LES STOCK-OPTIONS, QUELLE PRATIQUE FISCALE AU MAROC ?


Article publié dans la Revue “Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires” N° 153

(Année 2008)


A l’instar des pays à fiscalité développée, la loi des finances, pour l’année 2001, a intégré dans le dispositif fiscal marocain le fameux artifice des Stock-Options.

Malgré les avantages reconnus à ce dispositif aussi bien sur le plan de motivation des ressources humaines que celui de leur fidélisation, la variante fiscale de cet outil demeure méconnue par nos sociétés marocaines à l’exception de quelques filiales de sociétés multinationales.

De quoi s’agit-il  ?

Quel est le mécanisme approprié ?

Quelles sont les règles fiscales ?

Quelles sont les limites de notre dispositif fiscal ?

Quelles sont les pratiques observées par les sociétés marocaines filiales de sociétés étrangères, notamment françaises ?

Sont cinq questions, auxquelles, cet article essaiera d’apporter quelques éléments de réponse, le tout, en puisant dans le dispositif fiscal marocain avec un œil sur les pratiques internationales.

I – Définition des stock-options

Dans une acception anglo-saxonne, il est entendu par « Stock-option » une option sur titres, autrement dit, une option de souscription ou d’acquisition d’actions offertes par une société à ses dirigeants ou salariés à des fins d’intéressement et dans des conditions avantageuses.

En d’autres termes, il s’agit de droits accordés par l’employeur à ses collaborateurs en vue de posséder des actions de leur société, durant une période déterminée et à un prix fixé d’avance.

Au fait, il existe deux modalités de concrétisation de ce montage :

– Soit les salariés participent, au fur et à mesure des nouvelles émissions, à l’augmentation du capital de leur société (levée d’option par voie de souscription).

– Soit les salariés acquièrent des actions entre les mains de la société émettrice qui les a déjà rachetées en bourse, si elle est cotée, ou auprès des anciens actionnaires si elle est fermée (levée d’option par voie d’acquisition).

II – Quel est le mécanisme adéquat ?

II-1. Processus d’activation des stock-options

Le mécanisme pratique consiste à ce que l’Assemblée Générale Extraordinaire autorise le Conseil d’Administration ou le Directoire à attribuer (date d’attribution) aux salariés (dirigeants ou simples collaborateurs, l’ensemble de l’effectif ou seulement une partie) des options de souscription ou d’acquisition de titres (stocks-options) à un prix de référence ou un prix d’exercice dans un délai déterminé, pendant lequel, les bénéficiaires peuvent lever l’option.

Il en va que lesdits bénéficiaires choisissent la date qui optimise leurs intérêts (date de levée de l’option), à savoir : une  valeur de levée d’action supérieure au prix d’exercice.

II-2. Récapitulatif des termes utilisés dans le jargon des stock-options

– Date d’Attribution de l’option : Date à laquelle le Conseil d’Administration ou le Directoire donne aux salariés l’option de souscription à une augmentation de capital ou d’acquisition d’actions rachetées par la société émettrice.

– Date de Levée de l’option: Date à laquelle le bénéficiaire décide de souscrire effectivement à l’augmentation du capital ou d’acquérir les actions rachetées par la société et portées par elle à cet effet.

– Cette date, comme déjà mentionné, est conditionnée par des considérations d’optimisation financière, c’est-à-dire la différence entre (1) la valeur de l’action à cette date et (2)le prix d’exercice.

– Prix d’exercice: Il s’agit du prix auquel le Conseil d’Administration ou le Directoire consent aux bénéficiaires de lever l’option.

– Abondement: Il s’agit de la décote accordée par le Conseil d’Administration ou le Directoire sur la valeur de l’action à la date d’attribution des options, en d’autres termes, la différence entre (1) la valeur de l’action à la date d’attribution de l’option et (2) le prix d’exercice fixé préalablement. Cette décote étant appelée, sous d’autres cieux, Rabais.

– Plus-value d’Acquisition: Ce terme correspond à la différence entre (1) la valeur de l’action à la date de levée de l’option et (2) sa valeur à la date de son attribution.

– Plus-value de Cession: Il s’agit d’un terme plus ou moins familier par rapport aux autres, c’est-à-dire, la différence entre le prix de cession et la valeur de l’action à la date de levée de l’option.

– Délai d’indisponibilité: A ce stade d’étude, la définition de ce concept semble précoce. Nous la définirons dans la partie suivante.

III – Le traitement fiscal approprié

Contrairement à ce qui est généralement répandu dans la conception des sociétés marocaines, l’outil des stock-options peut s’activer en ignorant complètement l’aspect fiscal. Cette remarque est valable dans le cas où les salariés exercent leurs options à la valeur du marché, c’est-à-dire, le conseil d’administration ou le directoire n’accordent aucune décote par rapport à la valeur de l’action à la date de levée de l’option. Ce cas rejoindrait le schéma où le salarié achète sur le marché financier, en toute autonomie, des actions émises par sa société employeuse. A la limite, l’avantage consenti par l’employeur consisterait à financer l’opération d’achat des titres sur le marché libre en attendant leur cession par le salarié.

III-1. Cas des stock-options sans considération fiscale

Prenons le cas d’une société marocaine décidant d’attribuer des options sur ses propres actions à ses salariés selon les modalités suivantes :

– Le conseil d’administration attribue les options en date du 01/01/N.

– Le délai limite d’exercice des options est le 31/12/N.

– La levée de l’option se fait à la valeur du marché (cours boursier si la société est cotée en bourse ou valeur réelle dans le cas contraire).

Il ressort de ces modalités que le seul avantage accordé par la société à ses salariés réside dans la possibilité de leur éligibilité à l’accès au capital, ou encore, des modalités de financement intéressantes. Cet avantage ne se décline, sur le plan fiscal, par aucune libéralité devant être appréhendée, entre les mains de l’employeur[1], à une imposition, et partant, un IR au titre des revenus salariaux.

Néanmoins, la cession des actions levées dicterait un traitement fiscal normal, à savoir, 10%[2] en cas d’existence de plus-value ou le report déficitaire dans le cas contraire.

III-2. Cas des stock-options dans leur variante fiscale

Nous sommes, en ce cas, devant une variante fiscale de l’outil des stock-options. En effet, si le premier cas supposait la levée de l’option à la valeur du marché, ce cas, quant à lui, retiendrait l’hypothèse d’existence d’un rabais par rapport à la valeur normale de l’action à la date de levée de l’option.

Afin de bien élucider ce point, nous allons faire appel à trois termes déjà définis : Le prix d’exercice, la valeur d’action à la date d’attribution de l’option et la valeur d’action à la date de levée de l’option.

Contrairement au premier cas (III-1), les bénéficiaires de l’option souscrivent -ou acquièrent- les actions à un prix d’exercice abattu par rapport à la valeur normale de levée d’option. Ce prix d’exercice n’est, d’ailleurs, autre que, celui fixé par le conseil d’administration ou le directoire lors de l’attribution des options.

Cette différence de paiement est considérée fiscalement comme un avantage que le législateur a scindé en deux parties : d’une part, l’abondement et d’autre part la plus-value d’acquisition (voir vocabulaire plus haut).

A cet égard, la loi des finances, pour l’année 2001, a réglementé le traitement fiscal de cet avantage selon les modalités suivantes (nous rappelons que cette disposition a été intégrée à droit constant dans le Code Général des Impôts dans son article 57-14°) :

Rappel des termes de l’article 57-14° :

« l’abondement supporté par la société employeuse dans le cadre de l’attribution d’options de souscription ou d’achat d’actions par ladite société à ses salariés décidée par l’assemblée générale extraordinaire.

Par abondement il faut entendre la part du prix de l’action supportée par la société et résultant de la différence entre la valeur de l’action à la date de l’attribution de l’option et le prix de l’action payé par le salarié.

Toutefois l’exonération est subordonnée aux deux conditions suivantes :

a) L’abondement ne doit pas dépasser 10% de la valeur de l’action à la date de l’attribution de l’option;

A défaut, la fraction excédant le taux d’abondement tel que fixé ci-dessus est considérée comme un complément de salaire imposé au taux du barème fixé au I de l’article 73 ci-dessous et ce, au titre de l’année de la levée de l’option.

b) La cession des actions acquises par le salarié ne doit pas intervenir avant une période d’indisponibilité de cinq ans à compter de la date de l’attribution de l’option sans que le délai écoulé entre la date de la levée de l’option et la date de ladite cession puisse être inférieur à trois ans.

Dans ce cas, la différence entre la valeur de l’action à la date de la levée de l’option et sa valeur à la date d’attribution de l’option sera considérée comme une plus-value d’acquisition imposable au titre des profits de capitaux mobiliers, au moment de la cession des actions.

En cas de cession d’actions avant l’expiration de la période d’indisponibilité de cinq ans ou du délai de détention des actions de trois ans précités, l’abondement exonéré et la plus-value d’acquisition précités seront considérés comme complément de salaire soumis à l’impôt comme il est indiqué au a) du présent article sans préjudice de l’application de la pénalité et de la majoration de retard prévues à l’article 208 ci-dessous ».

Commentaires du texte de loi :

L’abondement est, alors, exonéré dans la limite de 10% de la valeur de l’action à la date d’attribution de l’option. L’excédent est, le cas échéant, imposable au titre des salaires (barème progressif avec un taux marginal actuel de 42%).

Quant à la plus-value d’acquisition, au lieu de l’appréhender comme complément de salaire imposable en tant que tel, la loi lui réserve une imposition similaire aux plus-values mobilières au taux de 10% lors de la cession desdites actions.

Il est important de signaler que l’atténuation fiscale de cet avantage (exonération d’abondement plafonnée et imposition à 10% de la plus-value d’acquisition) est conditionnée par une durée d’indisponibilité qui consiste à ce que le salarié ne cède pas les actions levées avant une période de cinq années suivant la date d’attribution des options sans que le délai écoulé entre la date de levée de l’option et celle de cession ne soit inférieur à trois années.

En cas de non respect de cette durée d’indisponibilité, aussi bien l’abondement exonéré que la plus-value d’acquisition sont imposés en tant que complément de salaire, et partant, soumis au barème progressif entre les mains de l’employeur (société émettrice) sans préjudice des intérêts de retard au profit du trésor.

IV – Critiques au dispositif marocain

1ère critique : la première critique à dresser, à ce niveau, est relative à la doctrine administrative. En effet, la note circulaire de l’administration fiscale, interprétant le texte de loi, avance que :

« Sont considérées comme charges déductibles pour la détermination du résultat imposable de la société émettrice : la totalité des moins-values résultant de la différence entre le prix de rachat par la société de ses propres actions et le prix payé par les bénéficiaires dans le cas d’options d’achat d’actions.

Quant au cas d’options de souscription, la levée de l’option est consécutive à un apport, celle-ci ne peut donc dégager de moins-values ; étant précisé que la différence entre la valeur de l’action à la date d’attribution de l’option et le prix de souscription est supportée par les actionnaires ».

Si le cas des options d’achat d’actions ne pose aucun problème quant à la déductibilité des éventuelles moins-values, le deuxième cas relatif à l’option de souscription semble être très confus en ce sens que la différence entre (1) la valeur de levée de l’option et (2) le prix d’exercice n’est pas déductible au titre de l’IS au motif qu’elle est supportée par les actionnaires. Cette façon de voir les choses constitue un non-sens pour la simple raison suivante :

– Soit les actionnaires supportent effectivement cette différence, auquel cas, aucune imposition n’est à appréhender entre les mains de l’employeur (société émettrice). Il s’agit, en effet, d’un cas où l’employeur (société) n’a avancé aucun avantage, seuls les actionnaires de la société employeuse ont accordé cette libéralité en l’absence de tout lien juridique entre eux et les salariés de la société.

– Soit la société employeuse avance cette différence à ses salariés en complément de la valeur réelle de l’action souscrite (prix d’exercice décoté), auquel cas, nous reconnaissons le bien fondé de l’imposition, mais parallèlement, une déduction devrait également être accordée au titre de l’IS.

2ème critique : Le dispositif fiscal marocain admet le principe de retenue à la source en matière d’IR sur les salaires. Comme corollaire à cette pratique, la loi assigne à la société employeuse, distributrice d’options, l’obligation indirecte d’observer le délai d’indisponibilité. En effet, en cas de cession, par le salarié, des actions avant le délai d’indisponibilité, aussi bien l’abondement exonéré que la plus-value d’acquisition sont à imposer en tant que complément de salaire selon le barème progressif, entre les mains de l’employeur (redevable légal de l’impôt via la retenue à la source). Ce qui dicterait une circularisation quasi-permanente, par la société, de la propriété des titres au nom du salarié. Pratiquement, cette obligation, assignée à l’employeur, alourdit ses responsabilités fiscales.

Dans le même ordre d’idées, il nous semble que la liste avancée par la doctrine administrative au titre des évènements ne motivant pas le  rappel d’impôt sur salaire (le décès du salarié, le licenciement du salarié, la mise à la retraite du salarié à l’initiative de l’employeur et l’invalidité du salarié) devrait être complétée à l’instar des pratiques internationales, notamment, l’expatriation du salarié dans le délai d’indisponibilité.

3ème critique : Une des anomalies que recèle le dispositif marocain réside dans le fait que le texte ne reconnaît l’applicabilité du régime que si le titre, faisant l’objet de l’option sur acquisition ou souscription, est racheté ou émis par la société employeuse du salarié. En effet, soit un salarié d’une société X, se voyant attribué une option sur le capital d’une autre société Y (Y étant la mère de X ou une société consoeur, voire, une SPV[3] créée à cet effet). Dans ces conditions, le régime fiscal marocain des stock-options n’est, malheureusement, pas opératoire.

Ne fallait-il pas emprunter, à cet égard, la pratique internationale consistant à reconnaître les options sur le capital dans le périmètre du groupe ?

En d’autres termes, un salarié est concerné pour peu que l’action soit rachetée ou émise par une société liée à son employeur (les liens pouvant être vérifiés en cas de société mère ou consoeur par rapport à la société employeuse).

V – Pratiques observées par les sociétés marocaines filiales de sociétés étrangères, notamment françaises

Plusieurs opérations d’actionnariat salarié ont été menées par des filiales marocaines de sociétés étrangères, notamment, les établissement bancaires marocains sous le contrôle de banques françaises.

Il a été observé, à cet égard, que les salariés marocains se sont vus attribuer une enveloppe d’options d’actions, émises ou à émettre, par la société mère française.

Partant des développements précédents, les conseils fiscaux ont estimé qu’il s’agit là d’un cas où le salarié travaille pour le compte d’une société marocaine (société employeuse) et que le titre est émis par une société étrangère. Le titre, n’étant pas alors émis par l’employeur, ce dernier ne devrait être recherché pour une aucune obligation de retenue à la source à raison de l’IR[4], et partant, la fiscalité relative à cette opération se réduirait à une imposition de la plus-value mobilière le jour de la cession des actions.

Conclusion

La pratique marocaine nous apprend que la variante fiscale des stock-options demeure méconnue par les opérateurs marocains, et quand bien même elle est connue, elle reste peu efficiente. Ce constat trouve son explication dans beaucoup de facteurs :

– d’une part, la durée minimale d’indisponibilité qui est de cinq[5] années et,

– d’autre part, l’obligation, assignée à l’employeur, de s’assurer de la conservation des titres. L’exemple alarmant, en l’occurrence, demeure celui de la démission d’un salarié qui génère une charge fiscale importante au détriment du redevable légal qui n’est autre que la société.

Par ailleurs, nous estimons que le texte marocain devrait s’étoffer davantage à l’égard d’autres formes exotiques de rémunération à l’instar des attributions gratuites d’actions.

Mehdi TOUMI

Expert-Comptable Mémorialiste

Tax Consultant

mehdi1toumi@yahoo.fr

[1] Nous rappelons, à ce titre, que le dispositif fiscal marocain adopte l’imposition des salaires entre les mains de l’employeur via le système de retenue à la source mensuellement.

[2] Taux en vigueur suivant la loi de finances 2007. Par ailleurs, ce taux cède la place à 20% dans le cas où les titres sont émis par une société immobilière transparente ou qualifiée de prépondérante immobilière.

[3] Special Purpose Vehicle.

[4] Au Maroc et contrairement à la pratique française, l’IR afférent aux salaires est retenu à la source par l’employeur. D’où la distinction entre deux statuts différents : le redevable réel qui est le salarié et le redevable légal qui n’est autre que l’employeur.

[5] Il est question de ramener cette durée à trois années (projet de loi de finances 2008).

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