LA TAXE DE 3% DUE PAR CERTAINES PERSONNES MORALES POSSEDANT DES IMMEUBLES EN FRANCE A L’EPREUVE DU DROIT COMMUNAUTAIRE : LE CAS DES SOCIETES AYANT LEUR SIEGE SOCIAL A GIBRALTAR

 


 

Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 141 (Année 2005)


 

Jusqu’en 1981, l’article 209 A du CGI, soumettait les sociétés ayant leur siège hors de France, et disposant d’une ou plusieurs propriétés immobilières situées en France, ou en concédant la jouissance gratuitement ou moyennant un loyer anormalement bas, à un impôt sur les sociétés, calculé sur une base qui ne pouvait être inférieure à trois fois la valeur locative réelle de ces propriétés, sauf en cas de location en meublé.

Cette disposition a été jugée non-conforme aux clauses de non-discrimination incluses dans les conventions fiscales dès lors qu’elle pouvait aboutir à imposer plus lourdement les sociétés étrangères auxquelles elle s’appliquait, que les sociétés françaises placées dans la même situation.

Le dispositif de l’article 209 A du CGI a été abrogé pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 1982. Le législateur lui a en effet substitué une taxe de 3% sur la valeur vénale des immeubles situés en France due par certaines personnes morales non-résidentes (loi du 29 décembre 1982, applicable depuis le premier janvier 1983).

L’esprit du dispositif est resté identique : il s’agit pour l’administration fi scale de dissuader l’acquisition de biens ou de droits immobiliers situés en France, par l’interposition de personnes morales établies notamment dans des paradis fiscaux.

Dans une telle hypothèse, il est en effet quasiment impossible à l’administration fi scale de connaître l’identité des associés afi n de les soumettre soit à l’ISF, soit aux droits de mutation dus lors de la cession de droits sociaux, à titre gratuit ou onéreux.

Pour cette raison, la taxe de 3% agit comme un substitut forfaitaire à ces impôts, ainsi qu’à l’impôt sur les plus-values qui peuvent être réalisées lors de la cession des titres.

La taxe a connu une réforme importante en 1993 (article 29 de la loi de fi nances pour 1993). Celle-ci a consisté essentiellement à étendre le champ d’application du dispositif aux sociétés françaises, afi n de faire échec à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui le considérait comme discriminatoire dans la mesure où il ne visait que les sociétés étrangères.

Toutefois, corrélativement à l’extension du champ d’application de la taxe aux sociétés françaises, la loi de finances pour 1993 a élargi les cas d’exonération, de telle sorte que dans la pratique, les sociétés françaises ne sont normalement pas concernées par cette taxe.

De manière globale la taxe de 3% ne s’applique, en simplifiant, qu’aux sociétés situées dans des pays n’ayant pas conclu avec la France de convention fi scale, ou bien aux sociétés pour lesquelles l’anonymat des associés est préservé (Réponse Périssol, JOAN 9 mai 1994, p.2329).

Ce survol rapide du dispositif dit « de la taxe de 3% », met immédiatement en relief, le caractère potentiellement discriminatoire qui peut être le sien dans certaines circonstances. En effet, alors que dans la pratique, comme nous l’avons relevé, les sociétés françaises ne sont normalement pas concernées par cette imposition (sous réserve des conditions tenant à l’anonymat des associés), les sociétés étrangères placées au regard de la disposition des biens ou droits immobiliers en cause, dans la même situation que les sociétés françaises exonérées, n’échapperont à la taxe, pour autant que leur État de siège soit lié à la France par une convention fiscale.

L’exonération de la taxe de 3% au bénéfice des sociétés étrangères ainsi conditionnée par le lieu de situation du siège de ces sociétés, selon que celui-ci permet ou non d’invoquer utilement une convention fi scale, repose directement sur le critère du siège social, et présente de ce fait un caractère potentiellement discriminatoire.

Ce traitement différencié contenu en germe dans le dispositif de la taxe dite de 3%1, soulève évidemment des difficultés d’ordre pratique à partir du moment où il s’agit d’en apprécier la compatibilité avec le droit communautaire. En effet, dès lors qu’une société étrangère placée dans la même situation qu’une société française exonérée2, et ne pouvant invoquer utilement le bénéfice d’une convention pour échapper à la taxe, est une société communautaire, il en résulte nécessairement une atteinte au principe communautaire de non-discrimination.

Nous savons en effet que pour l’application du principe communautaire de nondiscrimination le critère du siége social joue, pour les personnes morales, un rôle analogue à celui-ci de la nationalité pour les personnes physiques, de telle sorte que dans la mise en œuvre des libertés économiques conférées aux personnes morales par le traité de Rome, les discriminations en fonction du siège, sont rigoureusement sanctionnées par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE).

À ce titre, pour les sociétés, en matière fiscale, la portée du principe communautaire de non-discrimination est illustrée avec force par la CJCE, dans le cadre de la censure des entraves fiscales à la mise en œuvre des libertés économiques fondamentales garanties par le traité de Rome, et notamment de la liberté d’établissement. La Cour de justice s’attache en effet à démanteler parmi les législations nationales, celles de leurs dispositions instaurant un traitement fiscal différencié en fonction du siège des sociétés. L’effet de telles dispositions est de limiter les choix des opérateurs économiques quant aux implantations de leurs structures, en pénalisant par un traitement fiscal discriminatoire certains lieux d’implantation.

Tel est indéniablement l’effet du dispositif de la taxe dite de 3%, qui comporte un effet dissuasif, s’agissant de la détention de biens ou droits immobiliers situés en France par l’interposition de sociétés communautaires ayant leur siège dans des États membres non liés à la France par une convention fiscale. Nous savons à ce propos que les discriminations fiscales en fonction du siège des sociétés communautaires sont également censurées par la Cour de justice, lorsqu’elles proviennent du champ d’application des conventions fiscales conclues entre États membres3.

Certes, s’agissant de droits ou de biens immobiliers situés en France, l’étendu du réseau conventionnel français dans le cadre communautaire devrait réduire dans ce contexte les hypothèses d’application de la taxe de 3%, à de simples cas d’école. Toutefois, les réalités pratiques sont d’un autre ordre. En effet, certains territoires faisant partie du champ d’application des libertés économiques communautaires, ne sont pas liés à la France par une convention fiscale, si bien que les sociétés à prépondérance immobilière ayant leur siège dans ces territoires, sont soumises à la taxe de 3% à raison de la possession de biens ou droits immobiliers situés en France4.

Telle est la situation des sociétés implantées à Gibraltar. La présente étude tentera ainsi d’établir dans quelles conditions, les sociétés à prépondérance immobilière5 ayant leur siège à Gibraltar, peuvent sur le fondement du droit communautaire, échapper à la taxe de 3%, qui peut leur être appliquée du fait de la possession de biens ou droits immobiliers situés en France.

I. Évaluation de la situation à la lumière du CGI : l’application de la taxe de 3% au cas d’espèce :

L’hypothèse qui nous intéresse est la suivante : une société ayant son siège social à Gibraltar possède des immeubles ou des droits immobiliers situés en France (la société est à prépondérance immobilière).

Dans ce cas, un examen strict de la situation laisse apparaître l’inapplicabilité en l’espèce des dispositions d’exonération contenues dans le CGI, faute pour Gibraltar d’être liée à la France par une convention fiscale au sens des articles 990 E 2° ou 990 E 3° du CGI. Il s’en suit que, sur le fondement des dispositions pertinentes du CGI, la taxe de 3% est ici pleinement applicable.

a) L’inapplicabilité de l’article 990-E-2° : exonération conditionnelle (sous réserve du respect de certaines formalités déclaratives) accordée aux personnes morales dont le siège est situé dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d’assistance administrative :

Aux termes de l’article 990-E-2° du CGI, l’existence d’une convention d’assistance administrative au sens de cette disposition, implique que l’administration française puisse obtenir auprès de l’administration de l’autre État ou Territoire concerné les renseignements nécessaires pour appliquer non seulement les dispositions de la convention, mais aussi les dispositions de la législation interne française, relatives aux impôts visés par la convention.

L’exonération est subordonnée au dépôt chaque année, avant le 16 mai de l’année considérée, d’une déclaration n°2746 comportant les renseignements suivants :

  • Lieu de situation, consistance et valeur vénale des immeubles et droits immobiliers possédés en France, directement ou par l’intermédiaire d’une ou plusieurs personnes morales interposées, au 1er janvier de l’année ;

 

  • Identité et adresse de leurs actionnaires, associés ou autres membres à la même date ;

 

  • Nombre des actions et parts détenues par chacun d’eux.

Aucune convention de cette nature n’a été conclue entre la France et Gibraltar, si bien que l’exonération de l’article 990-E-2° du CGI ne pourra être invoquée.

Bien que la convention franco-britannique du 22 mars 1968 comporte une clause d’assistance administrative au sens de l’article 990-E-2° du CGI, Gibraltar, au même titre que d’autres territoires liés au Royaume-Uni, est exclue du champ d’application territoriale de la convention6.

b) L’inapplicabilité de l’article 990-E-3° : exonération conditionnelle (sous réserve du respect de certaines formalités déclaratives) accordée aux personnes morales dont le siège de direction effective, est situé en France ou qui en vertu d’un traité doivent bénéfi cier du même traitement que les personnes morales ayant leur siège en France :

Le bénéfice de l’exonération prévue par l’article 990-E-3° du CGI, nécessite l’existence d’une convention fiscale conclue entre la France et l’État du siège de la société, comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité présentant les caractéristiques suivantes :

  • Elle doit être applicable aux nationaux, et non aux seules personnes physiques ;

 

  • Les nationaux doivent être expressément défi nis dans la convention comme incluant les personnes morales ;
  • La clause de non-discrimination doit viser expressément les impôts de toute nature ou dénomination.

La personne morale qui entend bénéficier de l’exonération doit communiquer chaque année à l’administration fiscale les renseignements visés au paragraphe précédent7, ou prendre l’engagement de communiquer de tels renseignements, ainsi que la justification de la résidence fiscale de ses actionnaires, associés, ou autres membres.

En l’absence de convention fiscale conclue entre la France et Gibraltar, aucune clause de non-discrimination n’est invocable en l’espèce afin de bénéficier de l’exonération de l’article 990-E-3° du CGI.

En outre si la convention franco-britannique comporte une telle clause, deux séries de considérations excluent son applicabilité au cas d’espèce :

D’une part, la précision a déjà été apportée en ce qui concerne l’inapplicabilité de cette convention dans le cadre de l’exonération prévue par l’article 990-E-2° du CGI, la convention franco-britannique exclut Gibraltar de son champ d’application.

De plus, l’éventuelle localisation du siège de direction effective de la société sur le territoire du Royaume-Uni (où pourrait se trouver par exemple la résidence des associés, et le lieu effectif d’élaboration des décisions sociales), ne permet pas de bénéficier de l’exonération de l’article 990-E-3° du CGI, en invoquant le bénéfice de la clause de non-discrimination contenue dans cette convention.

Bien que dans une telle circonstance, la localisation du siège de direction effective de la société sur le territoire anglais, devrait permettre de qualifier cette société de société résidente, afin de bénéficier de la clause de non-discrimination contenue dans la convention, l’administration pourrait se prévaloir dans ce cas, en vertu des articles 1837 du Code civil, et 3 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, du siège statutaire8.

En effet, selon cette disposition, aucune personne morale dont le siège est situé dans un État non lié à la France par une convention comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité ne peut se prévaloir d’une différence de situation entre son siège statutaire et son siège réel pour obtenir le bénéfice d’une convention plus favorable.

Ainsi en l’espèce, l’éventuelle localisation du siège réel de la société sur le territoire britannique serait inopposable à l’administration fiscale, qui pourrait se prévaloir du siège statutaire pour refuser le bénéfice de l’article 990-E-3° du CGI.

De plus la création d’une société sur le territoire du Royaume-Uni, interposée entre la société sise à Gibraltar, et la détention de l’immeuble, ne permet pas non plus d’échapper effectivement au paiement de la taxe, puisque la seconde phrase de l’article 990-F du CGI dispose : « Lorsqu’il existe une chaîne de participations, la taxe est due par la ou les personnes morales qui dans cette chaîne, sont les plus proches des immeubles ou droits immobiliers et qui ne sont pas exonérées en application du 2° ou 3° de l’article 990-E du CGI ». Dans une telle situation alors que la société implantée au Royaume-Uni, pourrait bénéfi cier en vertu de la convention franco-britannique de l’une des exonérations prévues aux articles 990 E du CGI 2° et 3°, l’imposition serait reportée sur la société qui dans cette chaîne de participations présente cumulativement deux caractéristiques : être la plus proche du bien immobilier, et ne pas être exonérée de la taxe en vertu des articles 990-E 2° ou 3° du CGI, ce qui, dans notre exemple, est le cas de la société sise à Gibraltar9.

L’absence de convention fiscale entre la France et Gibraltar, illustre le caractère paradoxal du dispositif de la taxe dite de 3%. L’absence d’une telle convention comportant l’une des clauses visées par les articles 990 E 2° (clause d’assistance administrative) et 990 E 3° du CGI (non-discrimination) a pour conséquence de soumettre les sociétés sises à Gibraltar à la taxe, alors même qu’elles auraient communiqué à l’administration fiscale les renseignements permettant de mettre fin à l’anonymat des associés.

En effet, comme nous avons pu le constater, outre la communication de renseignements concernant la situation de l’immeuble ainsi que l’identité des associés, les exonérations des articles 990-E 2° et 3° du CGI, nécessitent l’existence soit d’une convention d’assistance administrative (ou d’une convention fiscale comportant une telle clause), soit d’une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité, entre la France et l’État de siège de la société. Or nous savons qu’aucune convention comportant l’une de ces clauses n’a été conclue entre la France et Gibraltar.

C’est pourquoi, nonobstant la communication spontanée des renseignements requis, la société ne peut bénéficier des exonérations précitées. La situation peut sembler paradoxale, puisque l’objet du dispositif est, comme nous l’avons relevé, d’agir comme un substitut à l’ISF ou aux droits de mutation, lorsque la localisation du siège de la société détentrice de l’immeuble situé en France, ne permet pas à l’administration d’identifi er les associés afin de les soumettre à ces prélèvements.

Ce paradoxe trouve sa justification dans la jurisprudence de la Cour de cassation développée avant la réforme de 1993. Avant cette réforme, la taxe n’était applicable qu’aux sociétés étrangères. Dans ce contexte, la Cour de cassation avait considéré que les personnes morales résidentes de pays avec lesquels la France avait conclu une convention fiscale comportant une clause de non discrimination, devaient être exonérées10. La Cour considérait en effet qu’à partir du moment où les sociétés françaises étaient exonérées, les sociétés étrangères devaient l’être également, sur le fondement du principe de non-dicrimination, puisque ces sociétés se trouvaient objectivement placées dans la même situation au regard du fait générateur de la taxe (posséder un immeuble au premier janvier de l’année considérée).

Développée notamment à propos des sociétés suisses, cette jurisprudence avait pour effet, dès lors que la taxe n’était pas exigible des sociétés françaises, de ne plus l’être pour les sociétés étrangères conventionnées sans que l’administration ne puisse pour autant exiger d’informations sur la résidence et l’identité des actionnaires pour vérifier leur assujettissement à l’ISF ou aux droits de mutation.

C’est la raison pour laquelle l’article 29 de la loi de fi nances pour 1993 aligne le traitement des sociétés françaises sur celui des sociétés étrangères. Cependant pour les premières, cet article a prévu des conditions d’application suffisamment larges pour que la taxe ne soit pas exigible lorsque l’administration dispose des informations qui lui permettent d’asseoir les impôts auxquels la taxe de 3% se substitue en fait.

C’est également la raison pour laquelle, s’agissant des sociétés étrangères, le bénéfice d’une clause de non-discrimination (article 990-E-3° du CGI) est désormais subordonné, comme le bénéfice de l’exonération liée à l’existence d’une convention d’assistance administrative avec l’État de siège de la société (article 990-E-2° du CGI), au dépôt d’une déclaration 2746, comportant les renseignements précités s’agissant de la situation des immeubles et de l’identité des associés.

De manière générale, ces considérations permettent de dégager un constat applicable à l’ensemble des exonérations prévues aux articles 990-E 2° et 3° du CGI :la communication des informations permettant à l’administration de mettre fin à l’anonymat des associés, est inopérante dès lors que le siège de la société est situé dans un État ou territoire non lié à la France par une convention fiscale comportant une clause d’égalité de traitement ou d’assistance administrative au sens de ces dispositions.

Ce constat est renforcé par la jurisprudence de la Cour de cassation qui a pris soin de préciser que le fait générateur de la taxe, tel que définit par l’article 990 D du CGI, ne se référant aucunement à la détention anonyme des biens, doit être soumise à la taxe de 3%, une Anstalt du Lichtenstein, dont les titres ont été rapatriés en France par leur détenteur11.

Toutefois Gibraltar étant intégrée au territoire de la Communauté européenne pour l’application de certaines dispositions du traité, la présente situation doit également être appréciée selon nous à la lumière du principe communautaire de non-discrimination.

II. Appréciation de la situation à la lumière du droit communautaire :

Lors de l’adhésion du Royaume-Uni à la communauté européenne en 1973, il fut spécifié que le traité s’appliquerait également à Gibraltar à la triple exception suivante : l’union douanière, la TVA et la politique agricole commune. Il en résulte par exemple que les directives mère/fille, OPCVM et sur l’assistance mutuelle en matière fiscale s’y appliquent. Il en va de même s’agissant de la liberté de circulation des personnes et des marchandises depuis que le Royaume-Uni et l’Espagne ont supprimé, par un traité de 1984, toute restriction entre l’Espagne et Gibraltar en la matière.

Les libertés économiques du traité de Rome sont donc pleinement applicables sur le territoire de Gibraltar. La précision est importante, puisque la Cour de justice soumettant la fiscalité directe aux exigences du traité12, censure les entraves fiscales à l’exercice des libertés économiques garanties par le traité. Dans ce cadre la Cour de justice s’attache en particulier à éliminer celles de ces entraves qui résultent d’un traitement fiscal discriminatoire, que la discrimination soit ostensible (directement fondée sur la nationalité) ou indirecte, en aboutissant dans les faits à un résultat analogue. À ce propos, le critère du siège social, joue pour les personnes morales, une fonction analogue à celle de la nationalité pour les personnes physiques13, de telle sorte que la Cour censure tant les entraves fiscales fondées sur le critère du siège des sociétés, que sur d’autres critères aboutissant dans les faits à un résultat identique.

En l’espèce, l’absence de convention fiscale entre la France et Gibraltar, au regard de la taxe de 3% sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par certaines personnes morales, place les sociétés sises à Gibraltar, dans une situation moins favorable que les sociétés françaises, ou les autres sociétés communautaires ayant leur siège dans un État permettant de bénéficier des dispositions d’une convention fiscale, ouvrant droit à l’une des exonérations des articles 990-E 2°ou 3° du CGI.

Nous nous attacherons dans un premier temps à identifier le caractère discriminatoire de la situation, avant de déterminer dans un second temps, au titre de quelle liberté garantie par le traité de Rome une telle discrimination pourrait être invoquée.

A) Le caractère discriminatoire de la situation au sens du droit communautaire :

Malgré la réforme intervenue en 1993, qui place les sociétés françaises dans le champ d’application de la taxe de 3%, seules les personnes morales qui ont leur siège hors de France sont effectivement concernées par cette imposition. En effet, il suffit pour les personnes morales dont le siège est situé en France, de déposer chaque année une déclaration n°2746, ou de prendre l’engagement de communiquer à l’administration, sur sa demande, les renseignements contenus dans cette déclaration afi n d’échapper à la taxe. Pour les personnes morales dont le siège est situé à l’étranger, la communication de ces renseignements est insuffisante, puisque le bénéfice de l’exonération nécessite en outre que l’État du siège soit lié à la France par une convention fiscale comportant soit une clause d’égalité de traitement, soit une clause d’assistance administrative.

Les sociétés étrangères, et notamment communautaires, se trouvent ainsi potentiellement placées dans une situation moins favorable que les sociétés françaises, ou les autres sociétés communautaires bénéficiant d’une convention fiscale, malgré l’identité de leur situation au regard du fait générateur de la taxe : la possession d’un immeuble ou de droits immobiliers en France au premier janvier de l’année considérée.

À ce titre, la Cour de justice censure les entraves fiscales résultant pour les justiciables communautaires du champ d’application des conventions fiscales. Elle oblige les États membres à étendre le bénéfi ce des conventions fiscales conclues avec d’autres États membres, à l’ensemble des ressortissants communautaires placés sur le territoire des États contractants, dans la même situation que les ressortissants de ces États14.

Or, en l’espèce, une société sise à Gibraltar, possédant un immeuble en France, est objectivement placée dans la même situation qu’une société espagnole par exemple, qui pourra quant à elle bénéficier de l’exonération prévue à l’article 990-E-3° du CGI à raison des biens ou droits immobiliers qu’elle possède en France, sur le fondement de la clause de non-discrimination contenue dans la convention franco-espagnole, sous réserve du respect des obligations déclaratives prévues à cet effet.

La société sise à Gibraltar ne pourra ici bénéficier de cette exonération quand bien même celle-ci communiquerait les renseignements requis dans la déclaration 2746, au motif que Gibraltar n’est pas liée à la France par une convention fiscale. C’est donc bien le siège de la société qui fonde en l’espèce un traitement fiscal différencié, puisqu’une société implantée dans un autre État membre, lié à la France par une convention fiscale, et se trouvant dans la même situation que la société sise à Gibraltar, pourra bénéficier de l’une des exonérations des articles 990-E 2°ou 3° selon que la convention comporte l’une ou l’autre des clauses exigées par ces dispositions.

La jurisprudence de la Cour de justice sur l’application des conventions fiscales, devrait permettre en principe d’obtenir le remboursement de la taxe de 3%, dès lors que d’autres sociétés communautaires échappent à cette imposition au seul motif que leur siège est situé dans un État lié à la France par une convention fiscale comportant l’une des clauses visées aux article 990-E, 2° et 3°.

La Cour de justice a déjà précisé que le contenu des conventions fiscales conclues par les États membres ne justifie pas un traitement fiscal différencié des sociétés non résidentes15.

Elle admet néanmoins l’existence d’entraves fiscales à l’exercice des libertés conférées par le traité dès lors qu’elles ont pour objet notamment, d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux16, à condition que les mesures prises à cet effet soient nécessaires et proportionnées, eu égard aux objectifs ainsi poursuivis.

Tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, nous savons que la taxe de 3% se substitue en fait17 à l’ISF, ainsi qu’aux droits de mutation à titre gratuit ou onéreux, lorsque la localisation du siège de la société détenant des biens ou droits immobiliers en France, ne permet pas à l’administration de connaître l’identité des associés afin de les soumettre à ces prélèvements.

Or en l’espèce, malgré l’engagement qui pourrait être pris par la société sise à Gibraltar, de communiquer ces renseignements à l’administration fi scale, l’exonération de la taxe de 3% est refusée au motif que Gibraltar n’est pas liée à la France par une convention fiscale comportant une clause permettant d’invoquer le bénéfice de l’une des exonérations prévues aux articles 990-E 2° ou 3° du CGI. La condition de proportionnalité fait ici clairement défaut, puisque malgré la communication des renseignements permettant à l’administration fiscale d’assurer l’assujettissement des personnes concernées aux impôts auxquels la taxe de 3% se substitue, l’exonération sera néanmoins refusée du seul fait de la localisation du siège de la société. Cette situation est d’autant plus absurde que la taxe de 3% sera ici pleinement appliquée alors même qu’il ressortirait des informations transmises spontanément par la société, que ses associées ne sont redevables d’aucune imposition en France.

La discrimination nous semble en conséquence clairement caractérisée.

Il nous reste à déterminer dans le cadre de quelle liberté garantie par le traité cette discrimination pourrait ainsi être invoquée.

B) L’atteinte à une liberté fondamentale garantie par le Traité :

Les développements qui précèdent nous ont permis de révéler le caractère discriminatoire du dispositif dit de la taxe de 3%, apprécié à l’aune du droit communautaire. Ce dispositif comporte de manière plus précise un effet dissuasif, puisqu’il pénalise la possession de biens ou droits immobiliers situés en France par l’interposition de sociétés ayant leur siège social à Gibraltar, en soumettant ces sociétés à une imposition qui ne sera pas subie par d’autres sociétés communautaires dont le siège social est situé sur le territoire d’États membres liés à la France par une convention fiscale comportant les dispositions exigées par la doctrine administrative afin d’échapper à la taxe.

Cet effet dissuasif porte atteinte à notre sens, à l’exercice de deux libertés économiques fondamentales garanties par le traité de Rome, pleinement applicables sur le territoire de Gibraltar :

La liberté d’établissement (1) ;

La libre circulation des capitaux (2).

1) Le principe de liberté d’établissement :

Aux termes de l’article 43 (ex 52) du traité « la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants. La suppression des restrictions à la liberté d’établissement s’entend aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un autre État membre »18.

Il est intéressant de souligner à ce propos, que la Cour de justice, pour l’application de l’article 43 du traité, semble s’écarter de la stricte défi nition économique de la notion de liberté d’établissement qui peut résulter d’une interprétation littérale de cette disposition. Ainsi, par exemple, constatant l’incompatibilité avec le droit communautaire de l’article 167 bis du CGI, disposition depuis lors abrogée par la loi de finances pour 2005, la Cour de justice a pu caractériser l’exercice de la liberté d’établissement au cas d’un simple transfert de domicile, d’un État membre vers un autre État membre19. La précision nous semble fondamentale quant à l’objet de ce paragraphe, puisqu’il en résulte à notre sens que, dans ce contexte, la constitution d’une société à Gibraltar ayant par exemple, pour simple objet, la détention d’une résidence secondaire en France, entre dans le champ d’application du principe de liberté d’établissement20.

Dès lors, il est évident que le traitement fiscal réservé aux sociétés sises à Gibraltar, au titre de la taxe de 3%, les place au regard de la possession de biens ou droits immobiliers situés en France, sous le joug d’un régime moins favorable que celui des autres sociétés communautaires échappant à la taxe, et se trouvant pourtant dans une situation identique au regard de la possession de ces biens ou droits immobiliers.

Cette différence de régime fiscal créé ainsi un effet dissuasif, en rendant moins attractive pour les ressortissants communautaires, la possession de biens ou droits immobiliers situés en France par l’interposition d’une société sise à Gibraltar. Cet effet dissuasif constitue une restriction à la liberté de choix garantie aux ressortissants communautaires, par l’article 43 du traité quant à la création de sociétés qui, compte tenu de ce traitement fi scal discriminatoire, seront amenés à éviter d’implanter sur le territoire de Gibraltar une société ayant pour objet la possession de biens ou droits immobiliers situés en France dès lors que celle-ci est susceptible de se voir appliquer la taxe de 3%21.

Dans ce cas, l’article 43 du traité22 devrait permettre aux sociétés implantées à Gibraltar et assujetties en France à la taxe de 3% de former un recours administratif contentieux afin d’obtenir la décharge de cette imposition, et de bénéficier des exonérations des articles 990 E 2° et 990 E 3° du CGI dans les mêmes conditions que les sociétés communautaires conventionnées, sans que l’absence de convention fi scale liant l’État français et Gibraltar ne puisse justifier le refus du bénéfice de l’une de ces exonérations.

Un raisonnement identique permet de caractériser une atteinte au principe de libre circulation des capitaux.
2) Le principe de libre circulation des capitaux :

Les mouvements de capitaux auxquels l’article 56 (ex 73 B) du Traité, et l’article premier de la directive n°88/361 CEE du Conseil du 24 juin 1988 interdisent toute restriction, sont définis de manière non exhaustive, par une nomenclature figurant en annexe de la directive. La Cour de justice considère ainsi que l’interdiction des restrictions aux mouvements de capitaux concerne notamment les opérations visées dans cette annexe, la nomenclature qui y figure à ce titre étant jugée par la Cour de Luxembourg comme tout à fait pertinente23.

 

Dans le cadre du présent paragraphe nous porterons une attention toute particulière au point II sous A, de cette annexe, qui qualifie de mouvements de capitaux au sens de la directive :

« Les investissements immobiliers effectués sur le territoire national par des non-résidents ».

La notion d’investissements immobiliers se trouve elle-même précisée par la directive, les investissements immobiliers constituant des mouvements de capitaux étant eux-mêmes définis dans ces termes :« les achats de propriétés bâties et non bâties par des personnes privées à des fins lucratives ou personnelles. Cette catégorie comprend également les droits d’usufruit, les servitudes foncières et les droits de superficie ».

Appliquée à notre cas d’espèce, cette définition, ne laisse subsister aucun doute quant à la qualification de mouvements de capitaux, attribuée à l’acquisition de biens ou droits immobiliers situés en France, par l’interposition d’une société sise à Gibraltar.

Dès lors, le régime fiscal applicable à ces sociétés au titre de la taxe de 3%, qui ne sera pas supportée par d’autres sociétés communautaires ayant elle-même effectué le même type d’investissements immobiliers, comprend un effet dissuasif constitutif d’une entrave à la libre circulation des capitaux. Un tel régime est en effet susceptible de restreindre les investissements immobiliers des ressortissants communautaires sous couvert de sociétés sises à Gibraltar, compte tenu de son caractère pénalisant.

Là encore l’article 56 du traité devrait permettre aux sociétés sises à Gibraltar, sur le fondement du principe de libre circulation des capitaux, de bénéficier dans les mêmes conditions, des exonérations accordées par le CGI au sociétés communautaires conventionnées, sans que l’absence de convention fiscale entre l’État français et Gibraltar, ne puisse fonder le refus du bénéfice de ces exonérations.

CONCLUSION :

Le principe communautaire de non-discrimination, invoqué dans le cadre spécifique d’une entrave à la liberté d’établissement, ou à la libre circulation des capitaux, devrait ainsi permettre aux sociétés à prépondérance immobilière sises à Gibraltar d’éviter leur assujettissement à la taxe de 3% au titre des biens ou droits immobiliers qu’elles possèdent en France. Il est important de relever à ce titre que les principes sus exposés à propos des sociétés ayant leur siège à Gibraltar sont applicables de manière symétrique à l’ensemble des sociétés communautaires à prépondérance immobilière, soumises en France à la taxe de 3%, ce qui peut concerner dans certain cas, comme nous le savons, des sociétés conventionnées24.

Nous ajouterons en outre que, indépendamment d’une analyse menée en termes d’incompatibilité du dispositif en cause avec le droit communautaire, l’interprétation conformisante des articles 990 E 2° et 3° du CGI, à la lumière de ce droit, permettrait également à notre sens d’obtenir le bénéfice des exonérations prévues par ces dispositions. Ainsi dans cette analyse, le bénéfice de l’exonération prévue à l’article 990 E 3° du CGI, pourrait être demandé directement sur le fondement unique du principe communautaire de non-discrimination défini à l’article 12 du traité, et mis en œuvre dans le cadre spécifique de la liberté d’établissement ou de la libre circulation des capitaux, tandis que l’exonération de l’article 990 E 2° du CGI pourrait l’être également en appliquant cette disposition conformément à la directive n°77/799 CE du Conseil du 19 décembre 1977 sur l’assistance mutuelle entre États membres en matière fiscale. En effet, le principe de non-dicrimination défini à l’article 12 du traité présente à notre sens toutes les caractéristiques exigées par la doctrine administrative pour la mise en œuvre de l’article 990 E 3° du CGI25. Quant à la directive sur l’assistance mutuelle, celle-ci par la mise en place d’un système d’échange de renseignements entre les autorités compétentes des États membres, se substitue selon nous à l’existence d’une convention d’assistance administrative exigée par l’article 990 E 2°, pour le bénéfice de l’exonération prévue par cette disposition26.

L’avantage d’un tel raisonnement est d’éviter le conflit entre les dispositions du CGI et le droit communautaire. Ainsi, par exemple, s’agissant de l’application de l’article 990 E 3° du CGI, l’exonération au titre de la taxe de 3% serait appliquée non pas en écartant cette disposition pour incompatibilité avec le droit communautaire, mais par une application combinée de celle-ci avec le principe communautaire de non-discrimination, l’article 12 du traité se substituant à la clause conventionnelle de non discrimination exigée par la doctrine administrative pour la mise en œuvre de cette disposition27.

Il y a ici indéniablement matière à une question préjudicielle qui, dans la lignée des récentes évolutions du droit fiscal international français28, pourrait encore une fois sous l’impulsion de la Cour de justice, modifier de manière significative cette discipline.

1 Entre sociétés françaises et étrangères, et sociétés étrangères entre elles selon qu’elles bénéficient ou non des effets d’une convention fiscale.
2 Ou qu’une autre société communautaire bénéfi ciant des effets d’une convention fiscale.
3 Voir notre article « L’interaction entre les conventions fi scales bilatérales et les libertés économiques fondamentales du traité de Rome », dans la Revue « Fiscalité Européenne-Droit international des affaires », n°136, p.3 et s.
4 En outre, certaines sociétés communautaires ayant leur siège dans un État membre lié à la France par une convention fiscale, se trouvent néanmoins dans la même situation que les sociétés communautaires non conventionnées au regard de l’application de la taxe de 3%, dès lors que la convention qui leur est applicable ne comporte pas les caractéristiques exigées par la doctrine administrative pour la mise en œuvre des articles 990 E 2° et 990 E 3° du CGI (voir dans cette étude nos développements sur les conditions d’application de ces dispositions). Ainsi, comme nous le verrons, seules sont exonérées, les sociétés ayant leur siège social dans un État lié à la France par une convention fiscale au sens des articles 990 E 2° ou 990 E 3° du CGI.

5 La taxe de 3% ne s’applique en effet qu’aux personnes morales considérées comme étant à prépondérance immobilière. Il s’agit, aux termes de l’article 990-E-1° du CGI, des personnes morales qui, directement ou par personne interposée, possèdent en France des actifs immobiliers dont la valeur vénale représente au moins 50% de la valeur vénale de l’ensemble de leurs actifs français. La détermination de la notion de prépondérance immobilière est effectuée par l’application d’un rapport, dont les règles de constitution sont précisées par la doctrine administrative (DB7Q2112 n°1 à 11).
6 DB7Q2112 n°13 la convention franco-britannique du 22 mars 1968 ne couvre pas Gibraltar, les îles anglo-normandes et l’île de Man.
7 Lieu de situation, consistance et valeur vénale des immeubles et droits immobiliers possédés en France, directement ou par l’intermédiaire d’une ou plusieurs personnes morales interposées, au 1er janvier de l’année ; Identité et adresse de leurs actionnaires, associés ou autres membres à la même date ; Nombre des actions et parts détenues par chacun d’eux.
8 Alors que celui-ci ne lui est pas opposable par la société si le siège réel est situé dans un autre lieu.
9 Sous l’empire de l’ancien système la Cour de cassation a ainsi décidé, qu’était redevable de la taxe une société de l’île de Man, possédant des immeubles en France, par l’interposition de trois sociétés britanniques (Cass.com 7 octobre 1997, n°1962 D, Bruncaster limited, RJF 3/98, n°336, et le même jour n°95 16141, Sté Milton Ltd, Droit fi scal n°51/1997).
10 Cass.com, 28 février 1989, Sté Anglo/Swiss Land & Building Compagny Ltd c/DGI, RJF 4/89.
11 Cass. com. 5 octobre 1999, n°97-14410, documentation de base BO 7 Q-1-00.
12 CJCE, 14 février 1995, M. Schumacker C-279/93, Rec. p. I-00225, point 21.
13 « Pour les sociétés, il importe de relever dans ce contexte que leur siège (…) sert à déterminer, à l’instar de la nationalité des personnes physiques, leur rattachement à l’ordre juridique d’un État » CJCE, 28 janvier 1986, Commission/France, 270/83,., point 18 ; CJCE, 13 juillet 1993, Commerzbank, C-330/91, point 13 ; CJCE, 16 juillet 1998, ICI, C-264/96, Rec. p. I-4695, point 20 et jurisprudence citée ; CJCE, 21 septembre 1999, Saint- Gobain ZN, C-307/97, point 36 ; CJCE, 8 mars 2001, Metallgesellschaft Ltd et autres (C-397/98), Hoechst AG et Hoechst (UK) Ltd (C-410/98) contre Commissioners of Inland Revenue et HM Attorney General, point 42.
14 CJCE, 18 novembre 1999, XAB et Y AB contre Riksskatteverket, C-200/98, Rec. p.I-08261 (solution implicite) et CJCE, 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN, aff. C-307/97 préc., dans cette dernière espèce la Cour de justice, oblige un État membre à opérer une telle extension à propos d’une convention fiscale conclue par cet État avec un État tiers à la Communauté, sur cette question voir notre article « L’interaction entre les conventions fi scales bilatérales et les libertés économiques fondamentales du traité de Rome », dans la Revue « Fiscalité Européenne-Droit international des affaires », n°136, p.3 et s.
15 La Cour de justice a eu l’occasion de préciser que les droits découlant de l’article 43 (ex 52) du traité (liberté d’établissement) sont inconditionnels et qu’un État membre ne saurait faire dépendre leur respect du contenu d’une convention relative à la double imposition conclue avec un autre État membre (affaire dite de « l’avoir fi scal », CJCE, 26 janvier 1986, Commission contre France, 270/83, Rec. p. 273). Dans la lignée de ce raisonnement, la Cour de justice oblige ainsi les États membres à étendre le bénéfi ce de conventions fi scales conclues avec d’autres États membres, ou des États tiers, à l’ensemble des ressortissants communautaires placés sur le territoire des États membres contractants, dans la même situation que les ressortissants de ces États (voir note précédente).
16 Voir notamment CJCE, 16 juillet 1998, ICI, C-264/96, Rec. p. I-4695., et 20 février 1979, Rewe-Zentral, 120/78, Rec. p. 649. Sous réserve du respect des conditions de nécessité et de proportionnalité, l’efficacité des contrôles fi scaux constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifi er une restriction à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité.
17 Cette précision est capitale car, la taxe de 3% se substituant en fait, et non en droit aux droits de mutation ou à l’ISF, la possession d’immeubles en France par des sociétés hors du champ d’application des exonérations des articles 990 E 2° et 990 E 3° du CGI, ayant révélé l’identité de leurs associés afi n d’échapper à la taxe, peut donner lieu théoriquement à l’application cumulative de deux impositions : imposition de la société au titre de la taxe de 3%, et imposition des associés à l’ISF et/ou aux droits de mutation en cas de cession ou transmission des titres.
18 CJCE, 28 janvier 1986, Commission/France, 270/83, préc., point 13 ; CJCE, 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C-311/97, préc., point 22 ; CJCE, 8 mars 2001, Metallgesellschaft Ltd et autres (C-397/98), Hoechst AG et Hoechst (UK) Ltd (C-410/98) contre Commissioners of Inland Revenue et HM Attorney General, préc., point 41.
19 CJCE, 11 mars 2004, Hughes de Lasterie du Saillant C-9/02, Rec. p. 00000.
20 Sur la portée de la jurisprudence Hughes de Lasterie du Saillant, quant à la définition de la liberté d’établissement, voir nos observations sur cette décision, dans notre article « imposition des résidents monégasques au titre de l’article 164 C du CGI, conventions fi scales et traité de Rome : Les incidences de la jurisprudence Biso appréciées à la lumière du droit communautaire », dans la Revue « Fiscalité Européenne-Droit international des Affaires » n°137 p. 19 et s. Nous ajouterons que la constitution d’une société à Gibraltar aux fi ns de l’exploitation lucrative d’un immeuble détenu en France par cette société, ne présente évidemment aucune diffi culté quant au caractère économique d’une telle activité, et à l’application du principe de liberté d’établissement.
21 Le caractère restrictif du régime en cause présente ainsi un effet dissuasif, constitutif à notre sens d’une entrave fi scale à la liberté d’établissement. Sur la défi nition de la notion d’entrave fi scale, en rapport avec l’effet dissuasif d’un régime fi scal donné, voir notamment CJCE, 16 juillet 1998, ICI aff.C-264/96 préc.
22 Et les jurisprudences de la Cour de justice ayant tiré toute la portée de cette disposition dans le contexte de l’application des conventions fi scales entre États-membres.
23 CJCE, 16 mars 1999, aff. C-222/97, Trummer Mayer, Rec. I, p.1671.
24 Voir note n°4.
25 Le principe communautaire de non-discrimination s’applique, comme nous le savons à l’ensemble des ressortissants communautaires, personnes physiques ou morales, faisant usage sur le territoire de la communauté des libertés que leur confère le traité. En outre, les impôts de toute nature sont susceptibles de tomber sous le joug du principe communautaire de non-discrimination dès lors qu’il est possible d’identifi er, dans un régime fiscal donné, une discrimination constitutive d’une entrave fiscale à l’exercice de l’une des libertés économiques garanties par le traité.
26 Deux séries de considérations plaident en faveur d’un tel raisonnement. D’une part, aux termes de l’article premier paragraphe 1 de la directive 77/799, les mesures d’assistance mutuelle s’appliquent aux impôts sur le revenu et la fortune, étant entendu que « sont considérés comme impôts sur le revenu et la fortune, quel que soit le système de perception, les impôts perçus sur le revenu total, sur la fortune totale ou sur des éléments du revenu ou de la fortune, y compris les gains provenant de l’aliénation de biens
immobiliers (…), ainsi que les impôts sur les plus-values ». Cette définition nous semble suffi samment large pour inclure dans le champ d’application de la directive les impôts auxquels la taxe de 3% se substitue, et donc pour permettre l’obtention de renseignements aux fins de l’établissement de ces impôts.
L’impôt sur la fortune et les sur les plus-values sont en effet expressément visés, tandis que l’expression « impôts perçus sur des éléments du revenu ou de la fortune » peut couvrir à notre sens les droits de mutation à titre gratuit. D’autre part, s’agissant de la portée de la directive, la Cour de justice, compte tenu du régime prévu par ce texte, a refusé qu’un État membre puisse exciper de l’absence de convention d’assistance administrative le liant avec un autre État membre afin de refuser à un ressortissant communautaire résidant de ce second État, et imposé dans le premier État au titre de ces revenus, le bénéfice de certains avantages fiscaux réservés aux résidents du premier État, (CJCE, 14 février 1995, M. Schumacker C-279/93 préc. point 45). Il s’en suit, selon nous, qu’un État membre ne peut se fonder sur l’absence de convention d’assistance administrative le liant à un autre État membre, eu égard au régime mis en œuvre par la directive, afin de justifier une entrave fiscale à l’exercice d’une liberté garantie par le traité.
27 Ce raisonnement met une nouvelle fois en relief toute la portée du principe communautaire de nondiscrimination qui, appliqué dans le cadre de la censure des entraves fiscales aux libertés économiques fondamentales garanties par le traité, permet de palier l’absence de convention fiscale entre certains États-membres, voir sur cette problématique notre article « L’interaction entre les conventions fiscales bilatérales et les libertés économiques fondamentales du traité de Rome », dans la Revue « Fiscalité Européenne-Droit international des affaires », n°136, p.3 et s.
28 Comme en témoignent notamment les mesures suivantes : suppression de l’article 167 bis du CGI (article 19 de la loi de finances pour 2005) déclaré contraire au droit communautaire par la Cour de justice dans l’affaire « De Lasterie du Saillant » (CJCE 11 mars 2004, aff. C-9/02 ), préc.) ; extension du prélèvement forfaitaire libératoire de l’article 125 A du CGI à certains produits de source européenne, par l’article 40 de la loi de finances rectificative pour 2004, suite à l’arrêt de la CJCE du 4 mars 2004 (aff. C-334/02) ayant déclaré certaines restrictions au champ d’application du prélèvement forfaitaire, initialement prévues par cette disposition, contraires aux principes de libre prestation de services et de libre circulation des capitaux.

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