motif impérieux d’intérêt général doivent être interprétées de manière plus large lorsqu’une entité établie dans un Etat tiers se prévaut de la libre circulation des capitaux que lorsqu’il s’agit d’une entité qui a son siège dans un Etat de l’Union Européenne.

Dans ces conditions, est-il admissible au regard de l’article 56 CE qu’une entité établie en dehors de l’Union Européenne par exemple une Anstalt du Liechtenstein (qui, de plus, si elle n’est pas dans l’Union Européenne est néanmoins dans l’espace économique européen) se voit interdire la possibilité d’apporter la preuve de la sincérité de ses déclarations et se voit donc opposer une présomption irréfragable de non transparence fiscale et cela alors même que les principales dispositions du Traité de Rome ont été étendues à l’Espace Economique Européen.

La question, en tout cas, mérite d’être posée tant aux juges français qu’aux juges européens.

LA POSITION DE LA COUR DE CASSATION

La Cour de Cassation française a rendu le 8 avril dernier deux décisions qui font encore avancer le débat mais qui, à notre sens, ne mettent pas un point final à celui-ci.

Tout d’abord, statuant sur le cas de la société holding luxembourgeoise qui avait suscité les questions préjudicielles posées à la CJCE, la Juridiction de renvoi s’est bien entendu conformée à la réponse donnée par l’arrêt préjudiciel.

En revanche, dans une autre affaire la Cour de Cassation a rejeté les moyens qu’une société suisse (donc extérieure à l’Europe communautaire) avait fait valoir à l’appui de son recours à l’encontre de son imposition à la taxe de 3 %, à savoir :

– Que la soumission de l’exonération de la taxe de 3 % des personnes morales qui, en vertu d’un Traité, ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde que les personnes morales françaises à la condition qu’elles se conforment à des obligations déclaratives auxquelles n’ont pas lieu d’être soumises les sociétés françaises réalisant la même opération économique, constitue une inégalité de traitement interdite par l’article 26 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966.

– Que la non-conformité au Traité CE du régime de la taxe de 3 % tel qu’institué par les articles 990 et suivants du code général des impôts, prive de fondement légal les impositions mises à la charge de la société sur la base de ces dispositions, que dès lors l’arrêt attaqué qui fait application de celles-ci encourt l’annulation.

Il serait peut-être possible de considérer qu’en rejetant ces moyens la Cour de Cassation a implicitement admis que seule une société dont le siège est dans l’Union Européenne pouvait se prévaloir de la non-conformité au Traité CE du régime de la taxe de 3 %.

Mais la lecture de l’attendu déterminant de la Cour pourrait donner lieu à une interprétation différente :

« Attendu que le dispositif d’exonération prévu à l’article 990 E 3, entré en vigueur depuis le 1er janvier 1993, exonère les personnes morales ayant leur siège de direction effective en France et celles qui en vertu d’un Traité ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde si ces personnes morales soit communiquent directement chaque année à l’administration fiscale des renseignements concernant la situation et la consistance de l’immeuble, l’adresse des actionnaires et le nombre des actions détenues par chacun d’eux et la justification de leur résidence fiscale soit prennent l’engagement de communiquer à l’administration fiscale sur sa demande lesdits renseignements, la lettre d’engagement étant la même s’agissant de toutes les personnes morales concernées, que la Cour d’appel a donc à bon droit décidé que l’obligation de déclaration n’était ni contraire à l’article 26 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 ni discriminatoire au sens du droit communautaire et permettait de respecter la spécificité des sociétés de droit suisse, que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ».

Ainsi, la Cour de Cassation a bien pris soin de noter que, s’agissant d’une société suisse, le dispositif de la taxe de 3 % n’est pas discriminatoire au sens du droit communautaire (puisque ses obligations sont identiques à celle d’une société française) ce qui paraît impliquer que ce droit peut être invoqué.

La Cour aurait également pu remarquer, mais cela aurait été surabondant, que les sociétés suisses ne tombent pas sous le coup d’une présomption de fraude irréfragable puisqu’il leur appartient de s’exonérer de la taxe de 3 % en remplissant des obligations auxquelles les sociétés françaises elles-mêmes sont tenues.

OU S’ARRETE LA PORTEE DE L’ARTICLE 56 CE : UN DEBAT QUI RESTE OUVERT

On peut donc se demander quel aurait été l’arrêt rendu si la Cour de Cassation avait dû se prononcer sur le cas d’une personne morale telle qu’une Anstalt du Liechtenstein qui n’a aucune possibilité, dans le dispositif actuel, d’être exonérée de la taxe 3 % et qui subit ainsi tant un traitement discriminatoire qu’une présomption irréfragable de fraude et qui se serait prévalue de la libre circulation des capitaux au sens de l’article 56 CE.

Le débat nous paraît être encore ouvert et il serait souhaitable que la Cour de Cassation ait bientôt à se prononcer sur le cas des entités auxquelles le nouveau dispositif comme l’ancien texte interdit de remplir les conditions ouvrant droit à exonération.

Henri FONTANA

Avocat au Barreau de Nice

Ancien Assistant à la Faculté

CABINET FONTANEAU

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