LES INCIDENCES FISCALES DE LA STRUCTURE DU CONTRAT D’ASSURANCE-VIE


Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 153

(Année 2008)


L’assurance-vie apparaît très souvent comme un instrument privilégié de gestion et de transmission patrimoniale. Un conseiller patrimonial avisé ne manquera pas de mettre en avant les avantages inhérents à ce type de produit, notamment en termes d’imposition des revenus ou de droits de succession.

Sur un plan juridique, le terme assurance-vie recouvre des contrats de nature très différente. En pratique, il s’agit le plus souvent de contrats de nature financière ayant pour objet principal une opération de capitalisation, et non d’une véritable opération d’assurance comme peut l’être le contrat d’assurance décès pur.

Bien que les réformes fiscales successives aient limité les avantages fiscaux de ce type d’investissement, il n’en demeure pas moins l’un des placements préférés des épargnants. La forme la plus couramment choisie par ces derniers est le contrat d’assurances mixtes, c’est-à-dire un contrat qui tient compte à la fois du risque de vie et du risque décès. De ce fait, ce type de contrat permet au souscripteur à la fois de se constituer une épargne et d’assurer un capital ou une rente à des tiers déterminés, étant précisé que ces deux objectifs sont alternatifs et non cumulatifs.

Ces contrats peuvent être libellés, soit en euros, soit en unités de comptes. Dans les contrats en euros, l’établissement gestionnaire place en principe comme il l’entend les sommes déposées sur le contrat. En pratique, comme il est tenu de rembourser à l’échéance du contrat une somme égale aux primes nettes augmentée des intérêts capitalisés, ces contrats sont principalement investis dans des supports sans risque (obligations, notamment). Dans les contrats en unités de comptes, les sommes versées sont investies sur un ou différents supports : Parts d’OPCVM, de SCPI, de sociétés civiles, actions…

Les contrats en euros présentent l’avantage de la sécurité car l’établissement gestionnaire est tenu de rembourser à l’échéance du contrat une somme égale aux primes nettes augmentées des produits capitalisés. En contrepartie, les perspectives de rendement sont en règle générale à long terme plus faibles que celles des contrats investis dans des supports plus risqués. Le contrat en euros est particulièrement bien adapté à l’épargnant souhaitant préparer sa retraite tout en disposant d’une garantie sur les montants investis.

Lors de la souscription initiale du contrat, le choix du souscripteur dépend essentiellement de l’optique dans laquelle il se place. Plus ce dernier privilégie la sécurité, et plus il aura intérêt à choisir un contrat libellé en euros. Nous constatons que la problématique fiscale est souvent absente lors de ce choix initial. Il est vrai qu’en matière d’impôt sur le revenu, le régime est strictement identique. Les gains ne sont imposables que lors du rachat ou du dénouement du contrat. Il en va de même en matière d’impôt de Solidarité sur la Fortune, et de droits de succession, où le régime fiscal est similaire, quel que soit le type de contrat choisi.

La présente chronique a cependant pour objet d’attirer l’attention sur les paramètres de nature fiscale ou parafiscale, qu’il convient de prendre en compte lors de la souscription, ou lors de la transformation des contrats d’assurance-vie.

Assurance-vie et Bouclier Fiscal

Aux termes de l’article 1649-0 A du CGI, les revenus des contribuables ne doivent pas être amputés à concurrence de plus de 50 % de leur montant par les impositions directes qui les grèvent (impôt sur le revenu et prélèvements sociaux) l’année même de leur réalisation ou l’année suivante, et les autres impositions directes dont les contribuables sont par ailleurs redevables (ISF et impôts locaux) l’année suivant celle de leur réalisation. Dans le cas contraire, les intéressés bénéficient d’un droit à restitution de la fraction excédentaire de ces impositions qui peut être exercé du 1er janvier au 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la réalisation des revenus considérés (année de référence). Ainsi, en 2008, les contribuables peuvent demander le plafonnement des impositions excédant le seuil de 50 %, payées en 2006 et 2007 au titre de leurs revenus réalisés en 2006 et des impôts locaux et de l’ISF établis en 2007 (Loi 2007-1223 du 21-8-2007, art. 11).

D’une manière générale, nous pouvons dire qu’il existe deux manières d’optimiser la mise en œuvre de ce dispositif :

– Soit en augmentant le montant des prélèvements à prendre en compte dans le calcul, ce qu’a déjà très largement fait le législateur dans le cadre de la loi TEPA avec la prise en compte des prélèvements sociaux;

– Soit en minorant les revenus à prendre en compte.

Les revenus pris en compte s’entendent de ceux réalisés par le foyer fiscal au titre de l’année de référence. A cet égard, il convient de totaliser :

–  les revenus nets catégoriels soumis à l’impôt sur le revenu (c’est-à-dire nets de frais professionnels et/ou diminués des charges et abattements spécifiques ou forfaitaires applicables à chaque catégorie d’imposition) ;

–  les plus-values immobilières ou sur biens meubles, pour leur montant net après abattement ;

–  les plus-values sur valeurs mobilières et droits sociaux, majorées de l’abattement pour durée de détention ;

–  les revenus et produits soumis aux prélèvements forfaitaires et retenues à la source libératoires ;

–  les revenus soumis à la taxe forfaitaire sur les objets et métaux précieux. A titre de règle pratique, le montant de ces revenus est égal à la taxe acquittée divisée par 16 % ;

–  sauf exceptions limitativement énumérées, les produits et revenus exonérés, acquis ou perçus en France ou hors de France ;

–  les revenus rectifiés par l’administration à la suite d’une procédure de contrôle.

De la somme de ces revenus, il convient de déduire :

–  le montant des déficits catégoriels imputés sur le revenu global;

–  les pensions alimentaires déduites du revenu global;

–  les cotisations ou primes versées sur un Perp ou un régime assimilé.

S’agissant des contrats d’assurance-vie, le fait que les revenus ne soient imposables que lors du rachat ou du dénouement du contrat, devrait légitimement conduire à considérer que les gains constatés pendant la durée du contrat ne doivent pas être pris en compte dans les revenus réalisés. Or, aux termes de l’article 1649-0 A du CGI, il convient de faire une distinction, selon que le contrat soit libellé en euros, ou qu’il soit libellé en unité de comptes. Ainsi, cet article dispose que les revenus de contrats d’assurance-vie, autres que ceux en unités de comptes, sont considérés comme réalisés. En d’autres termes, les revenus des contrats libellés en euros sont considérés comme réalisés et pris en compte dans le calcul du bouclier fiscal, et ce alors même qu’ils ne sont pas effectivement perçus par le bénéficiaire.

Il s’agit indiscutablement d’un paramètre de nature fiscale qui peut induire des conséquences financières particulièrement importantes pour certains contribuables. Cela est notamment le cas pour les contribuables n’exerçant plus d’activité professionnelle, mais d’un très important patrimoine investi sous la forme de contrats d’assurance-vie. En l’absence de revenus conséquents, la seule application du bouclier peut permettre de réduire de manière très substantielle leur Impôt de Solidarité sur la Fortune. A l’inverse, la prise en compte dans les revenus réalisés, des revenus des contrats libellés en euros et inscrits en compte, réduit à une peau de chagrin l’impact du bouclier fiscal.

L’administration fiscale a repris cette exception dans son instruction du 15 décembre 2006, BOI 13 A-1-06 :

« 52. Exceptions. Le 6 de l’article 1649-0 A du CGI prévoit toutefois une règle particulière pour les produits des comptes d’épargne logement, des plans d’épargne populaire et des contrats d’assurance-vie en euros.

Ainsi, les revenus des comptes d’épargne logement mentionnés aux articles L. 315-1 à L. 315-6 du code de la construction et de l’habitation (comptes et plans d’épargne logement), des plans d’épargne populaire mentionnés au 22° de l’article 157 du CGI ainsi que des bons ou contrats de capitalisation et d’assurance-vie, autres que ceux en unités de compte, sont considérés, pour la détermination du droit à restitution, comme réalisés à la date de leur inscription en compte.

Pour l’application de ces dispositions, les contrats d’assurance-vie dits « multi-supports » qui sont à la fois en euros et en unités de compte sont assimilés à des contrats en unités de compte. »

Les contrats multi-supports se réfèrent à plusieurs supports d’investissements différents, permettant ainsi une répartition de l’épargne entre plusieurs supports financiers exprimés en unités de compte (parts d’OPCVM, actions, parts de SCPI, obligations…) et en euros, choisis par le souscripteur ou par le gestionnaire du contrat selon le profil de risque choisi par le souscripteur (profil prudent, équilibré ou dynamique) ; en cours de contrat, le souscripteur peut modifier la répartition de ses supports d’investissement et opérer, à l’intérieur du contrat, des arbitrages d’un support vers un autre sans conséquence fiscale.

L’assimilation des contrats multi-supports en contrats en unités de comptes a ouvert la voie à un vaste mouvement des épargnants consistant en une transformation de leur contrat souscrit en euros en contrat multi-supports. Ce mouvement de transformation, sans risque, de leur contrat en euros en contrat multi-support a été largement encouragé par le dispositif « Fourgous ». En effet, l’article 1er de la loi 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie autorise la transformation des contrats d’assurance-vie et des bons ou contrats de capitalisation libellés en euros en bons ou contrats multi-supports, c’est-à-dire comportant un compartiment investi notamment en actions, sans perte de leur antériorité fiscale : ces règles s’appliquent aux transformations intervenues depuis le 28 juillet 2005. Les transformations intervenues avant cette date entraînent, en matière d’impôt sur le revenu, la perte d’antériorité fiscale du bon ou contrat transformé.

Bien que le législateur n’ait pas fixé de règle en la matière, l’administration fiscale estime  à 20 % l’investissement en unités de comptes requis (Inst. 5 I-4-05 n°9). En d’autres termes, le nouveau contrat doit être investi au maximum à hauteur de 80 % sur un support en euros.

En matière de bouclier fiscal, l’administration a anticipé cette technique d’optimisation fiscale, en précisant dans la notice 2041 GO qui accompagne le formulaire de demande de plafonnement des impôts directs qu’une catégorie de contrats multi-supports était exclue partiellement du régime des contrats en unités de compte : ce sont les « contrats dits multisupports dans lesquels l’épargne est exclusivement ou quasi exclusivement investie en euros pendant la majeure partie de l’année de référence des revenus pris en compte ». Selon l’administration, « le revenu retiré du fonds en euros d’un tel contrat est réputé réalisé à la date de son inscription au contrat et pris en compte pour la détermination du droit à restitution ».

D’après certains renseignements (Feuillets rapides Francis LEFEBVRE FR 16/08, n°13), l’exclusion de ces contrats multi-supports, qui n’est pas prévue par l’instruction 13 A-1-06, serait mentionnée dans la prochaine instruction commentant les aménagements apportés au régime par la loi « Tepa » du 21 août 2007.

Face à cette position pour le moins ambigüe, se pose une nouvelle fois avec une acuité toute particulière le problème de la sécurité fiscale du contribuable. Quel pourcentage devons-nous conseiller d’investir en support euros pour éviter toute remise en cause ? Une solution logique serait de reprendre la solution admise par l’administration en matière de transformation de contrat, soit un montant maximum de 80% en euros. Cette option se heurte néanmoins à deux objections non négligeables :

– Tout d’abord, la position adoptée par l’administration fiscale en matière de transformation de contrat d’assurance-vie ne lui sera pas opposable en matière de bouclier fiscal. En cas de remise en cause du droit à restitution, la doctrine des 80/20 ne serait d’aucune utilité au contribuable ;

– Par ailleurs, cette répartition de la valeur au sein d’un même contrat peut évoluer en fonction des cours. Que se passera-t-il si la valeur des unités de compte venait à fortement baisser, comme ce peut le cas à l’heure actuelle. L’épargnant pourrait alors se retrouver avec un contrat exclusivement ou quasi exclusivement investi en euros sans jamais avoir été animé par une intention de fraude.

En conséquence, il semble urgent que l’administration fiscale intervienne afin de clarifier sa position et d’apporter ainsi toute la sécurité requise pour les contribuables souhaitant structurer leur patrimoine.

Assurance-vie et prélèvements sociaux

Comme tous les autres revenus du capital, les produits des contrats d’assurance-vie supportent l’ensemble des prélèvements sociaux. Cependant, la structure des investissements, selon que le contrat soit libellé en euros ou en unités de comptes, a une incidence non négligeable en matière de prélèvements sociaux.

En effet, lorsque les produits des contrats d’assurance-vie sont assujettis à l’impôt progressif sur le revenu au vu de la déclaration d’ensemble des revenus, les prélèvements sociaux sont recouvrés ultérieurement par voie de rôle. Cependant, pour les contrats libellés en euros, les prélèvements sociaux sont acquittés lors de l’inscription des produits en compte, selon les modalités du prélèvement libératoire.

Lorsque les produits sont soumis au prélèvement libératoire de l’impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux sont perçus en même temps que le prélèvement libératoire, s’il s’agit de contrats libellés en unités de compte. En revanche, lorsque ces contrats sont libellés en euros, ces contributions sont prélevées dès l’inscription en compte des produits. Dans ce cas, les prélèvements sociaux ne viennent pas majorer le montant du prélèvement libératoire.

En d’autres termes, lorsque le contrat est libellé en euros, et ce quel que soit le régime d’impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux sont immédiatement exigibles lors de l’inscription en compte, alors même que les revenus correspondants n’ont pas été effectivement perçus.

La souscription d’un contrat libellé en euros peut dès lors être préjudiciable, notamment pour les deux raisons suivantes :

– Tout d’abord, le prélèvement anticipé des contributions sociales se traduit nécessairement par un manque à gagner pour le bénéficiaire puisque les montants concernés ne génèreront plus de revenus ;

– Par ailleurs et surtout, en cas de décès, les prélèvements sociaux ne sont pas dus. En d’autres termes, la souscription d’un contrat en unités de comptes ne permet pas seulement de retarder le prélèvement, mais procure également un gain définitif en cas de décès.

Enfin, tout comme pour le bouclier fiscal, l’administration a précisé que les contrats multi-supports étaient assimilés à des contrats souscrits en unités de comptes. Nous ne pouvons cependant qu’émettre les mêmes réserves que celles développées ci-dessus dans le cadre du bouclier fiscal. Il conviendra d’éviter toute stratégie visant à bénéficier de manière excessive du régime des contrats multi-supports. Même si l’administration fiscale n’a pas repris officiellement les observations formulées dans le cadre de la transformation des contrats, il est probable qu’elle se livre à une analyse analogue si le contrat multi-supports n’est que très faiblement investi sur des supports en unités de compte.

Conclusion

La loi TEPA, en améliorant de manière très significative le mécanisme du bouclier fiscal, a relancé la problématique afférente à la structure du contrat d’assurance-vie. Le mouvement que l’on a pu constater sur le terrain, ainsi que la réponse extrêmement rapide de l’administration fiscale, dans le cadre de la notice, et peut être bientôt dans le cadre d’une instruction, semble démontrer que ce débat n’est pas théorique, mais implique des conséquences financières non négligeables, tant pour le contribuable que pour le Trésor public.

A ce jour, nous ne pourrons que recommander une certaine prudence pour toutes les transformations, ou réorganisations des contrats d’assurance-vie, et ce d’autant plus que compte tenu de l’évolution actuelle des marchés, les souscripteurs auront tendance à minimiser la partie du contrat investie sur des supports en unités de compte.

Jean-Philippe SOLLBERGER

Avocat

DJCE-DESS Droit et Fiscalité de l’Entreprise

Institut de Droit des Affaires AIX en PROVENCE

DESS Stratégie Fiscale de l’Entreprise

Université Nice Sophia-Antipolis

CABINET FONTANEAU

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