FIN DE LA DOUBLE IMPOSITION DES REVENUS DISTRIBUES PAR LES SCI FRANCAISES A DES RESIDENTS BELGES PERSONNES PHYSIQUES

 


 

Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 141 (Année 2005)


 


La Cour de Cassation a pris, le 2 décembre 2004, la décision importante de casser l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Bruxelles, le 7 novembre 2002, en matière de société civile immobilière de droit français.

Les sociétés civiles immobilières sont des sociétés passibles de l’impôt sur le revenu dans les conditions de droit commun, dont l’objet exclusif est de donner en location non meublée les immeubles sociaux.

Pour les sociétés à forme civile, l’assujettissement à l’impôt sur le revenu est subordonné au caractère civile l’activité exercée par la société. Ces sociétés doivent donc limiter leur activité, soit à la gestion non commerciale de leur patrimoine immobilier, soit essentiellement à la location non meublée des immeubles leur appartenant. Leurs statuts peuvent néanmoins prévoir l’aliénation des immeubles sociaux. Il faut en outre que la société n’ait bien évidemment pas opté pour l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés.

Le régime d’imposition des revenus découle directement des dispositions de l’article 8 du Code Général des Impôts. Cet article prévoit que les bénéfices sociaux des sociétés de personnes ne sont pas imposés au nom de la société mais que chacun des associés est personnellement taxable à l’impôt sur le revenu (s’il s’agit d’une personne physique) pour la quote-part des bénéfices correspondant à ces droits.

Le revenu est alors imposé chez l’associé dans la catégorie des revenus fonciers.

L’Administration fiscale belge refuse de reconnaître ce régime spécifique de transparence fiscale.

Dés lors les revenus qu’un contribuable résident belge retire d’une SCI sont considérés comme des distributions de dividendes.

Il résulte de ce fait une double imposition. Les revenus sont, en effet, imposés une première fois au titre des revenus fonciers en France. Cependant, comme l’administration fi scale belge ne tient pas compte de la qualification française et qualifie, à son tour, ces revenus de dividendes, ces derniers sont imposables, au titre de l’article 15 de la convention franco-belge, dans le pays de résidence du contribuable, soit la Belgique.

Deux décisions ont été rendues à ce propos :

– La première en 1974, par la Cour d’appel de Bruxelles qui s’est prononcée sur la question de savoir si la transparence fiscale d’une société civile immobilière en France avait comme conséquence, que les associés belges pouvaient être imposés en Belgique sur leurs parts dans les revenus non-distribués de la société française.

La Cour d’appel, dans sa première décision, a décidé que l’administration fi scale belge n’était pas liée par la qualification fiscale française.

Dans la mesure où une SCI possède la personnalité juridique en droit français, une distribution de ses bénéfices ne peut être considérée autrement en Belgique que comme un dividende imposable dans le chef des associés de la SCI.

Le fait que la législation fiscale française traite les résultats de la société comme des revenus fonciers des associés, au prorata de leur participation dans la société qui est considérée comme transparente n’a pas être pris en considération.

Seul le droit fiscal belge s’applique.

– Dans la deuxième décision du 7 novembre 2002, la Cour d’appel de Bruxelles a également rejeté l’extension de la transparence fiscale française en vertu du principe de l’application souveraine des règles belges de droit fiscal aux revenus réalisés par un résident belge.

Dans cette affaire, la Cour a examiné l’application de l’article 2 du Protocole final additionnel de la Convention. Dans cet article du Protocole, la transparence fiscale des SCI est reconnue, mais elle ne doit pas porter atteinte au droit de la Belgique d’imposer les distributions de bénéfices au titre de dividendes, ainsi que le prévoit l’article 15 de la convention.

L’article 2 alinéa 2 est rédigé ainsi : « …2. L’article 15, paragraphe 1, ne s’oppose pas à ce que la France, conformément aux dispositions de sa loi interne, considère comme des biens immobiliers, au sens de l’article 3 de la Convention, les droits sociaux possédés par les associés ou actionnaires des sociétés qui ont, en fait, pour unique objet, soit la construction ou l’acquisition d’immeubles ou de groupes d’immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées à leurs membres en propriété ou en jouissance, soit la gestion de ces immeubles ou groupes d’immeubles ainsi divisés. La Belgique pourra toutefois imposer, dans les limites fixées aux articles 15, paragraphes 1 et 2, et 19-A, paragraphe 1, les revenus tirés par des résidents de la Belgique de droits sociaux représentés par des actions ou parts dans lesdites sociétés résidentes de la France. »

Dans l’affaire jugée, la société concernée n’était pas une société de ce type. Cependant la Cour d’Appel attribua, tout de même à la Belgique, le pouvoir d’imposer, au titre des dividendes, sur la base de la disposition du protocole.

La doctrine était contre cette interprétation de la Cour d’Appel de Bruxelles. Elle considérait qu’il était plus logique de se baser sur la qualification que le droit français donne aux revenus d’une SCI, pour l’application de la convention.

Ainsi la compétence d’imposition devrait revenir à la France, aux termes de l’article 3 de la convention, puisqu’elle considère que ce sont des revenus immobiliers.

Un pourvoi a été introduit contre cette décision de la Cour d’Appel de Bruxelles et la Cour de Cassation a faite sienne la thèse de la doctrine.

Pour la Cour de cassation, la thèse selon laquelle on ne peut considérer, en Belgique, les dividendes de la société immobilière comme des revenus fonciers en vertu de la loi fiscale française, ne trouve aucun appui dans la Convention et ne tient pas compte de l’application complète de la Convention.

Elle réfute l’application du point du Protocole additionnel : « Ce point 2 du protocole final de la Convention ne contient dès lors uniquement que des dispositions permettant à la France d’appliquer le régime de transparence instauré par la loi fiscale française aux seules sociétés dites «d’attribution».

Il est sans effet sur le régime fiscal belge des dividendes. »

La Cour de Cassation a, de plus, constaté que l’arrêt d’appel est contraire aux dispositions générales de la Convention, et plus particulièrement à l’article 3 qui concerne les revenus de biens immobiliers, à l’article 15 sur les dividendes et à l’article 19 A qui prévoit les méthodes pour éviter la double imposition.

La Cour, pour déterminer si les revenus de la SCI doivent être considérés comme des dividendes belges ou des revenus immobiliers français, se fonde sur l’article 3 de la Convention, qui prévoit que la notion de « bien immobilier » se détermine en fonction de du droit interne de l’Etat contractant où est situé le bien considéré.

De plus, la Cour de Cassation reprocha à l’arrêt attaqué d’avoir omis de tenir compte de l’application de l’article 15, § 5, de la Convention précitée du 10 mars 1964 qui précise que :

«Le terme ‘dividendes’ employé dans le présent article désigne, sous réserve de l’article 4, § 2, les revenus provenant d’actions, actions ou bons de jouissance, parts de mine, parts de fondateur, ou autres parts bénéficiaires ainsi que les revenus d’autres parts sociales soumis au même régime que les revenus d’actions par la législation fiscale de l’Etat dont la société distributrice est un résident ».

Cette disposition, précise la Cour suprême belge, impose au juge belge de réserver la qualification de « dividendes », auxquels s’applique le régime d’imposition visé à l’article 15, § 1er, de la Convention du 10 mars 1964, aux seuls revenus soumis au même régime que le sont les revenus d’actions par la législation fiscale française.

Suivant la législation fiscale française, sont seuls considérés comme des revenus d’actions les revenus qui proviennent de distributions de sociétés soumises à l’impôt des sociétés (article 108 du Code général des impôts français).

La Cour décide dés lors, que la Cour d’Appel de Bruxelles n’a pas respecté les dispositions de la Convention, dans la mesure où l’application de l’article 3 de la dite Convention oblige la Belgique à exonérer ces revenus de l’impôt sur les personnes physiques, sous réserve de l’application de la règle du taux effectif, qui permet de respecter la progressivité.visée à l’article 15 de la convention, aux seuls revenus soumis au même régime que les revenus d’actions par la législation fiscale française.

Selon la Cour de cassation, cet arrêt viole le principe général de droit de la primauté des règles de droit international conventionnel sur celles du droit interne.

En conclusion, la Belgique ne peut pas imposer, selon l’arrêt de la Cour de Cassation, les distributions provenant d’une société civile immobilière de droit français, qui n’est pas une société civile d’attribution, telle qu’elle est définie dans le Protocole additionnel.

Ces revenus sont imposables en France, au titre des revenus fonciers et exclusivement en France.

Françoise VANDOREN
Avocat aux Barreaux de Paris et Bruxelles
Docteur en Droit

Les commentaires sont fermés.