LA ZONE EURO AU DEBUT DE L’ANNEE 2011 : LES POLITIQUES ECONOMIQUES SUR LE FIL DU RASOIR ?

__________________________________________________________________________________________________

Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 162

(Année 2010)

__________________________________________________________________________________________________

L’article ci-dessous est une version mise à jour d’un article publié le 15 novembre 2010 par la Fondation Robert Schuman. La rédaction des Cahiers Fiscaux Européens exprime sa vive gratitude à la Fondation Robert Schuman d’avoir aimablement autorisé cette publication.

Après les tensions de la zone euro au premier semestre 2010, les 27 Etats membres de l’Union européenne semblent avoir réussi à sortir de la tempête déclenchée par les craintes des marchés concernant certains Etats du sud de la zone euro (Grèce, Espagne, Portugal). La croissance se raffermit progressivement. Dans le même temps, la plupart des Etats, y compris hors zone euro comme le Royaume-Uni, ont annoncé des politiques de réduction des déficits publics d’une ampleur inédite.

D’une certaine manière, les pays de la zone euro, tout en constatant des situations fragiles et contrastées, poursuivant des politiques économiques jugées inégalement crédibles par les marchés, confrontés à la nécessité de trouver un chemin étroit entre l’assainissement financier et l’impératif de ne pas affecter le raffermissement progressif de la croissance, se trouvent dans une situation financière ex post moins lourde que les Etats-Unis ou le Royaume-Uni dont les niveaux de déficits et de dette publique dépassent largement ceux des pays de l’Union monétaire.

La création en mai dernier d’un Fonds de stabilisation a dissipé les incertitudes financières sur la défaillance possible des Etats les plus fragiles et peut être considérée comme une étape réussie de la construction d’une solidarité financière entre les Etats. Il reste à poursuivre ce processus en avançant dans l’élaboration de procédures communautaires d’encadrement des politiques budgétaires. Il s’agira bien sûr d’un processus laborieux, les Etats, notamment les plus grands, demeurant sourcilleux sur un des attributs importants de leur souveraineté. Mais on peut compter, sur la capacité du couple franco-allemand à faire émerger une vision commune, comme il est parvenu à le faire pendant la tempête financière du printemps à partir de conceptions initiales assez divergentes et qu’il entend jouer dans la construction d’une stratégie budgétaire communautaire.

C’est finalement l’image d’une Europe sur le fil du rasoir qui apparaît comme l’impression dominante actuelle. La situation de croissance molle que connaissent la plupart des économies européennes place à court terme, les gouvernements devant des dilemmes importants dans la mise en place d’un sentier crédible de sortie de crise. Les compromis et les innovations qui peuvent en résulter ouvrent peut-être la voie à des solutions plus pérennes. Les efforts en matière de convergence budgétaire doivent demeurer une priorité politique de premier plan dans les mois qui viennent.

UNE CROISSANCE EUROPEENNE FRAGILE ET CONTRASTEE QUI PLACE LES ETATS DEVANT DE DOULOUREUX DILEMMES A COURT TERME

Le mouvement de reprise semble indiscutablement amorcé en Europe, notamment en raison d’une activité internationale à nouveau soutenue (+4% en 2010-2011). La croissance est élevée dans les pays émergents qui, rétrospectivement, paraissent n’avoir enregistré qu’un violent coup de frein (+6,1% en 2008, +2,5% en 2009) alors que les Occidentaux subissaient une récession d’une ampleur inconnue depuis les années 1930. L’activité s’inscrit sur un rythme très vif pour les économies émergentes et en développement, avec des taux de progression d’activité en 2010 à des rythmes de 9% au Brésil, de 8,6% en Inde et de 11,9% au premier trimestre en rythme annuel en Chine où le risque est plutôt de devoir gérer une situation de surchauffe.

Aux Etats-Unis, la reprise demeure assez chaotique, en raison notamment du non-redémarrage du secteur immobilier. Confrontée à une situation financière délicate (déficit à -10,7% du PIB et dette publique de 93% du PIB), l’Administration américaine dispose de marges de manœuvre extrêmement limitées alors que le chômage qui semble se maintenir à un niveau élevé (environ 9,5%) freine une véritable reprise de la consommation. Dans ces conditions, les prévisions publiées par le FMI[1] à l’automne 2010, se traduisent par une reprise moins vive que celle précédemment estimée. L’économie américaine progresserait de 2,7% en 2010 et de 2,2% en 2011.

Aussi, les marchés qui semblent avoir initialement escompté un différentiel important de croissance favorable aux Etats-Unis avec l’Europe et fait baisser l’euro jusqu’à 1,20 $, paraissent désormais considérer que la reprise américaine est moins vive que prévue, ce qui conduit le dollar à faiblir contre l’euro qui se renforce face au dollar (1,36$, le 4 février dernier).

Le repli de l’euro face au dollar combiné à la vigueur de l’activité dans les pays émergents a joué un rôle indiscutablement positif dans la reprise de l’activité en Europe au cours du premier semestre 2010. Ce facteur de stimulation devrait donc s’estomper dorénavant si le mouvement d’appréciation de l’euro se poursuit. Pour autant, la zone euro a bien renoué certes de manière fragile ou timide avec la croissance. Des pays comme la France ou l’Allemagne devraient retrouver en 2012 quasiment leur niveau de PIB d’avant crise. La zone euro qui avait connu une contraction de l’activité de 4,1% en 2009 enregistrerait une progression de 1% en 2010 et de 1,3% en 2011.

La situation demeure très contrastée entre l’Allemagne et ses principaux partenaires. Les entreprises allemandes ont tiré un parti très avantageux de la forte reprise asiatique, de leur spécialisation industrielle adaptée à la demande mondiale et de la phase de dépréciation de l’euro. Aussi après une contraction de son activité de 4,7% en 2009, l’Allemagne devrait enregistrer une croissance de 3,6% en 2010, soit le double de celui de la zone euro ou de la France (+1,6%), le triple de celui de l’Italie (+1%). En 2011, l’écart devrait se resserrer mais demeurer non négligeable (+2 à 2,5% en Allemagne, +1,5% en zone euro, +1,6% en France, +0,7% en Espagne, +1% en Italie).

Si la croissance européenne s’avère faible, assortie de taux de chômage élevés, c’est qu’outre les problèmes de structure (recherche, investissement,..), elle est confrontée à la brusque montée des déficits et des endettements publics. Dans ces conditions les politiques économiques se retrouvent non seulement dépourvues de marges de manœuvre mais contraintes de réaliser des ajustements considérables sauf à hypothéquer gravement les perspectives d’activité à moyen terme.

Tableau 1

Dette publique en pourcentage du PIB

2007

2010

2007

2010

Allemagne

65

77

Royaume-Uni

44

78

France

64

84

Etats-Unis

62

93

Espagne

36

65

Japon

188

227

Italie

103

119

Portugal

64

86

Irlande

25

77

Grèce

96

128

Source : FMI, WEO, avril 2010 et Eurostat, printemps 2010

Depuis les travaux de Carmen Reihnart et Kenneth Rogoff[2], on estime que le potentiel de croissance s’amenuise fortement dès lors que la dette publique en pourcentage du PIB franchit le seuil de 90%, ce qui peut conduire à des situations cumulatives défavorables. Les Etats-Unis seront sur des niveaux de cet ordre au cours de la période 2010-2011 et l’Europe qui oscille en moyenne autour de 80%, devrait atteindre 90% de dette sur PIB en 2012-2013.

D’où la nécessité de mettre en place dans l’ensemble des pays occidentaux, des politiques économiques centrées sur une réduction vigoureuse des déficits et la stabilisation à moyen terme de la dette publique en pourcentage du PIB comme le montre le tableau 2 (cf. infra) qui mesure les efforts financiers à consentir sur longue période évalués au printemps 2010[3]. Les pays de la zone euro ne sont pas dans la situation la plus contraignante. Ainsi, selon les simulations effectuées au printemps 2010 par l’OCDE, pour parvenir à stabiliser la dette publique en pourcentage du PIB à l’horizon 2025, les Etats-Unis devraient réaliser un ajustement de l’ordre de 10% du PIB. Sur le même horizon, le Royaume-Uni devrait engager un programme pluriannuel de réduction de déficit légèrement inférieur à celui des Etats-Unis mais sensiblement supérieur à celui de la zone euro.

La zone euro est, en effet, placée devant un ajustement sensiblement moins lourd. Un pays aussi fragilisé par la crise que l’Espagne devrait réaliser un effort égal à près de 6% du PIB, ce qui reste considérable, mais non hors de portée. Il convient de rappeler que le secteur public espagnol dégageait un excédent de 2 points de PIB avant la crise et supporte un endettement inférieur de 20 points de PIB à la moyenne européenne. Comme on le sait, l’Espagne est surtout affectée par le poids de l’endettement privé. En France, l’effort nécessaire est estimé à 5% de PIB, ce qui représente environ 100 milliards d’euros. L’Allemagne, en raison d’une situation financière bien maîtrisée avant la crise, reste placée devant un assainissement à réaliser, moins important (2,4% de PIB). Avec un excédent structurel (+1,2% de PIB), l’Italie se présente en apparence dans la position la moins défavorable en matière d’effort à consentir, mais sa dette est supérieure de 20 points à celle de l’Allemagne. À près de 120 % du PIB, l’assainissement devrait exiger des efforts importants sur une période plus longue pour amorcer un repli de sa dette vers la moyenne européenne.

UNE GENERALISATION DES POLITIQUES DE REDUCTION DES DEFICITS SUR FOND DE CROISSANCE REDUITE

D’une manière générale, les gouvernements européens ont fixé un cap consistant à revenir à des déficits de 3% du PIB à un horizon de 2 à 3 ans.

L’Allemagne est dans une position assez favorable pour y parvenir en raison à la fois d’un taux de croissance respectable et de la bonne maîtrise de ses comptes publics avant, pendant et en sortie de crise. Son déficit, qui n’a pas dépassé 3,3% du PIB en 2009, devrait atteindre en définitive 3,5% en 2010, ce qui demeure très modéré par rapport à l’ensemble du monde occidental et à l’Union européenne. Le cap fixé par le gouvernement allemand devrait ainsi permettre de renouer avec un déficit égal à 3% du PIB dès 2012, voire 2011 selon les dernières estimations. On rappelle que, conformément aux règles constitutionnelles, le déficit allemand ne pourra pas excéder 0,35% de PIB à partir de 2016. La dette publique en pourcentage du PIB continuera de progresser mais à un rythme modéré et maîtrisé (79% en 2010, 80% en 2011). La crédibilité de la stratégie économique et financière de l’Allemagne la conduit à enregistrer des taux sur ses emprunts d’Etat, les plus bas du monde occidental (2,20%).

Confrontés à des taux de croissance plus faibles et des situations financières plus vulnérables, les partenaires européens de l’Allemagne sont placés devant une tâche particulièrement délicate. Dans le sillage général des politiques européennes, la politique budgétaire française se veut résolument tournée vers le rééquilibrage des finances publiques, au point que le Gouvernement semble lui aussi se doter comme l’Allemagne d’une norme constitutionnelle. Selon les données publiées lors de la présentation du budget à l’automne 2010, en 2011, le niveau de réduction du déficit public atteindra un peu moins de 2 points de PIB, revenant de 7,7% en 2010 à 6% en 2011. Sans être aussi vigoureuse qu’en Allemagne, la croissance française s’inscrit à un niveau correct, ce qui conduit le Gouvernement français à estimer crédible un retour à 3% du déficit en 2013 et 2% en 2014. Dans ce scénario, la dette publique en pourcentage de PIB progresserait modérément  en 2011 et 2012 (86,2%, 87,4%) avant d’amorcer un mouvement de repli en 2013 et 2014 (86,8%, 85,3%).

Dans les autres pays de la zone euro, les efforts sont plus importants qu’en France. En Espagne, les dépenses publiques vont baisser de 8% en 2011 (-5% pour le salaire des fonctionnaires) pour parvenir à un déficit égal à 6% du PIB contre 9,3% en 2010. Comme la France, l’Espagne vise un objectif de déficit par rapport au PIB de 3% en 2013.

L’Italie, qui a enregistré un déficit égal à 5% du PIB en 2010 et n’avait pas, en raison du poids de sa dette, mis en place de plan de relance en 2008-2009, a en revanche, arrêté un plan de rigueur de 25 milliards d’euros en juillet dernier. Comme ses partenaires, le gouvernement italien vise un objectif de retour rapide de son déficit à 3% du PIB. Cet objectif serait atteint en 2012 après 3,9% en 2011. Même en dehors de la zone euro, les gouvernements européens engagent des programmes d’assainissement financier extrêmement vigoureux. Le nouveau gouvernement de David Cameron a présenté à l’automne dernier le budget le plus rigoureux de l’Union européenne au point de devoir supporter une très forte contraction de l’activité. Ainsi, est-il prévu de passer d’un déficit égal à 11% du PIB en 2010 à 1,1% en 2016, ce qui signifie une réduction des dépenses de l’Etat de 99 milliards de livres sur six ans : la plupart des ministères vont réduire leurs dépenses de 25%. Sur la même période, les recettes devront progresser de 29 milliards.

UNE SITUATION TENDUE DANS LA PLUPART DES PAYS DE L’UNION EUROPEENNE

Dans un contexte d’une rigueur financière aussi importante, la plupart des gouvernements européens se heurtent déjà ou risquent de se heurter à des situations intérieures crispées en raison de la sensibilité des opinions publiques aux efforts requis, qu’il s’agisse d’assainissement financier ou de réformes de structure (retraites, marché du travail).

On peut faire état des risques de tensions au sein des pays de l’Union en observant l’évolution probable des taux de chômage. A l’exception de l’Allemagne qui enregistre à la faveur d’une activité jusqu’ici très soutenue, une baisse de son taux de chômage (7% en 2010-2011), les pays de la zone subissent des taux de chômage de l’ordre de 10%[4] : 9,8% en France, 8,6% en Italie, 10,7% au Portugal, 11,8% en Grèce,…

Ceux des Etats qui subissent encore les effets de l’éclatement des bulles bancaires et immobilières connaissent des situations bien plus dégradées que ceux de leurs voisins où la crise financière concerne surtout le secteur public. La situation en Espagne est très médiocre avec  un taux de chômage 19,9 %.

En Irlande, la situation du secteur bancaire a exercé une pression considérable sur le déficit public (32% du PIB selon les indications récemment communiquées par le Gouvernement) et conduit à la nécessité de devoir faire appel à l’activation du Fonds Européen de Solidarité Financière pour 5 Milliards d’euros, au prix d’une grave crise politique. Dans ce pays, qui est le seul de l’Union à continuer à enregistrer une contraction de son activité (-3% en 2009, -2,7% en 2010, -1,1% en 2011), le  taux de chômage atteint 13,5%.

Enfin, d’une manière générale, sur le plan social et politique, les gouvernements doivent affronter la fébrilité ou le mécontentement des opinions publiques qui comprennent difficilement que le poids de la crise financière finisse par leur être transféré, même si le lien entre les séquences des faits ne se pose pas en termes aussi directs.

UNE REUSSITE DANS LA MAITRISE DE LA CRISE FINANCIERE ET MONETAIRE QUI DEVRAIT CONSTITUER UN LEVIER POUR LA RENOVATION DES POLITIQUES BUDGETAIRES EUROPEENNES

L’Europe peut se prévaloir d’un succès indiscutable dans la résolution de la crise bancaire en 2008-2009 et de celle de l’euro en 2010. Le sang froid et le sens du réel de la Banque centrale européenne ont permis de stabiliser les marchés. Le déploiement par la Banque centrale européenne de techniques non conventionnelles lors de la crise de fin 2008-début 2009 a permis l’alimentation des marchés en liquidités dans une situation généralisée de défiance interbancaire.

Pendant la crise de l’euro de mai 2010, la Banque centrale européenne est parvenue à rassurer les marchés sur les risques souverains de la zone euro en acceptant des titres publics dans ses opérations. Les opérations réalisées par la Banque centrale européenne sont finalement demeurées modestes (0,5% de PIB) si l’on compare la situation aux efforts que la Banque d’Angleterre a dû consentir (14% de PIB). Les gouvernements ont su ne pas rester prisonniers, pour résoudre la crise grecque, de l’interdiction de renflouement (« no bail-out ») des Etats instituée par le Pacte de Stabilité et de croissance. L’Europe a su faire preuve d’imagination, de solidarité et de crédibilité. La guerre de l’Euro a eu lieu et l’Europe l’a gagnée !

Le Fonds de stabilisation financière mis en place en juin 2010 et réunissant les 17 membres de la zone euro, a convaincu de la solidité de l’union monétaire constituée par les Etats la composant. Les trois principales Agences de notation (S&P, Moody’s et Fitch Ratings) ont attribué fin septembre au Fonds, la meilleure notation (AAA) et lors de l’émission destinée à couvrir les financements destinés à l’Irlande, les souscripteurs ont apporté 40 milliards d’euros pour 5 demandés. Le système bancaire européen a recouvré sa crédibilité avec des règles Bâle 3 qui permettront de renforcer ses fonds propres sur une période plus appropriée. La crise a ainsi permis de montrer la valeur d’une réponse communautaire comme l’a récemment souligné Renaud Dehousse[5].

Dans ces conditions, la réussite dans la résolution de la crise financière doit constituer le levain pour faire lever la pâte d’une évolution budgétaire d’ampleur.

Les Européens, quelle que soit leur analyse de la situation à l’aune de leur culture politique, ont pu mesurer combien laisser le Pacte de stabilité et de croissance en l’état pourrait s’avérer dangereux. La crise a fini de les convaincre, y compris les Allemands, qu’elle n’aurait pas eu cette ampleur sans les défaillances du Pacte, lequel porte une part de responsabilité non négligeable dans la divergence des politiques budgétaires depuis une dizaine d’années parce que reposant exclusivement sur des décisions nationales et dépourvu de contrainte véritable. La pédagogie de la crise a opéré : la question ne peut plus être éludée.

La capacité des Européens à définir une conception et des procédures communes en matière de pilotage des politiques budgétaires nationales, constitue désormais la priorité de la phase actuelle. Les questions relatives au « fédéralisme » budgétaire, au rôle dévolu à l’Eurogroupe lequel réunit les Ministres des Finances de la zone euro, vont devoir être traitées à partir des sensibilités assez différentes des Etats.

Les institutions communautaires ont lancé des initiatives importantes et innovantes. Les propositions faites par la Commission fin septembre élargissant son rôle dans la surveillance macro-économique des Etats et l’application d’éventuelles sanctions de caractère « automatique », soulèvent de vives protestations de la part de nombreux Etats. Il en a été de même à la suite de la réunion des dirigeants européens du 4 février dernier alors que l’intégration des politiques budgétaires tend à s’accroître. Le Président du Conseil européen Herman Van Rompuy œuvre également activement sur le sujet, cherchant à faire émerger un point d’équilibre entre la Commission et les grands Etats alors que ceux-ci n’entendent pas abandonner aux institutions communautaires la charge de définir in fine une doctrine et souhaitent conserver la maîtrise du process, sur des domaines aussi essentiels.

Peut-être aussi qu’au-delà d’une opposition « apparente » entre la Commission et les Etats, la crise a aussi renforcé la nécessité, d’accroître le poids du politique dans le processus européen et de parvenir à une synthèse doctrinale avec « l’expertise ».

LE MOTEUR FRANCO-ALLEMAND CLE DE LA REUSSITE DES REFORMES NECESSAIRES

Si l’Europe peut en définitive se féliciter d’être parvenue à maîtriser une crise bancaire et financière, puis monétaire, probablement la plus grave depuis la signature du Traité de Rome en 1957, elle le doit à la capacité des Etats, notamment la France et l’Allemagne à trouver des compromis dynamiques à partir de conceptions a priori incompatibles. L’ampleur des risques a finalement eu raison des divergences de part et d’autre du Rhin.

Dans ces conditions, il importe surtout de créer une « dynamique » qui s’inscrive dans un processus continu. On n’imagine pas, dans les circonstances actuelles, de « grand soir » de la convergence des politiques budgétaires. Ce processus, qui ne peut que se développer par une succession d’avancées partielles, repose au fond, sur deux conditions.

La première est de créer un accord entre « grands » Etats. Si l’Europe demeure vulnérable, notamment aux yeux des marchés, cela tient pour beaucoup à la situation financière des grands Etats, prise de manière isolée et cumulée. C’est de la capacité à forger un accord ou au moins une doctrine commune, entre l’Allemagne, la France et aux autres grands pays européens que les malentendus entre l’Europe et les marchés disparaîtront entièrement.

La seconde concerne le rôle du couple franco-allemand, décisif dans ce type d’évolution. La position commune élaborée entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy en marge du Sommet de Deauville, les 18 et 19 octobre,  comme à l’occasion du sommet européen du 4 février dernier pourrait fournir une impulsion décisive à la construction d’un encadrement européen des politiques budgétaires nationales.

Pour le couple franco-allemand, la solidarité financière des Etats est devenue indissociable de politiques budgétaires à la fois davantage encadrées à l’échelon communautaire et tournée vers la maîtrise des déficits. L’impulsion franco-allemande est également tournée vers une implication communautaire plus marquée sur les facteurs d’une croissance économique attentive à sa compétitivité (fiscalité, systèmes sociaux,…).

CONCLUSION – UNE SORTIE DE CRISE EN FORME DE RUSE DE LA RAISON ?

Comme pour d’autres, la crise comporte pour l’Europe son indémêlable mélange de dangers et d’opportunités selon les deux idéogrammes que le mot comporte en chinois.  La pédagogie de la crise a produit ses effets : les Européens ont pu prendre conscience, Grecs comme Allemands, combien les comportements solitaires pouvaient s’avérer infiniment plus coûteux que les réponses solidaires. Ce diagnostic vaut aussi bien en aval qu’en amont.

En aval, la solidarité offre la puissance nécessaire pour contenir les tempêtes financières. En amont, elle offre les moyens d’une croissance plus stable, plus durable et plus élevée.

La pertinence des solutions communautaires s’avère d’autant plus juste dans une période de sortie de crise laborieuse et incertaine, tant le sentier du retour à une croissance crédible semble étroit. A l’exception de l’Allemagne, les pays européens paraissent durablement voués à endurer des taux de croissance réduits et des niveaux d’endettement publics considérables. L’indiscutable réussite dans la maîtrise des violentes secousses bancaires et monétaires des deux dernières années doit convaincre les Etats de la zone euro de ne pas se décourager  face au lent travail d’accouchement d’une doctrine commune à partir de conceptions et de performances économiques divergentes.

A la différence de bien des situations antérieures, les Européens doivent d’autant plus s’accrocher à cet objectif et fonder sur eux-mêmes une stratégie de croissance qui aille au-delà de la réduction des pressions conjoncturelles qu’il semble illusoire de compter sur la reprise rapide de l’économie américaine. Les Etats-Unis, centre du tremblement de terre financier de 2008, ploient sous une dette publique qui excède largement les standards européens et qui en réalité obère pour longtemps le retour à une croissance comparable à celle d’avant crise.

Sur le sentier étroit qu’il leur faut emprunter, les Européens sauront-ils reconnaître la voie du salut ?

Alain Fabre

Economiste,

Conseil financier d’entreprises


[1] 6 octobre 2010.

[2] Carmen Reinart & Kenneth Rogoff, This time is different, Princeton, 2009.

[3] Perspectives économiques de l’OCDE, Mai 2010.

[4] Source FMI, octobre 2010.

[5] Renaud Dehousse  La méthode communautaire à l’épreuve de la crise, in CEPII L’économie mondiale en 2011, La Découverte, Collection Repères, Septembre 2010.

Les commentaires sont fermés.