LE SYSTÈME SUISSE DE L’IMPÔT D’APRÈS LA DÉPENSE – RÉCENTS DEVELOPPEMENTS

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Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 166

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PRINCIPES

L’impôt d’après la dépense, également connu sous le nom de « forfait fiscal », est un mode de taxation simplifié qui s’adresse essentiellement aux ressortissants étrangers qui résident en Suisse, mais qui n’y exercent pas d’activité lucrative. Au lieu d’être imposé sur la base d’une déclaration d’impôt ordinaire, détaillant la totalité des revenus et de la fortune mondiale, le contribuable imposé au forfait est taxé sur la base de sa dépense. Il devra déposer une déclaration d’impôt qui n’est pas exhaustive et qui se limite à certains éléments du train de vie, du revenu et de la fortune suisses.

Depuis peu, ce statut fiscal connaît un regain d’intérêt. En réaction aux pressions fiscales exercées dans différents Etats européens, certains contribuables trouvent dans le forfait fiscal suisse un attrait pour optimiser leur planification fiscale. Il s’agit pourtant d’une institution très ancienne. Elle existe en Suisse depuis des décennies et y jouit d’une longue tradition. Le premier canton helvétique à introduire cette méthode d’imposition est le Canton de Vaud qui l’a instaurée en 1862[1].  A cette époque, les rives du lac Léman étaient devenues un haut lieu du tourisme international. L’industrie hôtelière et touristique naissante devait être encouragée. Il a donc fallu trouver une méthode permettant d’imposer les étrangers qui séjournaient tout ou partie de l’année en Suisse et dont la présence profitait à l’industrie hôtelière[2]. L’objectif était d’élaborer une méthode d’imposition qui soit facile à appliquer, mais qui ne soit pas dissuasive et qui ne fasse pas fuir les capitaux. Il faudra attendre 1928 pour que le Canton de Genève adopte ce système et 1934 pour que la Confédération en fasse de même. Lorsqu’en 1983, la Confédération a élaboré un projet de loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes, ce système d’imposition a été repris. La justification de cette institution était exprimée en les termes suivants : « Si l’on devait renoncer à cette forme d’imposition, les autorités fiscales ne seraient souvent pas en mesure de procéder à une taxation correcte, car elles ne disposeraient pas de moyens pour connaître et vérifier les revenus de source essentiellement étrangère des contribuables en question»[3]. L’impôt simplifié d’après la dépense présente un double avantage : D’une part, comme il est difficile pour les autorités fiscales d’exercer un contrôle sur les revenus et la fortune de l’étranger, le système de taxation se focalise sur des éléments représentatifs du train de vie localisés en Suisse. D’autre part, les rentiers ne mettent pas, ou très peu, à contribution les infrastructures du pays, raison pour laquelle ils constituent une frange de contribuables intéressante[4]. Une imposition simplifiée, fondée exclusivement sur la substance financière en Suisse, constitue donc un compromis pragmatique.

Hormis les cantons de Zurich, de Schaffhouse et d’Appenzell Rhodes-Extérieures, qui ont supprimé ce régime d’imposition entre 2010 et 2012 par votation populaire, tous les cantons disposent d’une imposition d’après la dépense. L’application pratique du forfait varie cependant fortement d’un canton à l’autre. Certains cantons suisses alémaniques ne comptent que quelques contribuables imposés à la dépense alors que, dans les cantons romands ou les régions touristiques, plusieurs milliers d’administrés bénéficient d’un forfait. En 2010, à l’échelle de la Suisse, il était dénombré 5445 contribuables imposés à forfait[5]. La majorité d’entre eux étaient domiciliés dans les Cantons de Vaud, du Valais et de Genève.

LES SYSTÈMES SIMILAIRES D’IMPOSITION SPÉCIALE DES RESSORTISSANTS ÉTRANGERS

La Suisse ne détient pas le monopole de l’imposition simplifiée des ressortissants étrangers. Il existe en Europe plusieurs formes d’impositions spéciales spécialement adaptées à la spécificité des ressortissants étrangers. Ces régimes aboutissent à des résultats très similaires en termes d’imposition[6].

Ainsi, le Liechtenstein prévoit une règlementation analogue à celle de la Suisse. Les ressortissants étrangers retraités qui ne perçoivent pas de revenu provenant d’une activité lucrative exercée dans la Principauté du Liechtenstein peuvent opter pour un impôt de 5% sur leur dépense. A cet impôt, s’ajoutent les impôts communaux. En Grande-Bretagne et en Irlande, les contribuables étrangers qui sont en principe assujettis de manière illimitée à l’impôt ne sont imposés que si leurs avoirs sont effectivement transférés dans le pays de résidence. En Grande-Bretagne, le statut de résident non domicilié aboutit à un résultat qui n’est pas très différent du forfait fiscal suisse, en ce sens que le contribuable étranger n’est pas imposé sur une base mondiale, mais sur une base limitée. D’autres pays, notamment les Pays-Bas ou la Belgique, accordent aux expatriés ou à la main-d’œuvre étrangère des abattements fiscaux substantiels sur leur salaire imposable. De nombreux Etats ont compris l’intérêt d’introduire une méthode de taxation qui soit adaptée à cette catégorie de contribuables, mobile et dont il est difficile de contrôler la fortune et les revenus sur une base mondiale[7].

LE SYSTÈME ACTUEL DE L’IMPOSITION D’APRÈS LA DÉPENSE SUISSE

LES BASES LÉGALES

Contrairement aux idées reçues, le forfait fiscal ne se « négocie » pas et il ne dépend pas d’un accord conclu à bien plaire avec les autorités fiscales. Il s’agit d’un régime d’imposition simplifié qui est dûment réglementé par des dispositions légales. Celles-ci déterminent précisément la base de calcul de l’impôt, ainsi que la méthode de taxation. L’objectif de cet impôt est de donner la possibilité au contribuable étranger de déterminer l’impôt sur le revenu sur la base des dépenses, qui sont calculées de manière objective. Chaque année, le contribuable est invité à déposer une déclaration d’impôt spéciale, qui fera l’objet de décisions de taxation. Le contribuable imposé d’après la dépense est astreint aux mêmes obligations de collaborer que les autres contribuables dans les procédures de taxation ordinaire. Seule l’assiette de l’impôt est différente. En revanche, les taux et les barèmes d’imposition sont, à quelques nuances près, les mêmes pour les contribuables ordinaires et au forfait.

En Suisse, l’impôt sur le revenu et la fortune est prélevé à trois niveaux, à savoir fédéral, cantonal et communal. La loi sur l’impôt fédéral direct[8] consacre l’imposition d’après la dépense à son article 14 LIFD. En outre, le Conseil fédéral a édicté une ordonnance sur l’imposition d’après la dépense en matière d’impôt fédéral direct du 15 mars 1993[9]. L’Administration fédérale des contributions a édité une circulaire du 3 décembre 1993 destinée à préciser la mise en œuvre de ce mode d’imposition. La  loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes[10] prévoit également le régime d’imposition d’après la dépense à son article 6 LHID. Les cantons sont libres de consacrer dans leur droit cantonal ce régime d’imposition, pour autant qu’il respecte les conditions cadres prévues par l’article 6 LHID. Les pratiques cantonales diffèrent sensiblement concernant les conditions d’octroi du régime et d’établissement du forfait, en particulier des seuils minima. Les lois fédérales ont aménagé une marge de manœuvre aux cantons dans laquelle ils conservent une part d’autonomie.

LES CONDITIONS D’OCTROI DE L’IMPÔT D’APRÈS LA DÉPENSE

L’impôt d’après la dépense s’adresse à une catégorie limitée de contribuables, déterminée par deux critères essentiels, à savoir l’absence d’activité lucrative et la nationalité. Seuls peuvent bénéficier du forfait les contribuables qui en font la demande et qui remplissent les conditions légales en vigueur.

a) L’absence d’activité lucrative en Suisse

La première condition, qui est cardinale, concerne l’absence d’activité lucrative en Suisse. Il est fait référence à toute activité lucrative, dépendante ou indépendante, principale ou accessoire, exercée sur le territoire géographique suisse[11].

Avec l’émergence des technologies de communication et la flexibilité des activités professionnelles, la notion « d’activité lucrative en Suisse » devient un sujet délicat et controversé. En effet, à l’heure actuelle, il est possible d’être domicilié en Suisse, tout en continuant de diriger des entreprises à l’étranger. L’assouplissement des conditions d’établissement en Suisse permet désormais à des ressortissants étrangers d’obtenir un permis de séjour sans activité lucrative, alors même qu’ils n’auraient pas encore atteint l’âge de 55 ans. Ces cas soulèvent des difficultés car ils ne répondent plus à l’esprit dans lequel le forfait fiscal a été instauré. Ils amènent les autorités fiscales à devoir définir plus précisément la notion très controversée « d’activité lucrative en Suisse».

En principe, il y a exercice d’une activité lucrative en Suisse, excluant l’impôt d’après la dépense :

– lorsqu’une personne exerce en Suisse une profession principale ou accessoire, de quelque nature qu’elle soit, et qu’elle en tire un revenu. Peu importe que ce revenu soit de source étrangère ou suisse. Les auteurs, artistes, compositeurs, inventeurs, scientifiques, sportifs ou les membres de conseils d’administration qui sont personnellement actifs en Suisse, mais qui perçoivent des revenus depuis l’étranger ne sont en principe pas autorisés à bénéficier d’une imposition à forfait[12]. Naturellement, il n’est pas aisé de délimiter où commence l’activité personnelle d’un artiste ou d’un auteur lorsqu’il élabore une œuvre. Les cas litigieux sont de plus en plus fréquents.

– Il y a également activité lucrative lorsqu’une personne occupe une fonction, salariée ou indépendante, auprès d’une société ayant son siège en Suisse, même si l’activité s’exerce principalement ou exclusivement à l’étranger. Il en est de même d’une telle activité qui n’est pas rémunérée. Par conséquent, l’étranger imposé à forfait ne saurait exercer une fonction d’administrateur au sein d’une société suisse, même s’il n’en retire aucun revenu. Il subsiste toutefois encore certaines divergences cantonales, certains cantons étant plus flexibles que d’autres à cet égard. Il existe encore des cantons qui admettent qu’un étranger au forfait puisse exercer une fonction honorifique au sein du conseil d’administration d’une société suisse. Toutefois, la tendance générale des autorités fiscales tend à ne plus accepter ce type de dossiers.

En revanche, au sens strict de la loi, un étranger imposé au forfait peut être administrateur d’une société à l’étranger, pour autant qu’il n’exerce pas d’activité professionnelle en Suisse et qu’il ne perçoit aucun revenu, ni aucun remboursement de frais en Suisse[13]. Il en est de même de l’artiste ou du sportif qui aurait conservé son activité à l’étranger, pourvu qu’il ne touche aucun revenu en Suisse. Le statut des artistes, des scientifiques ou des inventeurs suscite néanmoins des controverses. Une partie de la doctrine admet que les œuvres peuvent être « conçues en Suisse », pour autant qu’elles soient commercialisées à l’étranger[14]. Pour la doctrine et le Tribunal fédéral, le critère déterminant est le lieu où s’exerce physiquement l’activité professionnelle[15]. Cela étant, certaines autorités fiscales cantonales adoptent une position très restrictive et considèrent que l’étranger qui bénéficie d’un forfait fiscal doit avoir définitivement renoncé à toute activité professionnelle. Ce régime d’imposition s’adresse aux retraités exclusivement, et non aux contribuables actifs.

La simple administration par le contribuable de sa fortune privée, que ce soit directement ou indirectement, ne constitue pas encore une activité professionnelle. Toutefois, il convient d’être particulièrement prudent dans la mesure où le Tribunal fédéral considère qu’une personne physique qui achète et vend des éléments de sa fortune dans une mesure qui excède la simple administration de la fortune privée, notamment en utilisant des connaissances ou des méthodes de professionnels, doit être qualifiée comme un commerçant en titres[16]. L’étranger imposé à forfait doit également s’abstenir de tout investissement immobilier pouvant être considéré par les autorités fiscales comme une activité de professionnel immobilier[17]. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les critères permettant de conclure à l’existence d’une activité professionnelle en matière immobilière sont très stricts. Une seule opération peut suffire pour être qualifiée de commerciale, suivant la nature du projet immobilier et son mode de financement. De surcroît, certains cantons sont devenus particulièrement stricts et demandent expressément au contribuable de s’engager à ne pas constituer en Suisse d’établissement stable ou de base fixe d’affaires destinée à gérer leur fortune privée. A l’évidence, les autorités suisses ont pris la décision de lutter contre les abus et de vérifier scrupuleusement que les contribuables bénéficiant d’un forfait ont effectivement renoncé à exercer une activité professionnelle depuis la Suisse.

b) La nationalité

L’imposition au forfait est proposée aux personnes qui, pour la première fois ou après une absence d’au moins dix ans, prennent domicile en Suisse. Pour les ressortissants suisses, ce droit est limité à l’année de leur retour en Suisse. Pour les étrangers, aucune limite dans le temps n’est prévue. En revanche, le bénéfice du forfait fiscal s’éteint si le contribuable acquiert la nationalité suisse ou s’il exerce une activité lucrative en Suisse.

Les ressortissants doubles nationaux, qui possèdent la nationalité suisse, ne sont pas considérés comme des étrangers, mais comme des Suisses[18]. Ils peuvent demander une imposition d’après la dépense mais dans les limites des dispositions valables pour les ressortissants suisses. S’agissant de couples binationaux, soit lorsque l’un des époux ou de leurs enfants possède la nationalité suisse, l’imposition d’après la dépense est possible, à condition toutefois que chaque époux remplisse les autres conditions, en particulier qu’aucun d’entre eux n’exerce d’activité lucrative en Suisse[19]. Certains cantons adoptent cependant une approche plus restrictive[20].

c) La prise de domicile effective en Suisse

Pour bénéficier d’un impôt d’après la dépense, le contribuable doit prendre domicile en Suisse, pour la première fois ou auprès une absence d’au moins dix ans.

Le contribuable doit donc effectivement se domicilier en Suisse, y déplacer le centre de ses intérêts personnels et y séjourner durablement. La création d’un domicile fictif en Suisse exclut l’impôt d’après la dépense[21].

d) La demande de forfait fiscal

Afin de bénéficier d’une imposition à forfait, le contribuable doit spontanément déposer une demande auprès des autorités fiscales de son canton de domicile. Cette demande doit être faite avant la fin de la période fiscale en cours. En pratique, l’autorité fiscale examine les dossiers au cas par cas. Elle détermine la base du forfait en fonction du profil du contribuable. Souvent, elle impose au contribuable de souscrire un engagement écrit dans lequel il s’interdit expressément toute activité professionnelle en Suisse.

Cependant, l’étranger qui fait la demande d’une imposition d’après la dépense et qui remplit les conditions peut choisir, pour chaque période fiscale, entre l’imposition d’après la dépense et l’impôt ordinaire[22]. Certains cantons refusent toutefois d’accorder une imposition sur la dépense à une personne qui aurait été imposée ordinairement, quand bien même elle remplirait toutes les conditions. Ainsi, dans certains cantons, le nouvel arrivant doit immédiatement opter pour l’impôt d’après la dépense, au risque d’être déchu de la possibilité d’y recourir ultérieurement, une fois qu’il aura été imposé au rôle ordinaire.

LA DÉTERMINATION DE LA BASE DE CALCUL

La dépense du contribuable et de sa famille sert de base de calcul pour l’imposition à forfait.

L’article 1 de l’Ordonnance sur l’imposition d’après la dépense en matière d’impôt fédéral direct[23] précise que l’impôt d’après la dépense est calculé en fonction des frais annuels occasionnés, pendant la période de calcul, par le train de vie du contribuable et des personnes à sa charge vivant en Suisse.

Le forfait se fonde au minimum sur un montant égal au quintuple du loyer du contribuable ou au quintuple de la valeur locative du logement qu’il occupe et dont il est propriétaire. La valeur locative correspond au montant brut que l’intéressé aurait normalement dû payer comme loyer à des tiers pour des locaux identiques, compte tenu des conditions locales, de la superficie, de l’âge et de la configuration du bâtiment.

Pour les autres contribuables, la dépense correspond à un montant égal au double du prix de la pension pour le logement et la nourriture. Sont considérés comme frais tous les coûts de la vie quotidienne (nourriture, vêtements, logement, frais personnels, frais de déplacement, vacances, cures, frais d’exploitation pour les véhicules, bateaux, yachts, etc.)[24].

Si le contribuable occupe, en plus de son logement principal, une résidence secondaire en Suisse pour ses temps libres, cet élément sera pris en considération car il s’agit d’un indice supplémentaire du train de vie. Aucun allègement n’est possible, que ce soit sous la forme de déductions sociales ou de frais d’acquisition du revenu. La simplification selon le calcul du loyer s’applique uniquement dans le cas où la dépense imposable couvre le montant total des frais annuels. Le quintuple du loyer ou de la valeur locative ou le double du prix de la pension est une limite minimale.

La base d’imposition est déterminée par les autorités cantonales au cas par cas, en tenant également compte d’autres facteurs, tels que l’âge du contribuable, sa nationalité européenne ou extra-européenne, sa surface financière ou son train de vie.

La base de calcul de l’impôt ainsi déterminée fera l’objet d’une taxation en matière fédérale, cantonale et communale selon les barèmes ordinaires.

La dépense fait l’objet d’une adaptation périodique, basée sur l’indexation du coût de la vie.

LE CALCUL DE CONTRÔLE

La loi fiscale oblige l’établissement d’un calcul de contrôle qui est destiné à vérifier que l’impôt d’après la dépense ne soit pas inférieur à l’impôt calculé sur divers éléments bruts du revenu et de la fortune suisses, d’après le barème ordinaire. Les éléments qui font partie du calcul de contrôle doivent être déclarés chaque année par le contribuable dans le cadre de la déclaration d’impôt.

Font partie du calcul de contrôle, tous les revenus de source suisse, la fortune suisse, ainsi que les revenus de source étrangère pour lesquels le contribuable requiert un dégrèvement de l’impôt étranger en vertu d’une convention de double imposition conclue par la Suisse. Le revenu déterminant est celui perçu pendant la totalité de la période fiscale. La fortune doit être reportée dans son état au 31 décembre, date correspondant au terme de la période fiscale. Si la durée de l’assujettissement est inférieure à la période fiscale (arrivée, décès ou départ en cours d’année), l’impôt est calculé sur la base de la période effective.

Sont considérés comme « suisses » tous les titres de sociétés suisses, même s’ils sont déposés à l’étranger. Il s’agit essentiellement de toutes actions de sociétés suisses ou obligations dont le débiteur est suisse. Les avoirs numéraires et billets de banque suisses doivent être déclarés même s’ils sont déposés à l’étranger. Les autres métaux précieux doivent être indiqués uniquement s’ils sont déposés en Suisse.

Dans le cadre de chaque taxation annuelle, le montant d’impôt calculé d’après la dépense est comparé au montant d’impôt obtenu dans le cadre du calcul de contrôle. C’est le montant le plus élevé des deux que doit acquitter le contribuable. Si l’impôt calculé sur la base de la dépense est inférieur au calcul de contrôle, le contribuable sera taxé sur la base des éléments figurant dans le calcul de contrôle.

LES PARTICULARITÉS DE LA CONVENTION DE DOUBLE IMPOSITION AVEC LA FRANCE

Selon la convention de double imposition entre la Suisse et la France du 9 septembre 1966 en matière d’impôt sur le revenu et la fortune[25], une personne imposée d’après la dépense n’est pas considérée comme résident Suisse. En effet, selon l’article 4 al. 5 litt. b) CDI CH-F, une personne physique qui n’est imposable dans l’Etat de résidence que sur une base forfaitaire déterminée d’après la valeur locative de la ou des résidences qu’elle possède sur le territoire de cet Etat n’est pas considérée comme résident d’un Etat contractant au sens de l’article 4 CDI CH-F. Par conséquent, ce contribuable ne peut pas se prévaloir des avantages de la convention de double imposition.

Toutefois, par solution amiable, il est convenu qu’une personne imposée d’après la dépense a néanmoins la qualité de résident suisse si la base d’imposition est augmentée de 30% de la base minimale déterminée en fonction de la valeur locative ou du loyer annuel.

L’IMPÔT EN MATIÈRE DE SUCCESSION ET DE DONATION

Certains cantons, notamment le Canton de Vaud, continuent de prélever un impôt sur les successions et les donations. En prenant domicile en Suisse, l’étranger est en principe soumis au droit successoral suisse, ainsi qu’à l’impôt sur les successions et les donations, pour sa fortune mondiale. Le Canton de Vaud applique toutefois un taux d’imposition sur les successions et les donations réduit de moitié pour les ressortissants étrangers qui n’ont jamais exercé d’activité lucrative en Suisse.

Par conséquent, la prise en domicile en Suisse doit s’accompagner d’une réflexion en matière de planification successorale. La Suisse dispose d’un réseau de conventions permettant d’éviter la double imposition en matière d’impôt sur les successions, notamment avec la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Aucune convention ne s’applique toutefois en matière d’impôt sur les donations.

LES CRITIQUES OPPOSÉES AU FORFAIT FISCAL

En janvier 2012, l’OCDE prenait une position très ferme contre le forfait fiscal suisse. Dans un rapport consacré à la fiscalité suisse, l’OCDE appelait la Suisse à abandonner purement et simplement le forfait fiscal et à s’en tenir uniquement à une imposition ordinaire pour toutes les personnes physiques domiciliées en Suisse[26].

Or, les Etats membres de l’OCDE n’ont pas le monopole des critiques portées contre le forfait fiscal. Au plan de la politique interne suisse, l’impôt d’après la dépense soulève également des débats nourris. En effet, de nombreux acteurs reprochent au forfait fiscal de favoriser les riches étrangers, au détriment du principe d’égalité de traitement qui devrait prévaloir entre tous les contribuables. D’autres reprochent à l’impôt d’après la dépense de violer le principe constitutionnel selon lequel l’imposition doit être fondée sur la capacité économique du contribuable[27]. Certains contribuables très médiatiques, qui semblent rarement séjourner en Suisse, ont également alimenté le débat[28]. Ce n’est pas tant le régime fiscal en lui-même, mais plutôt les abus qui ont mobilisé la population. Le peuple suisse admet volontiers que des retraités étrangers puissent profiter de ce régime particulier. En revanche, il se montre très critique vis-à-vis des personnalités du monde sportif ou du show-business qui s’établissent au forfait, tout en restant très actifs à l’étranger, voire même en Suisse.

Plusieurs initiatives, émanant essentiellement des partis de gauche, ont été mises en œuvre dans le but de mettre un terme aux forfaits fiscaux. Dans le canton de Zurich, l’initiative populaire visant à abolir l’imposition d’après la dépense a été acceptée le 7 février 2009 et mise en vigueur dès 2010. Schaffhouse et Appenzell Rhodes-Extérieures ont également supprimé les forfaits fiscaux.

Cependant, à ce jour, ces élans n’ont pas connu le succès espéré par leurs initiants. En effet, la plupart de ces démarches se sont heurtées à des refus et n’ont pas connu le soutien populaire escompté. Globalement, les Suisses ne sont pas choqués par ce régime d’imposition qui s’adresse à une catégorie de contribuables âgée, cosmopolite et qui ne recourt que très peu aux infrastructures publiques. Par leurs dépenses, ces contribuables entretiennent le développement économique, notamment dans les secteurs de l’immobilier et des services. Leur consommation contribue directement à la taxe sur la valeur ajoutée et, indirectement, à l’impôt sur le bénéfice des entreprises auprès desquelles ils achètent des biens et des services. Jusqu’à l’âge de la retraite, ces contribuables sont astreints à cotiser auprès de l’assurance vieillesse et survivants. A leur décès, dans certains cantons, leur fortune sera taxée sur une base mondiale en matière d’impôt successoral. Par conséquent, l’impôt d’après la dépense ne représente qu’une partie de leur contribution aux recettes publiques. Au plan macro-économique, le peuple suisse tire un bilan positif de cet impôt.

Ainsi, le peuple des cantons de Glaris, Thurgovie, Lucerne et Saint-Gall, appelé à voter sur ces objets, s’est prononcé en faveur du maintien du forfait fiscal, mais à des conditions plus restrictives. Dans quinze autres cantons, les tentatives abolitionnistes se sont heurtées à des échecs. Dans le Canton de Vaud, l’initiative populaire qui avait été mise en œuvre n’a même pas réuni un nombre suffisant de signataires pour que cet objet soit porté en votation populaire. A l’heure actuelle, sur les 26 cantons suisses, les peuples de 19 cantons n’ont pas suivi les courants politiques visant à abolir le forfait.

Le canton de Saint-Gall a présenté une initiative sur la « Suppression de l’imposition forfaitaire pour les étrangers – Egalité de traitement avec les contribuables suisses ». Cette initiative a cependant été rejetée par le Conseil des Etats et le Conseil national en mars 2010 et en avril 2011. Le Conseil fédéral s’est également prononcé en faveur du maintien du forfait fiscal en adhérant à la proposition de la Conférence des directeurs cantonaux des finances.

A l’évidence, en l’état actuel, la tendance abolitionniste reste très minoritaire. Les médias ont certainement exagéré à la fin du forfait fiscal, attribuant un écho excessif au vote des cantons de Zurich et Schaffhouse. Le forfait continue de bénéficier d’un soutien important, que ce soit auprès du peuple suisse ou de ses autorités.

Des votations populaires devront être prochainement organisées dans les cantons de Berne et Bâle-Campagne tendant à supprimer ou à réformer le forfait fiscal.

LE PROJET DE REFORME DU FORFAIT FISCAL

La vague de critiques dirigée contre le forfait fiscal n’est cependant pas demeurée sans effet. Les autorités politiques ont pris au sérieux les reproches qui lui sont formulés. Un consensus helvétique s’est rapidement formé pour introduire des réformes visant à durcir et limiter l’accès au forfait. Le but est de préserver ce système d’imposition, mais en le faisant évoluer vers une meilleure justice fiscale.

Lors de son assemblée annuelle en mai 2009, la Conférence des directeurs cantonaux des finances (CDF) a été amenée à se prononcer sur l’avenir du forfait fiscal. A l’unanimité, elle s’est déclarée favorable au maintien de ce système d’imposition. Nonobstant, elle a reconnu qu’il était devenu nécessaire de réformer cette institution. A cette fin, elle a confié à la Commission pour l’harmonisation des impôts directs de la Confédération, des cantons et des communes la mission d’élaborer des propositions de réformes. Le 14 janvier 2010, cette commission a remis son rapport à la CDF. Sur cette base, la Commission a annoncé qu’elle continuerait de défendre l’imposition d’après la dépense, vu l’impact économique de ce régime sur l’emploi et les retombées fiscales qu’elle génère. Cependant, la CDF a recommandé de durcir les conditions d’application de cet impôt et de soumettre au Conseil fédéral une réforme législative. Une procédure de consultation des partis politiques, des cantons et des associations faîtières de l’économie s’est déroulée fin 2010. Elle a abouti à un projet de nouvelle réglementation, qui a recueilli un très large soutien[29].

Les modifications proposées dans le cadre de la nouvelle réglementation sont les suivantes :

– Inscrire expressément que c’est la dépense universelle et mondiale qui sera désormais déterminante pour la fixation du forfait, et non plus le seul train de vie en Suisse ;

– Le seuil de la dépense universelle sera fixé dans le cadre de l’impôt fédéral direct et des impôts cantonaux à sept fois le montant du loyer ou de la valeur locative (actuellement de cinq fois) ou trois fois le prix de la pension pour le logement et la nourriture ;

– Pour l’impôt fédéral direct, le seuil de l’assiette de l’impôt sera fixé à CHF 400’000.- et adapté chaque année en fonction de l’indice suisse des prix à la consommation. Les cantons devront également définir un montant minimal de leur choix. Jusqu’à ce jour, les cantons étaient libres dans la détermination du seuil minimal. Il existe encore actuellement de grandes disparités entre les cantons ;

– Les époux qui vivent en ménage commun ne peuvent prétendre à l’imposition d’après la dépense que si chacun d’entre eux remplit les conditions. Les couples binationaux ne pourront donc plus se prévaloir d’une imposition à forfait ;

– L’imposition d’après la dépense pour les ressortissants suisses l’année de leur arrivée est supprimée. Désormais, seuls les ressortissants étrangers sont éligibles pour ce régime d’imposition ;

– Les cantons auront l’obligation expresse de tenir compte de l’impôt sur la fortune pour déterminer le montant de l’impôt prélevé d’après la dépense ;

– Pour tous les contribuables déjà imposés d’après la dépense avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, les conditions antérieures seront maintenues mais seulement pendant une période transitoire de cinq ans. Pour les nouveaux arrivants, les nouvelles règles seront immédiatement applicables.

CONCLUSIONS

D’aucuns prédisaient la fin du forfait fiscal suisse. Pourtant, malgré les vives critiques dont il a fait l’objet, les autorités et les citoyens suisses se sont majoritairement prononcés en faveur de son maintien. La justification de cet impôt est double. D’une part, les étrangers qui optent pour ce régime d’imposition sont généralement des personnes qui viennent s’établir en Suisse en fin de carrière, afin d’y passer leur retraite. Ces nouveaux arrivants apporteront un soutien à l’économie locale, sans recourir aux infrastructures, ni aux services publics. D’autre part, pour ce type de contribuables, le régime d’imposition ordinaire est peu adéquat, car leur fortune et leurs revenus sont basés à l’étranger et donc difficilement contrôlables pour les autorités fiscales suisses.  Les difficultés d’imposition auxquelles sont confrontées les autorités de taxation sont diverses. On peut citer la complexité d’évaluer des sociétés non cotées ou des avoirs à l’étranger, situés dans des Etats qui ne pratiquent pas d’estimations fiscales. L’imposition à forfait constitue donc un compromis qui, au plan macro-économique, présente une balance positive.

En revanche, au cours des dix dernières années, cette institution a donné lieu à des abus. Certains contribuables continuent d’être actifs, non seulement à l’étranger, mais parfois aussi en Suisse. D’autres ne sont pas réellement domiciliés en Suisse et profitent indûment du système. La disproportion qui a pu être observée entre le forfait accordé à certains contribuables et leur surface financière mondiale était, elle aussi, critiquable. Enfin, les conditions d’imposition prévues par la loi n’avaient que peu évolué et permettaient des situations choquantes.

Par conséquent, avec le soutien du peuple suisse, les autorités fédérales et cantonales ont pris la décision de réformer cette institution afin de limiter les conditions d’accès au forfait fiscal et de mettre fin à certaines pratiques. Dans l’immédiat, cette politique a permis d’éviter l’abolition définitive du forfait. A long terme, il n’est pas certain que ce mode d’imposition résiste aux pressions de l’OCDE ou à la renégociation des conventions de double imposition.

Aurelia RAPPO

Avocate, Docteur en Droit

Cabinet d’avocats Pétremand & Rappo,

Lausanne

(www.pr-legal.ch)


[1] Conférence des Directrices et des Directeurs cantonaux des finances, Explications du Conseiller d’Etat Peter Hegglin du 20 janvier 2012, p. 1.

[2] Buchs, Pourquoi Vaud a créé le forfait fiscal, Magazine Bilan, 2 décembre 2011 ; Message du Conseil fédéral relatif à la loi fédérale sur l’imposition d’après la dépense du 29 juin 2011, FF 2011, pp. 5605 ss, p. 5608.

[3] Buchs, loc. cit.

[4] Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts, L’imposition d’après la dépense, janvier 2003, p. 1.

[5] Conférence des Directrices et des Directeurs cantonaux des finances, Explications du Conseiller d’Etat Peter Hegglin du 20 janvier 2012, p. 1.

[6] Steinmann, L’imposition sur la dépense : Privilège indu ou forme de taxation particulière ?, L’Expert comptable-suisse, ECS10/04, p. 877.

[7] Sur l’ensemble de ces questions, voir Administration fédérale des contributions (AFC), Rapport explicatif – Consultation relative à la loi fédérale sur l’imposition d’après la dépense, août 2010, p. 8 ; Message du Conseil fédéral relatif à la loi fédérale sur l’imposition d’après la dépense du 29 juin 2011, FF 2011, pp. 5605, p. 5615.

[8] Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD), du 14 décembre 1990, RS 642.11.

[9] Ordonnance sur l’imposition d’après la dépense en matière d’impôt fédéral direct du 15 mars 1993, RS 642.123.

[10] Loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID), du 14 décembre 1990, RS 642.14.

[11] Imposition d’après la dépense (imposition forfaitaire) dans les cantons – Recommandations de la CDF, décision de l’assemblée plénière de la CDF du 28 septembre 2007, p. 3.

[12] Circulaire n° 9 de l’Administration fédérale des contributions (AFC) concernant l’imposition d’après la dépense en matière d’impôt fédéral direct du 3 décembre 1993, p. 3.

[13] Bernasconi, Commentaire romand, ad art. 14 LIFD ; Locher, Kommentar zum DBG, ad art. 14, n. 13 ; ASA 70, 575.

[14] Carlsson, L’imposition d’après la dépense à la lumière des conventions de double imposition, Mémoire MBL sous la supervision du Professeur X. Oberson, Genève 2009, p. 10 et références citées.

[15] RDAF 2002, p. 114 ; Zwahlen, Kommentar zum Schweizerischen Steuerrecht I/1, Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden, 2. Aulfage p. 86 ; Steinmann, L’imposition sur la dépense : Privilège indu ou forme de taxation particulière, L’Expert-comptable suisse, ECS 10/4, p. 878 ; Agner/Digeronimo/Neuhaus, Steinmann, Commentaire de la loi sur l’impôt fédéral direct, ad art. 14, n. 1a.

[16] Circulaire n° 8 de l’Administration fédérale des contributions, Commerce professionnel de titre du 21 juin 2005 et références citées ; Bernasconi, Commentaire romand, ad art. 14 LIFD, n. 12 ; Zwahlen, KSS I/1 ad art. 6 LHID, n. 23 ; ASA 58, p. 367.

[17] Carlsson, op. cit., p. 13 et références citées.

[18] Circulaire n° 9 de l’Administration fédérale des contributions (AFC) concernant l’imposition d’après la dépense en matière d’impôt fédéral direct du 3 décembre 1993, p. 2.

[19] Circulaire n° 9 de l’Administration fédérale des contributions (AFC) concernant l’imposition d’après la dépense en matière d’impôt fédéral direct du 3 décembre 1993, p. 2.

[20] Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts, L’imposition d’après la dépense, janvier 2003, p. 5.

[21] Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts, L’imposition d’après la dépense, janvier 2003, p. 5.

[22] Circulaire n° 9 de l’Administration fédérale des contributions (AFC) concernant l’imposition d’après la dépense en matière d’impôt fédéral direct du 3 décembre 1993, p. 2.

[23] Ordonnance sur l’imposition d’après la dépense en matière d’impôt fédéral direct du 15 mars 1993, RS 642.123.

[24] Circulaire n° 9 de l’Administration fédérale des contributions concernant l’imposition d’après la dépense en matière d’impôt fédéral direct du 3 décembre 1993, p. 3.

[25] Convention entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales du 9 septembre 1966, RS 0.672.934.91 (CDI CH-F).

[26] OCDE Economic Surveys, Switzerland, January 2012, Overview, p. 8.

[27] L’article 127 al. 2 de la Constitution fédérale prévoit que l’imposition doit respecter les principes de l’universalité, de l’égalité de traitement et de la capacité économique ; Steinmann, L’imposition sur la dépense : Privilège indu ou forme de taxation particulière ?, L’Expert-comptable Suisse, ECS 10/04, p. 877.

[28] Le Temps, La pression monte sur les forfaits fiscaux, 6 mars 2012 ; Le Temps, Un bon forfait est un forfait contrôlé, 6 mars 2012 ; Le Temps, Les petits forfaits fiscaux tuent le forfait fiscal, 24 novembre 2011 ; Le Temps, Un atout qui pose un problème éthique, 1er juillet 2011.

[29] Projet de loi fédérale sur l’imposition d’après la dépense, FF 2011 p. 5605.

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