DU DROIT RUSSE AU DROIT FRANCAIS : ITINERAIRE D’UN ACQUEREUR IMMOBILIER

 


 

Article publié dans la Revue “Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires” N° 152

 (Année 2007)


 

Depuis l’effondrement du régime socialiste en Russie, le marché de l’immobilier est entré dans une nouvelle ère en s’ouvrant aux acquisitions étrangères. En effet, pendant le régime soviétique, toutes les propriétés appartenaient à l’Etat et les particuliers avaient seulement le droit de les utiliser. Un grand bouleversement est introduit en 1986 avec la Réforme Foncière qui a introduit une notion tout à fait nouvelle pour les citoyens russes : la propriété privée immobilière. A partir de cette date commença une longue vague de privatisation, ce qui signifie pour les russes qu’ils pouvaient désormais librement choisir d’acheter et vendre leurs biens immobiliers en fonction de leur libre choix. 

Cependant, les structures mises en place sont toujours peu élaborées et apparaissent insuffisantes afin de garantir un cadre juridique sécurisé et efficace aux éventuels acheteurs. Il semblerait même que mener à bien un projet d’acquisition immobilière en Russie demeurerait un véritable parcours du combattant. 

Pour s’y retrouver, le lecteur français aura  tendance à chercher les points communs avec son propre système. Mais il est évident que son attention sera surtout attirée par les différences. En tout cas, cette comparaison d’avec le système juridique russe s’avère aujourd’hui indispensable afin de faciliter la tâche des notaires français, qui doivent faire face à un afflux notable de clients originaires de Russie, l’objectif étant d’appréhender les éventuels problèmes liés aux transactions et de satisfaire au mieux leurs exigences. L’anticipation des comportement et réaction de ces derniers s’intègre dans les objectifs de leur mission qui est celle de servir au mieux les intérêts de toutes les parties. 

Les différentes étapes de l’acquisition d’un Bien Immobilier en Russie 

Trouver la propriété de son choix 

Les personnes désirant acquérir ou vendre un bien immobilier en France disposent de plusieurs solutions : soit négocier directement entre elles les conditions de la vente, soit faire appel à un intermédiaire, agent immobilier ou le notaire qui les aidera à se rencontrer. Ce dernier cas se présente souvent comme une seule possibilité si l’acquéreur se trouve à l’étranger. A l’occasion de la transaction immobilière ainsi conclue l’intermédiaire a le droit à une commission qui est habituellement calculée en pourcentage dégressif du prix de vente de l’immeuble (généralement entre 5% et 6%). Elle peut être à la charge de l’acquéreur (« commission en sus du prix de vente ») ou du vendeur (« commission incluse dans le prix de vente »). 

La profession d’agent immobilier français est strictement réglementée par la loi du 2 janvier 1970. Il ne peut en effet servir d’intermédiaire dans une vente que s’il a reçu mandat du vendeur ou acquéreur. 

Il en est de même en ce qui concerne l’acquisition d’appartement ou de propriété foncière en Russie, par les étrangers en particulier, à cette différence près que l’agent immobilier joue ici un rôle prépondérant. En effet, le recours au notaire n’étant pas indispensable pour l’acquisition d’un Bien immobilier en Russie, il incombe à l’agent immobilier de préparer tous les documents nécessaires et effectuer les recherches, notamment sur les titres de propriété, afin d’assurer aux parties la sécurité de la transaction. 

L’agent immobilier russe a dans ce cas droit à une rémunération (frais de courtage) qui sont payés par le client auquel le service est fourni qu’il s’agisse de vente ou d’achat. Dans les deux cas, le montant des frais est en général calculé aussi en pourcentage du prix de vente à partir de 5% pour les propriétés les moins chères et décroissant à 2% pour les propriétés d’une valeur approximative de 2,000,000 USD. 

Ainsi, l’acheteur ayant jeté son dévolu sur le bien de son choix, il s’agira de présenter les différentes étapes de l’acquisition d’un bien immobilier. 

Négociation et signature du compromis de vente ou l’accord préliminaire 

La transaction immobilière se réalise en France habituellement en deux étapes : 

– la signature d’une promesse de vente

– la signature de l’acte notarié de vente 

Dès que le vendeur et l’acquéreur ont trouvé un accord sur les conditions de la vente, ils peuvent signer une promesse de vente appelé également « compromis de vente». Il s’agit d’un contrat au terme duquel le vendeur s’engage à vendre le bien immobilier déterminé et l’acquéreur à acheter ledit bien pour un prix déterminé.

L’acquéreur recourant à un prêt pour l’acquisition du bien immobilier, le compromis de vente contient systématiquement la condition suspensive d’obtention d’un crédit immobilier. 

Les russes connaissent plus ce genre de contrats sous la dénomination « accord préliminaire ». Ce dernier consiste au rassemblement de pièces administratives justifiant de la qualité des parties et surtout de leur droit de propriété sur le bien objet de vente. 

Ainsi, afin d’éviter un éventuel conflit d’intérêt, il est important aujourd’hui de procéder à une investigation minutieuse de l’histoire de la propriété convoitée (connue sous le nom d’ « origine de propriété » dans le notariat français). 

En effet, à l’époque soviétique, pour pouvoir détenir le droit d’habiter dans un appartement, on devait y être enregistré (notion connue par les russes sous le nom de  propiska ), ce qui équivalait à se voir apposer un tampon officiel délivré par un équivalent étatique de « syndic » russe (domrabrotnik, littéralement traduit comme « le gérant de l’immeuble ») attestant de l’effective occupation des lieux. Lors de la privatisation, les membres de la famille « enregistrés » dans cet appartement en devenaient les propriétaires indivis et détenaient chacun une quote-part indivise dans le logement. 

Il est d’autant plus important de vérifier l’histoire de la propriété quand on hérite d’un bien. En effet et à titre d’exemple, à la différence des lois françaises sur la succession, il est possible en Russie de devenir propriétaire d’un bien alors que l’héritier de degré immédiat est encore en vie. Par exemple, l’enfant qui hérite d’un appartement et qui ne l’administre pas en bon père de famille peut se voir retirer la propriété du bien en question au profit de son enfant qui, lui, a géré et entretenu cette propriété (habitation effective, paiement des impôts, travaux…). 

Ainsi, une fois que le droit de propriété du vendeur est bien vérifié, on procède au rassemblement de toute une série de documents concernant notamment l’état-civil des personnes : le passeport qui, pour un citoyen étranger, doit être traduit en Russe et certifié par le notaire. Dans le cas où le vendeur est marié, il devra avoir l’accord de l’époux pour conclure la vente. Si le vendeur avait conclu mariage en dehors de la Russie, l’acte et/ou le contrat de mariage doivent être traduits et une apostille doit y être apposée (tampon confirmant l’authenticité de la signature). Le recours au notaire s’avère indispensable pour bénéficier de la certification de la traduction et pour sécuriser la vente. 

Pour identifier le bien, il est nécessaire, en France, d’être en possession de documents officiels tels que extraits cadastraux et états hypothécaires. En effet, le marché foncier ne peut être viable qu’avec un support légal garantissant les droits de chacun. 

Pour ce qui est de la Russie, les différents gouvernements ont tenu à mettre en place un système cadastral complet incluant un cadastre au sens propre pour l’enregistrement des objets de droit (les immeubles eux-mêmes) et un registre foncier pour l’enregistrement des sujets de droit et des liaisons entre sujets et objets. 

Ce système a l’avantage d’avoir été créé tardivement par rapport à son homologue européen et profite donc de son expérience. Il bénéficie en outre des technologies informatiques de pointe et est parfaitement sécurisé. 

Néanmoins, en milieu urbain, même si la propriété des appartements, dans les immeubles collectifs, est maintenant largement répandue, elle n’est pas sans soulever des problèmes liés au caractère lacunaire de la loi sur la copropriété et l’émergence lente du métier de syndic immobilier. 

Il faut également savoir que la majorité écrasante des transactions immobilières en Russie s’effectue en espèces. Néanmoins, et aux fins de sécuriser la transaction, le recours au banquier est fortement conseillé : un coffre-fort de la banque remplace un dépôt fiduciaire pour garantir au vendeur que le paiement sera versé lors du transfert final des droits de propriété. 

Dans ce cas, le montant total en espèces est déposé dans un coffre à la banque avec la condition que la banque verse cette somme au vendeur sur présentation de tous les titres et documents enregistrés au nom de l’acquéreur. Ces services bancaires coûtent entre 30 et 80 dollars par coffre-fort, les russes ayant l’habitude, compte tenu de l’importance des investissements étrangers, d’utiliser, au détriment du rouble, le dollar comme devise de transaction. 

Une transaction complexe peut nécessiter jusqu’à la mobilisation de plus d’une dizaine de coffres. Dans le cas d’appartements plus chers ou appartenant à des propriétaires étrangers on utilise quelquefois le paiement par virement bancaire. Ces transactions présentent cependant plus de risques que les transactions en espèces, le système de dépôt fiduciaire n’étant pas solidement établi en Russie. 

Quand le dépôt d’argent et la vérification de l’authenticité des dollars par des officiers de la banque sont terminés, le contrat d’acquisition peut être signé. On signe en général à la banque, dans les bureaux de l’agent immobilier ou dans le cabinet du notaire si le client a choisi d’employer un notaire. On constate donc que l’acquisition d’un bien en Russie peut être valablement signé sous seing privé. 

En effet, et cela surprendra le lecteur français, la loi russe n’exige pas l’authentification par le notaire du contrat de vente. Cette dernière est malgré tout souvent recommandée, en vue de sécuriser l’opération. En Russie, le notaire est responsable de la vérification de tous les documents liés à la propriété assurant la conformité de la transaction. Le recours au notaire est assez onéreux et varie de 0,7 à 1,7% du prix de vente. 

Une fois que le contrat est signé, soit devant notaire ou directement entre les parties, on procède à l’enregistrement de l’accord vente-achat auprès du département principal du service fédéral d’enregistrement. Cet enregistrement obligatoire conditionne le transfert de propriété de l’immeuble. L’enregistrement peut être notifié par notaire ou agent immobilier dans le délai de 30 jours à partir de la conclusion de la vente. Les frais payables à l’Etat s’élèvent à environ 100$. L’enregistrement peut être également express (7 jours environ) moyennant le paiement d’un prix majoré. 

Pour ce qui est de la France, le notaire intervient obligatoirement à la vente et cela afin de formaliser et de dresser les actes authentiques de vente. C’est lui qui prend en charge les formalités liées à cette dernière et collecte pour le compte de l’Etat et des collectivités locales les droits et taxes dus à l’occasion de toute mutation d’immeuble. 

En ce qui concerne le paiement de la transaction, le notaire doit disposer de l’intégralité des fonds, le jour de la signature de la vente définitive, soit parce qu’il a reçu préalablement les fonds par virement, sur le compte de l’étude, soit parce que l’acquéreur prévoit le chèque de banque garantissant  le paiement effectif par la banque dans un délai très bref. Il est bien évidemment impossible de procéder audit paiement en espèces. 

Fiscalité de la transaction immobilière 

Reste la question de la fiscalité applicable aux acquisitions immobilières. 

En Russie, les acheteurs ne paient pas de droits lors de l’achat de la propriété. Le vendeur quand à lui devra s’acquitter du paiement de la plus-value, c’est-à-dire la différence entre le prix d’achat et le prix de vente. 

Le taux d’imposition et le calcul de l’impôt dépendent de la résidence fiscale du vendeur. En général, les personnes passant plus de 183 jours par an en Russie sont considérées comme résidents et sont soumises à un taux d’imposition de 13% sur la plus-value réalisée. Concernant les non-résidents, le taux d’imposition s’élève à 30%. 

Cependant, il existe un système d’exemption généreuse. Si le vendeur  possède une propriété depuis plus de 3 ans, celui-ci est exonéré d’impôts. A défaut, il bénéficiera d’un abattement d’un million de roubles (35.000$). A titre d’exemple, pour le prix de vente d’un appartement de 4 millions de roubles, le taux de 13% va s’appliquer sur 3 millions de roubles. 

Aucune exemption fiscale n’est malheureusement applicable aux non-résidents. Pour éviter la double imposition dans le pays de résidence, le vendeur non-résident a intérêt à consulter les accords fiscaux réciproques établis entre la Russie et son pays d’origine. 

En France, à l’occasion de la mutation de l’immeuble, l’acquéreur doit s’acquitter des droits de mutations de 5 ,9%, et du salaire du conservateur des hypothèques de 0,10% du prix d’achat. 

La plus-value est bien plus importante que celle payée en Russie. Tout d’abord l’exonération ne concerne que la résidence principale. Pour une résidence secondaire, le propriétaire devra attendre 15 ans pour être exempté définitivement d’impôt et le taux d’imposition pour un résident français et de 16% sans compter les CSG et CRDS. 

En conclusion, on constate une grande différence dans ces deux systèmes qui s’explique par la prépondérance du rôle du notaire en France.  

En effet, le droit français est en constante évolution. C’est là l’un des atouts du notaire qui, compte tenu de sa formation de juriste, est au fait des réformes et des textes de loi applicables en matière d’immobilier, de fiscalité. En outre, le notaire français est juridiquement et financièrement responsable des actes qu’il établit. Toute action qui servirait ses intérêts personnels (ou ceux de ses proches) est répréhensible et rigoureusement sanctionnée. Le notaire engage sa responsabilité sur chaque opération. Il en découle un devoir de conseil et d’information envers son client. 

Madame Olessia MOULIOUKOVA

 

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