ASSUJETTISSEMENT DES SOCIETES ETRANGERES A L’IMPOT SUR LES SOCIETES : UNE NOUVELLE JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’ETAT

 


 

Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 146 (Année 2006)

 


 

L’Administration fiscale française a pour habitude d’assimiler les sociétés anonymes étrangères et, plus généralement, les personnes morales étrangères qu’elle considère comme des sociétés de capitaux, aux sociétés anonymes françaises, et de les faire entrer dans le champ d’application de l’article 206-1 du code général des impôts qui prévoit que les sociétés anonymes sont passibles de l’impôt sur les sociétés quel que soit leur objet.

Ainsi, ces sociétés étrangères sont, pour l’Administration, réputées être commerciales par leur forme même si leur objet est purement civil avec toutes les conséquences fiscales qu’entraîne cette commercialité formelle.

L’intérêt pour le fisc, de cette assimilation, est de pouvoir assujettir à l’impôt sur les sociétés des personnes morales qui n’exercent en France aucune activité lucrative.

Le problème s’est souvent posé pour des sociétés étrangères propriétaires d’immeubles en France et qui mettent ces immeubles gratuitement à la disposition de leurs actionnaires ou d’un tiers.

L’Administration fiscale française considère que cette mise à disposition gratuite est, pour une société commerciale, un acte de gestion anormal et taxe d’office la société sur la base du loyer qu’elle aurait pu réclamer.

De même, si le loyer est inférieur à la valeur locative réelle de l’immeuble, l’Administration peut réintégrer la différence entre cette valeur locative et le loyer dans le bénéfice de la société.

En outre, les redressements ainsi encourus sont considérés comme des revenus distribués à des non-résidents et assujettis à la retenue à la source.

Il semblait que jusqu’à présent cette doctrine administrative était confortée par la jurisprudence et notamment par celle émanant du Conseil d’Etat à l’exception d’un jugement du Tribunal Administratif de Nice qui avait rejeté pour une société étrangère ce critère de commercialité par la forme mais qui était demeuré isolé.

Un arrêt du Conseil d’État du 24 mai 2006 paraît donc constituer sinon un revirement de jurisprudence du moins une évolution qui devrait rendre plus difficile l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés des sociétés étrangères qui mettent gratuitement un immeuble en France à la disposition de leurs associés.

En l’espèce l’Administration avait imposé une société anonyme de droit monégasque qui possédait en France un ensemble immobilier aménagé en colonie de vacances et maison de repos et le mettait gratuitement à la disposition de son actionnaire, une fondation qui gérait des établissements scolaires. L’Administration considérait ainsi que la seule forme revêtue par la société monégasque suffisait à la rendre passible de l’impôt sur les sociétés alors même qu’elle n’exerçait en France aucune activité lucrative.

Le Ministre de l’Economie des Finances et de l’Industrie s’était pourvu en Cassation contre un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Marseille qui avait donné décharge de cette imposition.

Dans son arrêt, le Conseil d’Etat a considéré qu’aux termes de l’article 206-1 du Code Général des Impôts : sont passibles de l’impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes ainsi que toute autre personne morale se livrant à une exploitation ou à des opérations à caractère lucratif ; que le fait pour une personne morale qui ne serait pas pour un autre motif passible de l’impôt sur les sociétés de mettre gratuitement un élément de son actif à la disposition de son actionnaire ne constitue pas par elle-même, une activité lucrative ; que l’article 206-1 ne trouve donc à s’appliquer à cette activité que dans la mesure où la société en cause pourrait être, à l’instar d’une société anonyme de droit français, regardée comme commerciale du seul fait de sa forme sociale.

Le Conseil d’État a ensuite considéré que le droit monégasque des sociétés anonymes prévoit que celles-ci selon qu’elles ont ou non un objet commercial, sont immatriculées au répertoire du commerce et de l’industrie ou au répertoire des sociétés civiles ; qu’ainsi, la Cour, qui a relevé, d’une part, que la société avait pour seul objet la mise à disposition de son principal actionnaire de son bien immobilier à l’usage de colonie de vacances pour des enfants et de maison de repos pour les enseignants, et, d’autre part, qu’elle a été immatriculée au répertoire national des sociétés civiles monégasques, a exactement qualifié les faits en en déduisant qu’à la différence d’une société anonyme de droit français, et alors même que son capital est, comme le sien, composé d’actions impliquant la limitation de responsabilité de leurs détenteurs, elle ne pouvait être regardée comme commerciale du seul fait de sa forme sociale.

Le Conseil d’Etat en a conclu que la société ne pouvant être regardée comme commerciale le moyen du Ministre tiré de l’erreur de droit qu’aurait commise la Cour Administrative d’Appel dans la dévolution de la charge de la preuve quant à l’acte anormal de gestion alléguée devait être écarté.

Le Conseil d’Etat n’a pas pour autant, semble-t-il, exclu toutes les sociétés étrangères n’exerçant pas une activité lucrative en France du champ d’application de l’impôt sur les sociétés ni considéré, d’une manière générale, que les sociétés ou autres personnes morales ne pouvaient pas être considérées comme commerciales par leur forme. Mais désormais ce critère de commercialité devra être recherché en se référant non au droit des sociétés français, mais au droit des sociétés du pays où la personne morale en cause a été constituée.

Ainsi, pour le Conseil d’Etat, à la différence d’une société française, une société étrangère ne peut être considérée comme assujettie à l’impôt sur les sociétés du seul fait de sa forme sociale en se référant au droit français. Pour déterminer s’il y a ou non assujettissement potentiel à l’impôt sur les sociétés, il faudra se référer au droit de l’Etat dans lequel la société est constituée.

Une société étrangère, même si son capital est composé d’actions impliquant la limitation de responsabilité de leurs détenteurs, qui est propriétaire d’un immeuble en France, doit pouvoir mettre gratuitement cet immeuble à disposition de ses associés sans encourir la taxation d’office dès lors que le droit du pays où elle est constituée ne lui confère pas le caractère de société commerciale indépendamment de son objet ou de l’activité qu’elle exerce.

  

Henri FONTANA
Avocat au Barreau de Nice
Ancien Assistant à la Faculté
CABINET FONTANEAU

Les commentaires sont fermés.