L’ARTICLE 164C ET LES RESIDENTS DE MONACO

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Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 159

(Année 2009)

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Comme on le sait, la convention fiscale franco-monégasque n’est pas, au sens strict, une convention de double imposition dans la mesure où elle vise seulement à instaurer à Monaco un impôt sur les bénéfices commerciaux, à régler le sort des personnes de nationalité française résidant à Monaco, et à assurer la coopération entre les Administrations fiscales française et monégasque. Elle ne concerne pas les personnes de nationalité autre que française résidant en France ou en Principauté, sauf dans la mesure où celles-ci sont assujetties à Monaco à l’impôt sur les bénéfices. Ainsi, l’étranger qui s’installe en Principauté ne bénéficiera de la protection d’aucune convention.

En raison de cette relation particulière entre la France et Monaco, il a souvent été considéré que les ressortissants étrangers n’étaient pas traités de la même façon que les ressortissants français ou monégasques vivant à Monaco. C’est cette différence de traitement qui a souvent été dénoncée pour l’application de l’article 164 C du Code Général des Impôts.

L’IMPOSITION DES RESIDENTS MONEGASQUES DISPOSANT D’UNE RESIDENCE SECONDAIRE EN FRANCE

En effet, l’article 164 C du Code Général de Impôts stipule que, même lorsqu’ils ne perçoivent pas de revenus de source française, les contribuables domiciliés hors de France peuvent être soumis à l’impôt en France s’ils y disposent d’une ou plusieurs habitations, à quelque titre que ce soit, directement ou sous le couvert d’un tiers. Les intéressés sont imposables, en principe, sur une base forfaitaire égale à trois fois la valeur locative de l’habitation dont ils disposent en France sauf si leurs revenus de source française sont plus élevés ; dans ce cas, ce sont ces revenus qui servent de base à l’imposition.

En vertu de cet article, les contribuables étrangers doivent donc souscrire en France une déclaration de revenus en faisant apparaître comme revenu imposable trois fois la valeur locative de la ou des habitations dont ils ont la disposition en France à quelque titre que ce soit. La valeur locative à retenir est la valeur locative réelle et non la valeur locative cadastrale. Elle peut être déterminée par comparaison avec celle des habitations similaires louées dans des conditions normales. Lorsque le contribuable est locataire, elle correspond en principe au montant du loyer à moins que celui-ci n’apparaisse minoré.

Si les intéressés ne font pas cette déclaration, ils sont susceptibles de recevoir une notification de redressements, et il faut noter à ce sujet que les services fiscaux peuvent être informés de leur situation au travers des déclarations de la taxe d’habitation ou de la taxe de 3%.

Par conséquent, si la personne de nationalité étrangère, domiciliée en Principauté, dispose en France d’une ou de plusieurs habitations, elle est susceptible d’être imposée par la France sur une base égale à trois fois la valeur locative de cette ou de ces habitations. En effet, pour échapper à cette imposition forfaitaire, cette personne ne pourra se prévaloir ni de la convention franco-monégasque, ni, le cas échéant, de la convention de réciprocité, signée entre le pays dont elle est le ressortissant et la France, dans la mesure où, par définition, elle ne pourra pas justifier être soumise à Monaco à un impôt personnel sur l’ensemble de ses revenus égal au moins aux deux tiers de celui qu’elle aurait supporté en France.

Cependant, l’administration française a, dans le passé, admis, conformément à la décision prise par la Commission Mixte franco-monégasque, de faire bénéficier les personnes de nationalité étrangère résidant à Monaco de la même mesure de bienveillance que celle réservée aux français et aux monégasques résidents en Principauté.

En effet, en 1969, l’administration monégasque avait obtenu de la France que l’ancien article 164,2 du CGI en vigueur à l’époque ne soit pas applicable aux personnes domiciliées à Monaco dans l’attente de la loi portant réforme du principe de territorialité. Elle avait donc admis que les personnes ayant la qualité de résident de Monaco, quelle que soit leur nationalité, soient exonérées de l’impôt sur trois fois la valeur locative à raison d’une seule résidence située dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Cette tolérance a été remise en cause par un certain nombre de services de l’administration française qui ont notifié, à des ressortissants étrangers domiciliés à Monaco, des impositions sur la base de trois fois la valeur locative des résidences dont ils disposaient en France.

Un parlementaire des Alpes-Maritimes, Monsieur Charles Ehrmann, a alors attiré l’attention sur les risques de cette évolution de la position de l’administration française par une question écrite en date du 31 juillet 1989. En effet, une telle imposition ne pouvait que dissuader les étrangers résidant à Monaco d’acquérir ou de conserver une résidence secondaire en France, ce qui aurait entraîné des pertes pour l’économie des départements voisins de la Principauté, ainsi qu’une diminution des ressources fiscales locales.

UNE EXONERATION RESERVEE AUX RESSORTISSANTS FRANCAIS ET MONEGASQUES

Répondant à Monsieur Ehrmann, le Ministre du budget a donné les précisions suivantes :

« L’instruction administrative du 26 juillet 1977 (B.O.D.G.I. 5 B-24-77) prévoit que les contribuables domiciliés dans un pays ayant conclu avec la France une convention tendant à éviter les doubles impositions échappent à l’imposition forfaitaire instituée par l’article 164 C du Code Général des Impôts.

Cette disposition permet d’éviter une double imposition que la convention a précisément pour but d’éliminer.

Or, la convention fiscale entre la France et Monaco ne tend pas à remédier aux doubles impositions des particuliers, dès lors qu’il n’existe pas d’impôt monégasque sur le revenu, mais au contraire à prévenir des situations de double exonération en soumettant à l’impôt français les ressortissants français visés à l’article 7 de la convention.

Pour tenir compte des relations de voisinage entre les deux États et de l’exiguïté du territoire de la Principauté, une mesure particulière a été prise, comme le rappelle l’honorable parlementaire ; elle prévoit l’exonération d’une seule résidence secondaire située dans la région Provence – Alpes – Côte d’Azur pour les nationaux monégasques et les nationaux français titulaires du certificat de domicile à Monaco.

Les nationaux d’autres États qui résident à Monaco sont assujettis à cette taxe en l’absence de disposition contraire à la convention franco-monégasque. Cependant, compte tenu des incertitudes qui ont pu exister sur la portée de cette mesure particulière, son bénéfice sera accordé pour le passé à toutes les personnes domiciliées à Monaco, quelle que soit leur nationalité, y compris pour l’imposition au titre de 1989. »

Ainsi, les personnes de nationalité étrangère, résidant à Monaco, ont pu se prévaloir de la réponse ministérielle, pour demander à être dégrevées de la taxe au titre des années antérieures à 1990.

En revanche, depuis 1990, les personnes résidant à Monaco, qui n’étaient ni de nationalité française, ni de nationalité monégasque, et qui avaient la disposition d’une ou de plusieurs habitations en France, étaient assujetties à l’impôt prévu par l’article 164 C du Code Général des Impôts (à moins bien entendu que leurs revenus de source française ne soient supérieurs à la base d’imposition forfaitaire, c’est-à-dire, à trois fois la valeur locative de cette ou de ces habitations).

Constatant à la lecture de la réponse Ehrmann qu’en fait, les monégasques et les français, titulaires du certificat de domicile à Monaco, étaient exonérés, certains résidents de Monaco de nationalité autre que française ou monégasque ont pu se demander si l’administration fiscale française n’avait pas créé une discrimination prohibée entre certains étrangers résidents de Monaco et les nationaux français également résidents de Monaco, dans la mesure où ils se trouvent dans la même situation.

Certains contribuables étrangers ont alors saisi les tribunaux français afin de s’interroger sur la compatibilité de l’imposition de l’article 164 C du Code Général des Impôts avec les clauses d’égalité de traitement qui figurent dans la quasi-totalité des conventions fiscales signées par la France et qui lui interdisent d’imposer les ressortissants des pays cocontractants différemment ou plus lourdement que les français.

Après une longue série de décisions, la réponse à cette problématique semble aujourd’hui être définitivement négative pour les ressortissants de l’Union Européenne en application des Traités de l’Union Européenne et plus particulièrement grâce au principe de liberté de circulation des capitaux. Cette sécurité est, par contre, loin d’être atteinte et il faut analyser au cas par cas chaque situation pour les ressortissants non européens.

LA RECONNAISSANCE PROGRESSIVE DU CARACTERE DISCRIMINATOIRE DE L’ARTICLE 164C DU CODE GENERAL DES IMPOTS

De nombreux arrêts ont dû être rendus avant que la Cour administrative d’appel de Marseille décide que l’imposition de l’article 164 C du Code Général des Impôts aux ressortissants européens domiciliés à Monaco était contraire avec les principes directeurs du Traité de l’Union européenne.

L’APPROCHE CONVENTIONNELLE

Les clauses de non-discrimination se fondent sur le critère de la nationalité et non sur celui de la résidence. Tous les nationaux des pays cosignataires devraient donc pouvoir s’en prévaloir, même s’ils résident dans un État tiers et, par exemple, à Monaco. Toutefois, l’administration fiscale française a tendance à considérer que, sauf disposition expresse de la convention, l’égalité de traitement ne s’applique qu’aux personnes qui sont résidentes du pays dont elles ont la nationalité.

En effet, les français de Monaco ne sont pas imposables sur trois fois la valeur locative s’ils disposent d’une résidence secondaire dans la région française voisine.

Cependant, il est vrai que la situation fiscale des français de Monaco est bien particulière du fait de la convention franco-monégasque puisqu’il existe deux catégories de résidents français à Monaco et seuls ceux qui résident en Principauté sans interruption depuis au moins le 13 octobre 1957 ne sont pas imposables en France sur la totalité de leurs revenus. Les autres sont réputés avoir leur domicile fiscal en France.

Dès lors, sur ce fondement d’égalité de traitement entre les français et les étrangers bénéficiaires d’une clause de non-discrimination, l’administration fiscale française avait admis que deux catégories de personnes résidant à Monaco et ayant la nationalité d’un État lié à la France par une telle clause devraient échapper à la taxation forfaitaire sur trois fois la valeur locative d’une résidence dont ils auraient la disposition en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

D’une part, les étrangers qui ont résidé sans interruption en Principauté depuis le 13 octobre 1957 et qui peuvent l’établir par un certificat délivré par les autorités monégasques.

D’autre part, les étrangers qui tout en étant résidents monégasques ont conservé leur domicile fiscal dans leur pays d’origine.

En revanche, selon l’administration française, les étrangers qui ne remplissaient pas l’une de ces deux conditions n’étaient pas dans la même situation que les français résidents à Monaco et ne subissaient donc pas un traitement discriminatoire en étant imposés sur trois fois la valeur locative. En effet, l’égalité de traitement suppose une identité de situation.

La taxation sur trois fois la valeur locative posait, de plus, un problème très délicat lorsque les deux conjoints n’avaient pas le même statut fiscal, par exemple, l’un des conjoints était français, titulaire d’un certificat de domicile à Monaco, ou monégasque alors que l’autre conjoint était étranger.

Dans une telle situation, l’administration des impôts avait pris une position très rigoureuse et sans doute contestable. Elle considérait, en effet, que le conjoint étranger était imposable et cela sur la base de trois fois la valeur locative et non sur la moitié de cette base d’imposition.

Ainsi, compte tenu du principe de l’imposition par foyer, il suffisait que l’un des deux conjoints ne remplisse pas les conditions de l’exonération pour que le foyer soit imposé, ce qui supprimait l’exonération de l’autre conjoint.

Un tel résultat montrait bien l’incohérence de la position de l’administration fiscale française. Dès lors que le sujet d’imposition est le foyer, la seule solution cohérente et équitable aurait été d’admettre qu’il suffisait que l’un des deux conjoints soit exonéré pour que le foyer le soit.

Il semble toutefois que, dans le cadre des négociations menées pour la révision de la convention de 1963, les Autorités françaises ont admis que, lorsque des français non fiscalement domiciliés en France ou des monégasques bénéficient de l’exonération prévue à l’article 164 C du Code Général des Impôts français, leurs conjoints en bénéficient aussi pour la même habitation.

En ce qui concerne les ressortissants étrangers, la position adoptée pendant de longues années par l’Adminsitration a été remise en cause partiellement par un arrêt du Conseil d’État en date du 11 juin 2003, l’arrêt Biso. Après avoir rappelé que l’existence d’une violation d’une clause de non discrimination s’apprécie en tenant compte non seulement du droit interne mais également des règles fiscales qui pourraient découler d’autres conventions fiscales (en l’espèce, la convention franco-monégasque) et que la différence de traitement entre un français et un autre étranger résidant à Monaco ne résulte pas d’une différence de situation objective mais seulement de la nationalité, la Haute juridiction a conclu que les articles 25 de la convention franco-britannique du 22 mai 1968 et de la convention fiscale italienne du 5 octobre 1989 s’opposent à ce qu’un britannique ou un italien résidant à Monaco soit soumis à l’imposition forfaitaire prévue à l’article 164 C du Code Général des Impôts. Toutefois, pour le Conseil d’État, il est nécessaire que la Convention qu’il s’agit d’appliquer ne comporte pas de disposition qui en réserve le bénéfice aux seuls résidents des États contractants (ce qui est le cas de l’ancienne convention entre la France et l’Italie qui s’applique aux années d’imposition antérieures à 1992).

Bien plus, il a estimé que lorsque l’un des conjoints est imposable (l’italien avant 1992) et que l’autre ne l’est pas (le britannique), le principe du foyer fiscal entraîne l’imposition commune des deux époux, faisant ainsi perdre à l’un des deux l’exonération à laquelle sa nationalité lui donnerait droit.

De ce fait, un ressortissant étranger résidant à Monaco et qui voulait se prévaloir pour échapper en France à l’imposition forfaitaire de la clause de non discrimination contenue dans la convention de double imposition entre son pays et la France devait être très attentive à la manière dont cette convention était rédigée et à la portée qui lui était ainsi donnée. Cette casualité a été supprimée, pour les ressortissants communautaires, avec l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille qui a jugé que cette imposition était contraire aux principes européens.

L’APPROCHE COMMUNAUTAIRE

La restriction posée par le Conseil d’État à l’application des clauses de non discrimination semblait être contestable dès lors que l’intéressé était un ressortissant d’origine communautaire.

En effet, si la jurisprudence du Conseil d’État avait mis fin aux discriminations caractérisées au regard de dispositifs conventionnels, elle instaurait une discrimination entre les ressortissants des États de l’Union Européenne résidant à Monaco et disposant d’une résidence secondaire en France qui auraient été ainsi traités différemment au regard du principe communautaire de non discrimination. Certes, Monaco n’est pas membre de l’Union Européenne, mais la discrimination est subie en France qui est un État membre de cette Union, même si les intéressés n’y résident pas.

On pourrait donc penser que la situation des ressortissants communautaires résidant à Monaco, soumis à l’article 164 C du Code Général des Impôts, qui ne peuvent bénéficier d’une convention fiscale, pourrait trouver grâce sur le terrain de ce principe en empruntant la voie soit de la libre circulation de capitaux, soit de la liberté d’établissement. Tel n’a pourtant pas été l’avis du Conseil d’État dans son arrêt du 27 juillet 2005 n° 244.671 rendu par les 9e et 10e sous-sections récentes.

En l’espèce, la requérante, italienne domiciliée à Monaco et qui avait été assujettie au titre de l’année 1990 à l’imposition prévue par l’article 164 C du CGI, faisait valoir que la différence entre le traitement qui lui avait été appliqué et celui qui serait appliqué à un ressortissant français résidant à Monaco était constitutive d’une discrimination prohibée tant par la convention franco-italienne du 29 octobre 1958 que par le traité instituant la Communauté Européenne.

Le premier moyen a été écarté par le Conseil d’État conformément à sa précédente jurisprudence puisque la convention franco-italienne de 1958, en vigueur en 1990, ne rendait applicable la clause de non discrimination qu’aux nationaux des États contractants qui résidaient dans l’un des États contractants.

Le deuxième moyen, qui lui était soumis pour la première fois, a également été écarté par la Haute Juridiction, qui n’a même pas cru bon de saisir d’une question préjudiciable la Cour de Justice de la Communauté Européenne, par le considérant suivant :

« Considérant, d’autre part, que si les impôts directs ne relèvent pas, en tant que tels, du domaine de compétence de la Communauté européenne, les États membres doivent exercer leur compétence fiscale dans le respect du droit communautaire et notamment des libertés protégées par les stipulations des articles 52 (devenu, après modification, article 43 CE) et 67 du traité CE ; que les stipulations de l’article 52 du traité CE qui posent le principe de la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans un autre État membre ne sont pas applicables aux faits de l’espèce dès lors que les impositions en cause ne relèvent pas de l’exercice d’une activité non salariée ou de la gestion d’une entreprise ; que les stipulations de l’article 67 CE, alors en vigueur, qui prévoyaient la suppression progressive des restrictions aux mouvements de capitaux et les dispositions de droit dérivé prises pour assurer la mise en œuvre de cet article et, en particulier, la directive 88/361/CEE du 24 juin 1988, aux dispositions de laquelle les États membres devaient se conformer au plus tard le 1er juillet 1990, limitent leur champ d’application aux mouvements de capitaux intervenant entre les personnes résidant dans les États membres et ne sont donc pas applicables à Mme X, résidente monégasque ; que si l’article 7 du traité CE (devenu, après modification, article 6 puis article 12 CE) interdit toute discrimination exercée en raison de la nationalité, cette prohibition ne vaut que dans le domaine d’application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit ; que, s’agissant d’impôts directs ne relevant pas de la compétence de la Communauté européenne, Mme X, dont la situation, ainsi qu’il a été dit, ne met pas en jeu une liberté de circulation protégée par le traité CE, ne peut utilement invoquer cet article ; qu’il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d’une question préjudicielle, que Mme X n’est pas fondée à invoquer les stipulations des articles 7, 52 et 67 du traité CE et ne peut, par suite, utilement soutenir que les dispositions de l’article 164 C du Code Général des Impôts sont contraires au principe de non-discrimination qui découle de ces stipulations. »

Dans la mesure où la fiscalité directe relève de la souveraineté des États membres, il est en effet nécessaire, pour se prévaloir du droit européen en la matière, de prouver que la règle fiscale est contraire à l’une des libertés garanties par le traité européen, c’est-à-dire, en pratique, soit à la liberté d’établissement, soit à la libre circulation des capitaux.

Or, invoquer la liberté d’établissement suppose l’exercice en France d’une activité indépendante, ce qui n’est évidemment pas le cas d’une personne qui se borne à occuper comme résidence secondaire un local d’habitation et la libre circulation des capitaux dans le texte en vigueur avant le 1er janvier 1994 ne concernait que les personnes établies dans l’Union européenne, ce qui n’était pas le cas d’un résident de Monaco.

Cependant, dans sa version actuelle applicable depuis le 1er janvier 1994, l’article 56 CE, issu de l’article 73 B du Traité de Maastricht, prévoit que les restrictions aux paiements et aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre ces États et les pays tiers sont interdits.

Ainsi, un résident monégasque peut désormais se prévaloir de l’article 56 CE et, de plus, il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes que les investissements immobiliers constituent des mouvements de capitaux qui entrent dans le champ d’application de l’article 56 CE.

C’est dans cette logique que, dans un arrêt du 21 décembre 2007, la Cour Administrative d’Appel de Marseille a pu estimer que les dispositions combinées de l’article 56 et de l’article 12 (qui interdit toute discrimination exercée en raison de la nationalité dans le domaine d’application du Traité) s’opposent à ce que des ressortissants communautaires domiciliés à Monaco et disposant d’une habilitation en France soient imposés forfaitairement sur trois fois la valeur locative de cette habitation alors que les français domiciliés à Monaco et qui se trouvent dans la même situation, tant en ce qui concerne leur résidence que la localisation de leur investissement, sont imposés sur la base de leur revenu réel.

La Cour a reconnu, conformément à une jurisprudence bien établie, que la discrimination peut résulter non seulement des règles du droit interne, mais également de celles posées par une convention internationale.

L’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Marseille n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en Cassation devant le Conseil d’État de la part de l’Administration.

Ainsi, tous les ressortissants de l’Union européenne domiciliés à Monaco et disposant d’une habitation en France peuvent aujourd’hui se prévaloir de cette jurisprudence pour être exonérés de l’imposition forfaitaire de l’article 164 C.

Il faut pourtant noter que l’imposition par la France des français résidant à Monaco est, en règle générale, beaucoup plus pénalisante que celle des autres ressortissants communautaires, néanmoins l’existence d’une discrimination est suffisante pour exonérer ces derniers de l’imposition forfaitaire sans qu’il y ait lieu de rechercher si en réalité ils ne sont pas mieux traités que les français en étant imposés sur la base d’un revenu forfaitaire et non de leur revenu réel.

Quoiqu’il en soit, on peut aujourd’hui considérer que la situation des ressortissants européens au regard de l’article 164 C est maintenant résolue dans le sens d’une suppression totale de la discrimination.

On ne peut malheureusement pas en dire autant pour les ressortissants non communautaires.

LA SITUATION CONTRASTEE DES RESSORTISSANTS

NON EUROPEENS

Pour eux, l’imposition de l’article 164 C du Code Général des Impôts doit s’apprécier au cas par cas sur un plan conventionnel et, de manière plus anecdotique, dans le cas particulier de l’expatriation.

LA DIVERSITE DES SITUATIONS CONVENTIONNELLES

En l’absence d’une possibilité d’application des dispositions européennes, la jurisprudence Biso retrouve son autonomie pour les ressortissants non communautaires habitant à Monaco et disposant d’une résidence en France.

Rappelons que le Conseil d’État a jugé qu’il était nécessaire de traiter de manière égale un ressortissant étranger domicilié à Monaco et ayant une propriété en France d’un ressortissant français ou monégasque étant dans la même situation. Toutefois, il a émis une précision selon laquelle cette égalité de traitement est obligatoire seulement pour les ressortissants étrangers dont leur convention ne comporte pas de disposition qui en réserve le bénéfice aux seuls résidents des États contractants. Bien plus, il a estimé que lorsque l’un des conjoints est imposable et que l’autre ne l’est pas, le principe du foyer fiscal entraîne l’imposition commune des deux époux faisant ainsi perdre à l’un des deux l’exonération à laquelle sa nationalité lui aurait donné droit.

Cette jurisprudence doit donc être appliquée aux résidents non européens domiciliés à Monaco et possédant une résidence en France.

En l’absence de principe général d’autonomie des clauses de non discrimination qui aurait permis de les appliquer indépendamment des autres dispositions de la convention dans laquelle elles sont incluses, il est donc nécessaire d’être très attentif à la manière dont ces conventions sont rédigées et à la portée qui leur est ainsi donnée.

Ainsi, dans ses conclusions sous l’affaire Benmiloud (CE, 30 décembre 1996, n° 128 611), le Commissaire du Gouvernement, Gilles Bachelier a pu recenser à ce titre, cinq types de conventions fiscales selon leur rédaction :

Il y a, en premier lieu, les conventions qui ne comportent pas de clause de non discrimination comme, par exemple, les conventions de l’Australie, du Bahreïn, du Koweït, de Mayotte, de Monaco, de la Nouvelle-Calédonie, de la Nouvelle-Zélande, d’Oman, de la Polynésie Française, du Qatar, de Saint-Pierre et Miquelon, et du Viêt Nam ;

– Il y a, en deuxième lieu, les conventions qui subordonnent le bénéfice de la clause de non discrimination à une condition de nationalité et de résidence : tel est le cas des États-Unis et de l’Indonésie ;

– Il y a, en troisième lieu, les conventions qui limitent leur champ d’application aux résidents mais qui prévoient que la clause de non discrimination s’applique aux personnes, qu’elles soient ou non résidentes d’un des États contractants comme, par exemple, les conventions de l’Albanie, de l’Argentine, de l’Arménie, d’Azerbaïdjan, du Bengladesh, de la Bolivie, du Botswana, du Canada, du Chili, de la Chine, du Congo, de la Croatie, de la Côte d’Ivoire, de l’Égypte, des Émirats Arabes Unis, de l’Équateur, de l’Éthiopie, de la Fédération de Russie, de l’Ile Maurice, de l’Inde, de l’Islande, du Japon, de la Jordanie, du Kazakhstan, du Kenya (non entrée en vigueur), de la Macédoine, de Madagascar, de la Norvège, du Nigéria, de l’Ouzbékistan, des Philippines, de la République de Corée, de Trinité et Tobago, de la Turquie, de l’Ukraine, du Venezuela, de la Yougoslavie et du Zimbabwe ;

Il y a, en quatrième lieu, les conventions qui ne limitent pas leur champ d’application aux résidents de l’un ou des deux États contractants et qui contiennent une clause de non discrimination qui ne se réfère qu’à la nationalité comme, par exemple, la convention du Burkina Faso, du Benin, du Cameroun, du Liban, du Malawi, du Mali, du Maroc, de la Mauritanie, du Niger, de la République centrafricaine, du Sénégal, du Togo et de la Zambie ;

– Il y a enfin, les conventions qui limitent leur champ d’application aux seuls résidents et la clause de non discrimination ne pose qu’un critère de nationalité comme, par exemple, la convention de l’Afrique du sud, de l’Algérie, de l’Arabie Saoudite, du Brésil, de la Finlande, du Gabon, du Ghana, de la Guinée, de l’Iran, d’Israël, de la Jamaïque, de la Libye, de la Malaisie, du Mexique, de la Mongolie, de la Namibie, du Pakistan, du Québec, de Singapour, du Sri Lanka, de la Suisse, de la Thaïlande et de la Tunisie.

Par conséquent et en application de la jurisprudence Biso, seules les conventions du troisième ou du quatrième type paraissent pouvoir être invoquées par des ressortissants non communautaires résidents monégasques pour échapper à l’application de l’article 164 C du Code Général des Impôts.

De cette énumération de clauses, il est possible de catégoriser les ressortissants non européens résidents de Monaco. Il en existe trois :

d’une part, les résidents monégasques bénéficiaires d’une clause de non discrimination « favorable » qui l’exonère de l’application de l’article 164 C du Code Général des Impôts, ce dernier étant contraire aux conventions invocables, quels que soient le nombre et la localisation des habitations dont ils disposent en France ;

d’autre part, les résidents monégasques bénéficiaires d’une clause de non discrimination « défavorable ». Ces derniers sont donc soumis à l’imposition de l’article 164 C du Code Général des Impôts même pour leur première résidence secondaire en région Provence-Alpes-Côte d’Azur ;

enfin les résidents monégasques de nationalité monégasque et les français résidant à Monaco avant le 13 octobre 1957 dits les français « privilégiés ». Des arrangements franco-monégasque les protègent de toute imposition à l’article 164 C du Code Général des Impôts.

Cette dernière catégorie subit une sorte de « discrimination à rebours ». En effet, l’exonération à l’imposition sur trois fois la valeur locative de la résidence en France n’est possible que par les effets de la réponse Ehrmann, ce qui implique qu’elle doit se limiter à une seule résidence secondaire située dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. En effet, ils ne peuvent invoquer en leur faveur ni le droit communautaire ni une quelconque clause de non discrimination.

En conclusion, la situation pour les ressortissants non européens est beaucoup moins limpide que celle pour les ressortissants européens. La possible discrimination dépendra de la clause de non discrimination prévue dans la convention fiscale signée entre leur État et la France. Afin d’essayer d’être totalement exhaustif, il convient enfin de citer les dispositions de droit interne français en matière d’expatriation.

LE CAS PARTICULIER DE L’EXPATRIATION

L’article 6 de la loi du 29 décembre 1994 a exclu de la taxation forfaitaire, à titre temporaire, les contribuables de nationalité française dont l’expatriation est justifiée par des impératifs d’ordre professionnel et dont le domicile fiscal était situé en France de manière continue pendant les quatre années précédant celle du transfert.

Il a été admis que cette exonération puisse également s’appliquer aux nationaux des pays ou territoires ayant conclu avec la France un accord de réciprocité comportant une clause d’égalité de traitement fondée sur la nationalité en matière d’impôt sur le revenu.

C’est ainsi qu’un étranger non ressortissant d’un État de l’Union européenne pourra se prévaloir de la clause de non discrimination contenue dans les conventions fiscales ou les accords particuliers dès lors que celle-ci ne vise que la nationalité sans faire état d’une obligation de résidence.

Étant donné que le régime de l’article 164 C du Code Général des Impôts ne s’applique pas, en tout état de cause, aux ressortissants européens et aux ressortissants non européens dont leur convention ne comporte pas de disposition qui en réserve le bénéfice aux seuls résidents des États contractants, cette exonération temporaire n’intéresse en pratique que les ressortissants des pays ou territoires ayant conclu un accord spécifique de réciprocité. L’administration fiscale française, dans sa doctrine administrative du 20 décembre 1996, n°7 G-244, en matière de droits de mutation à titre gratuit, a donné une liste des pays liés à la France par un traité de réciprocité ou une convention internationale comportant une clause de réciprocité permettant à ses nationaux de prétendre au bénéfice du régime prévu par l’article 783 du Code Général des Impôts. Cette liste est la suivante : Afrique du Sud, Algérie, Allemagne, Argentine, Autriche, Bangladesh, Belgique, Bénin, Bolivie, Brésil, Bulgarie, Burkina, Cameroun, Canada, Centrafricaine (République), Chine, Chypre, Congo, Corée (République de), Costa Rica, Côte-d’Ivoire, Cuba, Danemark, Egypte, Emirats arabes unis, Equateur, Espagne, Etats-Unis d’Amérique, Finlande, Gabon, Grèce, Haïti, Honduras, Hongrie, Indonésie, Iran, Irlande, Islande, Israël, Italie, Japon, Jordanie, Liban, Luxembourg, Madagascar, Malawi, Mali, Malte, Maroc, Maurice, Mauritanie, Mexique, Monaco, Niger, Nigeria, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Saint-Martin, Sénégal, Slovaquie, Sri Lanka, Suède, Suisse, République tchèque, Thaïlande, Togo, Trinité-et-Tobago, Tunisie, Ex-URSS, (Etats membres de la CEI), Venezuela, Ex-Yougoslavie, Zaïre, Zambie.

En d’autres termes, tout étranger ayant été domicilié en France de manière continue pendant au moins les quatre années ayant précédé le transfert de son domicile à Monaco pourra, s’il peut par ailleurs se prévaloir de cette clause d’égalité de traitement, revendiquer le bénéfice de l’exonération temporaire s’appliquant à l’année du transfert du domicile et les deux années suivantes, à condition de démontrer que celui-ci résulte d’un impératif professionnel ou puisse être justifié par le rapprochement des conjoints.

L’expatriation doit donc nécessairement résulter d’un impératif professionnel concernant le contribuable ou son conjoint. Cette condition implique notamment que l’activité résultant de l’expatriation procure au foyer fiscal, à titre principal, des revenus ayant leur source dans une activité professionnelle, c’est-à-dire salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux et bénéfices agricoles.

L’expatriation peut également être justifiée par le rapprochement des conjoints à condition que l’un au moins des époux, celui qui transfère son domicile fiscal ou celui qui est déjà domicilié hors de France, y exerce une activité professionnelle de nature de celles énumérées ci-dessus.

A contrario, sont exclues du dispositif les personnes qui transfèrent leur domicile hors de France pour des raisons de pure convenance personnelle.

Les conditions prévues pour cette exonération temporaire sont tellement strictes et nombreuses que cette mesure trouvera rarement à s’appliquer pour une personne domiciliée à Monaco.

En effet, les personnes qui demandent le bénéfice de l’exonération doivent justifier avoir été domiciliées en France de manière continue et pendant au moins les quatre années précédant celle du transfert de leur domicile fiscal hors de France pour pouvoir bénéficier de cette exonération temporaire qui s’appliquera l’année du transfert du domicile fiscal hors de France et les deux années suivantes.

Pendant la durée de l’exonération, les contribuables ne sont assujettis à l’impôt français que sur leurs revenus de source française et, le cas échéant, sur les autres revenus dont l’imposition est attribuée à la France par un accord international. Ils échappent donc à la taxation à trois fois la valeur locative de l’article 164 C du Code Général des Impôts. A l’issue de la période d’exonération, les contribuables qui disposent toujours d’une habitation en France deviennent passibles de l’imposition forfaitaire dès lors que la base de celle-ci excède le montant de leurs revenus de source française.

A l’issue de cet article, on peut une fois de plus constater que les relations Franco Monégasques constituent un véritable laboratoire de fiscalité internationale. Il est incontestable que l’article 164 C et ses conséquences discriminatoires y a joué le rôle de sujet d’expérimentation.

Isabelle FONTANEAU

Rédacteur Juridique

D.E.S.S. Droit des affaires et fiscalité

CABINET FONTANEAU

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