UNE ANNEE CHARNIERE POUR LES RELATIONS FISCALES DE MONACO AVEC LA FRANCE ET L’EUROPE


Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 139 (Année 2004)


L’année 2004 a vu se développer une intense activité dans les relations diplomatiques entre la Principauté de Monaco et la France d’une part, la Principauté de Monaco et les organisations européennes d’autre part, qui s’est traduite par la signature ou par la mise en route de la procédure de ratification de plusieurs accords internationaux dont certains auront des incidences importantes sur le plan fiscal. 

UN TRAITE ET QUATRE CONVENTIONS AVEC LA FRANCE

Dans les relations franco-monégasques, un Traité et une Convention qui ont été signés respectivement le 24 octobre 2002 (Traité destiné à adapter et à confirmer les rapports d’amitié et de coopération entre la République française et la Principauté de Monaco) et le 26 mai 2003 (avenant à la Convention fiscale franco-monégasque du 18 mai 1963) sont en cours de ratification. Les projets de loi autorisant la ratification de ces textes ont été votés par l’Assemblée Nationale française le 29 novembre 2004. Ils vont maintenant être soumis au vote du Sénat, mais leur ratification prochaine par la France ne fait aucun doute.

Une deuxième Convention qui s’inscrit dans le droit fil du Traité a été paraphée par les délégations françaises et monégasques et est en cours de signature. Il s’agit de modifier la convention de 1930 sur la coopération administrative en vue d’ouvrir aux monégasques l’accès à un certain nombre de postes de la haute fonction publique de la Principauté qui, jusqu’à présent, sont occupés par des fonctionnaires détachés de l’Administration française (comme, par exemple, celui du Directeur des Services Fiscaux).

Deux autres Conventions sont en cours de négociation : une Convention sur la coopération judiciaire en matière pénale et une Convention financière et bancaire.

C’est bien entendu l’avenant à la Convention fiscale qui va nous intéresser dans le cadre de cet article. Mais le Traité du 24 octobre 2003, qui remplace celui de 1918, dans la mesure où il conforte la souveraineté monégasque tout en réaffirmant les relations étroites et privilégiées entre la France et Monaco qui « sont le reflet de leur amitié traditionnelle telles qu’elles sont issues de l’histoire et telles qu’elles s’inscrivent dans leur communauté de destin » et les trois Conventions en cours de signature ou de négociation peuvent avoir également des incidences dans le domaine de la fiscalité.

UN TRAITE D’ADHESION AU CONSEIL DE L’EUROPE

Dans les relations de Monaco avec l’Europe, un pas décisif a été franchi par la signature, le 5 octobre 2004, du Traité d’adhésion de la Principauté au Conseil de l’Europe. Cette adhésion a été précédée de modifications apportées à la Constitution monégasque et à certaines Lois de la Principauté. Elle sera suivie, dans les prochains mois et les prochaines années, par l’adoption ou l’amendement de nombreux textes, tant sur le plan international que sur le plan interne, afin de rapprocher le régime juridique de la Principauté de celui des autres Etats membres. Cependant, les inquiétudes que la perspective d’adhésion avait pu faire naître chez certains en ce qui concerne l’avenir du régime fiscal de Monaco ne sont nullement fondées et les autorités monégasques se sont employées à les dissiper.

UN ACCORD AVEC L’UNION EUROPEENNE SUR LA FISCALITE DE L’EPARGNE

Sur le plan plus spécifiquement fiscal, un accord a été conclu entre la Principauté et l’Union européenne prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la Directive 2003/48/CE du Conseil du 3 juin 2003 sur l’imposition des revenus de l’épargne sous forme de paiement d’intérêts et la Commission a transmis au Conseil de l’Union européenne une proposition de décision relative à la signature de cet accord.

LES RELATIONS FISCALES FRANCO-MONEGASQUES

Le processus de négociation d’un avenant à la Convention fiscale du 18 mai 1963, initié en 2001, est sur le point d’arriver à son terme avec l’autorisation de la ratification par le Parlement français de cet avenant qui entrera en vigueur le 1er jour du 2ème mois suivant le jour de la réception de la dernière des notifications par lesquelles chacun des deux Etats informera l’autre de l’accomplissement de la procédure requise. Certaines de ces dispositions paraissent d’ailleurs devoir être appliquées de manière rétroactive, au titre de l’année 2002, ce qui ne manquera pas de poser des difficultés pratiques et de principe. Le rapporteur du texte à l’Assemblée Nationale s’est d’ailleurs inquiété à juste titre de cette application rétroactive.

Par un curieux concours de circonstances, c’est au moment où cet avenant, qui pénalise certains français résidant à Monaco, va entrer en vigueur, que le Conseil d’Etat français vient de rendre un avis sur la portée de la Convention de 1963 qui va, au contraire, soulager nombre d’entre eux.

Nous rappellerons donc ici les principales dispositions de cet avenant et de l’échange de lettres qui lui est associé.

EXTENSION DU CHAMP D’APPLICATION DE L’ISF A CERTAINS FRANÇAIS DE MONACO

La mesure la plus spectaculaire, mais sans doute pas celle qui aura le plus de conséquences, est l’assujettissement à l’Impôt de Solidarité sur la Fortune des français qui ont transféré leur domicile ou leur résidence à Monaco à compter du 1er janvier 1989, dans les mêmes conditions que s’ils avaient leur domicile ou leur résidence en France.

Cette mesure est applicable à compter de l’ISF 2002.

Bien entendu, les redevables de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune qui n’auraient pas souscrit leur déclaration au titre de 2002 et de 2003 ne seront pas pénalisés, puisque bien que connu, ce texte ne pouvait avoir de portée obligatoire avant sa ratification par les deux Etats, mais ils devront sans doute régulariser leur situation au titre de ces deux années, à moins que la France renonce à cette application rétroactive et donc choquante.

Corrélativement, l’article de la Convention relatif à l’échange de renseignements sur demande a été amendé afin de permettre cet échange en matière d’impôt sur la fortune. De même, l’article 21 de la Convention relatif à l’échange automatique de renseignements a été amendé afin de prévoir la fourniture automatique, par les autorités monégasques, d’informations concernant les droits réels immobiliers en matière d’impôt sur la fortune.

UNE CONFIRMATION DU STATUT DES CONJOINTS

La situation fiscale de certains français de Monaco va donc empirer sous l’emprise de ce nouveau texte.

En contrepartie, la France a fait quelques concessions, qui d’ailleurs, pour la plupart, ne font que donner une autorité accrue à des mesures qui étaient déjà en vigueur.

C’est ainsi que l’échange de lettres annexé à la Convention conforte l’exonération fiscale dont bénéficient déjà par décision de la Commission franco-monégasque :

  • Les personnes de nationalité française mariées à une personne de nationalité monégasque ou à une personne de nationalité française qui se trouve hors du champ d’application de l’article 7-1 de la Convention de 1963 (c’est-à-dire résidant en Principauté depuis plus de cinq ans à la date du 13 octobre 1962 et qui peut justifier de sa résidence habituelle et continue à Monaco) à condition :
    · qu’elles aient, depuis leur mariage, effectivement établi leur résidence habituelle en Principauté,
    · qu’elles ne se trouvent pas dans l’un des cas d’imposition distinct prévu par l’article 6-4 du Code Général des Impôts.
  • Les personnes de nationalité française mariées à une personne de nationalité autre que monégasque ou française à condition :
    · qu’elles remplissent les conditions mentionnées ci-dessus,
    · que le mariage soit antérieur au 1er janvier 1986.
  • Le conjoint survivant de nationalité française d’une personne de nationalité monégasque ou d’une personne de nationalité française qui se trouve hors du champ d’application de l’article 7-1 de la Convention et qui peut justifier de sa résidence habituelle et continue à Monaco à condition :
    · qu’il ait maintenu sa résidence habituelle en Principauté pendant toute la durée du mariage après le décès de son conjoint,
    · qu’il ne se trouve pas, au moment du décès de son conjoint, dans l’un des cas d’imposition distinct prévu par l’article 6-4 du Code Général des Impôts.
  • L’enfant mineur de nationalité française dont au moins l’un des parents est soit de nationalité monégasque, soit de nationalité française mais se trouvant hors du champ d’application de l’article 7-1 de la Convention et qui peut justifier de sa résidence habituelle et continue à Monaco, à condition qu’il vive habituellement et depuis sa naissance au foyer de ses parents en Principauté de Monaco.

D’autre part, l’échange de lettres met fin partiellement à la grande injustice qui voulait que les personnes de nationalité française qui, se trouvant dans le champ d’application de l’article 7-1 de la Convention de 1963, étaient réputées avoir leur domicile fiscal en France, ne pouvaient pas néanmoins bénéficier, pour des raisons de droit ou de fait, de certains avantages fiscaux prévus en faveur des personnes ayant leur domicile fiscal en France.

Il est ainsi confirmé que ces personnes bénéficient, à compter de l’imposition de leurs revenus 2001 :

  • des dispositions de l’article 199 sexdecies du Code Général des Impôts, s’agissant de l’emploi, dans une résidence située à Monaco, d’un salarié fiscalement domicilié en France dès lors qu’elles n’en bénéficient pas pour une résidence située en France,
  • des dispositions de l’article 199 quater d du Code Général des Impôts pour les frais de garde des jeunes enfants lorsque l’établissement de garde situé sur le territoire monégasque est soumis à un régime d’autorisation, de contrôle et de surveillance similaire à celui prévu par la législation française, ou lorsque l’assistante maternelle est agréée par les autorités monégasques.

Cependant, les personnes réputées avoir leur domicile fiscal en France en vertu de l’article 7-1 de la Convention ne bénéficient toujours pas de la totalité des possibilités de déduction ou d’imputation dont bénéficient, d’une manière générale, les personnes ayant leur domicile fiscal en France, s’agissant par exemple de certaines déductions relatives à l’habitation principale.

DES OBLIGATIONS DECLARATIVES PLUS LOURDES ET UN CONTROLE FISCAL FACILITE POUR LES FRANÇAIS EXERÇANT UNE ACTIVITE A MONACO

En outre, le nouveau texte alourdit les obligations formelles des contribuables fiscalement domiciliés en France (ou réputés fiscalement domiciliés en France) et qui exercent une activité professionnelle à Monaco. En effet, ceux-ci seront assujettis, pour cette activité et pour les exercices clos à compter du 1er janvier 2002, aux obligations déclaratives françaises dans les mêmes conditions de forme et de délai que si l’activité était exercée en France.

Autrement dit, ils seront obligés de souscrire des déclarations catégorielles alors que, jusqu’à présent, ils étaient seulement tenus de reporter dans leur déclaration de revenus d’ensemble le montant de leurs bénéfices.

De plus, le contrôle sur place de ces déclarations sera assuré par l’Administration fiscale monégasque sur demande française, y compris pour les exercices non prescrits au 1er janvier 2002. L’Administration monégasque, saisie par l’Administration française d’une demande précise et motivée destinée à permettre l’engagement du contrôle sur place de l’activité exercée par le contribuable visé sur le territoire de la Principauté, procèdera seule au contrôle en respectant la législation française relative à l’assiette en matière de bénéfices industriels et commerciaux et de bénéfices non commerciaux.

A l’issue des investigations sur place, l’autorité monégasque compétente portera à la connaissance du service français à l’origine de la demande les résultats du contrôle opéré. Cette communication, qui s’opèrera dans le cadre de l’assistance administrative, donnera aux services français l’ensemble des informations nécessaires pour entreprendre, le cas échéant, une procédure de redressement.

LA DEDUCTION DES SALAIRES DES DIRIGEANTS PLUS DIFFICILE POUR LES ENTREPRISES ASSUJETTIES A L’IMPOT SUR LES BENEFICES

Le nouveau texte va également entraîner, dans un certain nombre de cas, un alourdissement de l’impôt monégasque sur les bénéfices en modifiant les règles relatives à la déduction de la rémunération des exploitants individuels ou des dirigeants ou cadres les mieux rétribués.

Il faut en effet rappeler que les entreprises monégasques (qu’il s’agisse de sociétés ou d’entreprises individuelles) dont le chiffre d’affaires provient, à concurrence de 25 % au moins, d’opérations faites en dehors du territoire monégasque sont assujetties en Principauté à un impôt sur les bénéfices, qui a été institué en application de la Convention de 1963. Cependant, la rémunération des dirigeants ou cadres les mieux rémunérés (ainsi que celle de l’exploitant individuel dans le cas d’une entreprise personnelle) est déductible, ce qui permet à cette rémunération, et donc indirectement à une partie des bénéfices, d’échapper à l’impôt, si l’intéressé n’a pas son domicile fiscal en France. C’est pourquoi des limites étaient prévues pour cette déduction, mais au fil du temps, la portée de ces limites s’était beaucoup amoindrie. C’est pourquoi le nouveau texte présente un caractère beaucoup plus restrictif.

Il est en effet prévu que, pour l’assiette de l’impôt sur les bénéfices, la rémunération du dirigeant ou du cadre le mieux rétribué n’est admise en déduction des bénéfices imposables que dans la mesure où elle correspond à un travail effectif et où son montant n’est pas excessif au regard des pratiques reconnues sur le plan international, notamment au sein de l’Union européenne.

Pour les petites entreprises, un barème fixant par tranche de chiffre d’affaires annuel le plafond de la rémunération déductible doit être institué par Ordonnance Souveraine. La limite d’application de ce barème et le montant déductible seront progressivement réduits à compter de l’exercice 2002 pour en réserver l’application à compter de l’exercice ouvert en 2005 aux entreprises dont le chiffre d’affaires est au plus égal à 7 millions d’euros de vente ou à 3,5 millions d’euros de prestations de services.

Dans la mesure où ce texte s’applique à des exercices antérieurs à sa ratification, il présente donc une portée rétroactive dont on voit mal comment elle pourrait jouer en pratique. Faudra-t-il que les entreprises intéressées déposent des déclarations d’impôt sur les bénéfices rectificatives au titre des exercices ouverts à compter de 2002 ?

DAVANTAGE DE SOUPLESSE POUR LES RELATIONS ENTRE LES ENTREPRISES FRANÇAISES ET LES ENTREPRISES MONEGASQUES APPARTENANT A UN MEME GROUPE

L’article 3 de l’avenant, qui se substitue et remplace l’article 8 de la Convention initiale, prévoit que les versements faits par des personnes physiques ou morales imposables en France à des personnes physiques ou morales résidant ou établies à Monaco à titre d’honoraires, de redevances, de courtage, de commissions n’ayant pas le caractère de salaire, de droits de propriété littéraires ou artistiques, ne seront admis en déduction des bénéfices imposables pour l’assiette de l’impôt français qu’à la condition que l’entreprise versante apporte des justifications suffisantes pour établir que l’acte ou l’engagement en vertu duquel ces versements sont effectués est sincère et ne peut pas être considéré comme dissimulant une réalisation ou un transfert de bénéfices.

En dépit de sa rigueur, ce texte constitue un assouplissement par rapport au texte de 1963 qui interdisait purement et simplement la déduction des versements de cette nature lorsqu’il existait un rapport de dépendance entre le bénéficiaire et l’entreprise versante, et un rapprochement avec le droit commun français.

Désormais, il sera possible d’apporter la preuve contraire en justifiant de la normalité du versement.

Le texte de 1963 était d’ailleurs inutilement gênant pour des relations tout à fait légitimes entre entreprises françaises et monégasques dans un même groupe. Cette disposition s’appliquera également rétroactivement à compter de l’exercice 2002.

Il faut enfin noter que l’échange de lettres prévoit également la modification des règles de partage des recettes de taxe sur la valeur ajoutée et de droit d’accise entre Monaco et la France. Cette disposition, très importante pour les Etats intéressés, notamment pour la Principauté de Monaco, n’a évidemment pas d’incidence pour les redevables. Il réaffirme également l’unicité du territoire français et monégasque en matière de TVA.

En conclusion, les modifications apportées par l’avenant à la Convention fiscale franco?monégasque sont relativement mineures par rapport aux craintes qui avaient pu être exprimées il y a quelques années, ce qui démontre le manque de fondement de certaines critiques qui avaient été alors formulées à l’encontre de la Principauté.

UNE FOIS DE PLUS, LA FRANCE PENALISE SES PROPRES RESSORTISSANTS DE MOINS EN MOINS NOMBREUX A MONACO

Bien entendu, les principales « victimes » de l’accord sont les français établis à Monaco depuis le 1er janvier 1989 et qui vont ainsi entrer dans le champ d’application de l’ISF. Il est vrai que beaucoup d’entre eux, notamment ceux qui s’étaient délocalisés pour échapper à l’ISF, ont déjà devancé les nouvelles dispositions en quittant la Principauté et en s’établissant dans des Etats qui ne connaissent pas d’impôt sur la fortune et où le fisc français ne les poursuivra pas. Ils n’ont eu pour cela que l’embarras du choix.

Ceux qui sont restés vont bien entendu être, une fois de plus, défavorisés par rapport aux autres résidents de la Principauté qui, pour la plupart, échappent à toute imposition.

Lors de la ratification de la Convention de 1963, le rapporteur du texte devant le Sénat, le Sénateur PORTMANN, avait pourtant déjà souligné le caractère discriminatoire du texte à l’encontre des français de Monaco, discrimination qui, et c’est là toute son originalité, n’était pas voulue par l’Etat de résidence des intéressés qui, au contraire, les a défendus mais bien par l’Etat dont ils avaient la nationalité, contrairement à la règle générale qui veut que les Etats cherchent à protéger leurs nationaux à l’étranger contre les discriminations dont ils pourraient être victimes et non à les pénaliser.

Le Sénateur PORTMANN s’était d’ailleurs, comme beaucoup à l’époque, inquiété des conséquences de cet accord sur l’avenir de la communauté française à Monaco et craignait qu’elle ne soit inévitablement appelée à diminuer. Il était d’ailleurs admis que l’article 7 de la Convention fiscale franco-monégasque pourrait être remis en cause si une réduction significative des français à Monaco le justifiait et si l’élaboration, de concert avec les autorités monégasques, de mesures en vue de lutter contre la fraude fiscale le permettait.

Or, ces deux conditions sont aujourd’hui amplement réalisées. En 1961, plus de 12.000 français résidaient en Principauté et ils représentaient 60 % de la population de Monaco. Aujourd’hui, il n’y en a guère plus de 8.000, soit 30 % de la population. Ainsi, la part des français dans la population totale de la Principauté a été réduite de moitié depuis la Convention de 1963 qui a créé pour eux un lourd handicap par rapport aux autres habitants de la Principauté.

Cependant, rien n’a été fait de la part des autorités françaises pour remédier à cette situation et, bien au contraire, l’assujettissement à l’ISF ne pourra qu’accentuer cette tendance. Notons toutefois que, contrairement à la manière dont l’information a souvent été donnée dans les grands médias, l’ISF ne concernera pas tous les français de Monaco mais seulement ceux qui s’y sont établis depuis le 1er janvier 1989.

Il n’en demeure pas moins que la communauté française à Monaco est, à terme, menacée d’extinction, puisque les français dits « privilégiés » ont maintenant une moyenne d’âge assez élevée et que le remplacement ne pourra pas se faire puisque les enfants ne conservent pas le statut fiscal des parents.

C’est ainsi que de nombreux « enfants du pays », c’est-à-dire de français nés à Monaco et qui n’ont jamais habité en France, sont néanmoins réputés y être fiscalement domiciliés, puisqu’ils sont nés après le 13 octobre 1957, de parents qui n’avaient pas encore 21 ans à cette date.

Il apparaît donc que les français de Monaco ont peu à espérer du bon vouloir des autorités politiques françaises à leur égard. Le rapporteur à l’Assemblée Nationale des nouveaux accords franco-monégasques, Monsieur GUIBAL, s’est pourtant efforcé d’attirer l’attention de ses collègues et du gouvernement sur le déclin de la population française à Monaco et sur le handicap fiscal dont elle souffrait, mais il a eu bien peu d’échos parmi ceux-ci.

En revanche, un espoir peut sans doute être attendu du côté de la jurisprudence en matière de CSG et de prélèvements sociaux.

UN AVIS DU CONSEIL D’ETAT FAVORABLE AUX FRANÇAIS DE MONACO EN MATIERE DE CONTRIBUTIONS SOCIALES

Lors de l’entrée en vigueur en France de la CSG, de la CRDS et de divers prélèvements sociaux, les autorités françaises avaient estimé de manière péremptoire que les français résidant à Monaco, et réputés avoir leur domicile fiscal en France, étaient assujettis à ces contributions et ces prélèvements, même s’ils ne relevaient pas du régime français de sécurité sociale alors que, précisément, ces contributions et prélèvements étaient destinés à financer ces régimes.

Cependant, la France avait dû faire partiellement machine arrière après que la Cour de Justice des Communautés Européennes ait jugé, s’agissant des revenus professionnels et des revenus de remplacement, que ceux-ci ne pouvaient pas être atteints par les contributions sociales françaises lorsque leurs titulaires ne relevaient pas d’un régime de sécurité sociale français.

Ainsi, les français résidant à Monaco, mais fiscalement domiciliés en France, avaient été exonérés de CSG et de CRDS sur leurs revenus professionnels, ainsi que sur les revenus
de remplacement et sur les retraites perçues en raison d’une activité exercée précédemment en Principauté.

Mais, l’Administration fiscale française prétendait toujours assujettir les français résidant à Monaco, mais fiscalement domiciliés en France, aux contributions sociales sur les revenus du patrimoine et les produits de placement, au motif que ces revenus n’étaient pas visés par la décision de la Juridiction européenne.

Cependant, la Convention de 1963 ne vise que l’impôt sur le revenu et non les contributions sociales et prélèvements sociaux, qui d’ailleurs n’existaient pas à l’époque, et l’avenant de 2002 ne mentionne aucunement ces prélèvements. D’autre part, à bien les lire, les textes français relatifs à la CSG et au prélèvement social ne visent que les personnes ayant leur domicile fiscal en France au regard de l’article 4B du CGI, et non celles qui sont réputées fiscalement domiciliées en France en raison de la Convention franco-monégasque.

Le Conseil d’Etat français a tranché le problème de droit posé en estimant, le 10 novembre 2004, dans quatre dossiers qui lui avaient été transmis pour avis par le Tribunal Administratif de Nice saisi des litiges, que l’article 7 de la Convention du 18 mai 1963 ne permet pas à la France d’assujettir aux contributions sociales et autres prélèvements sociaux les français qui ont transféré leur domicile ou leur résidence à Monaco.

Ainsi, il semble que les français de Monaco pourront enfin échapper à ces contributions et prélèvements, ce qui n’est pas sans intérêt, vu leur poids croissant (leur taux global dépasse aujourd’hui 10 %). 

LES ACCORDS ENTRE MONACO ET L’EUROPE

MONACO ADMIS AU SEIN DU CONSEIL DE L’EUROPE

Les efforts entrepris par la Principauté depuis plusieurs années en vue de son admission au Conseil de l’Europe ont enfin été couronnés de succès. Pour y parvenir, la Principauté a modifié sa Constitution, afin d’accroître les pouvoirs de son Assemblée parlementaire et de favoriser le pluralisme au sein de celle-ci, modifié certains textes législatifs, conclu un nouveau Traité avec la France et entrepris de renégocier la Convention de 1930 avec ce pays qui, dans la mesure où elle excluait les monégasques d’un certain nombre de postes de la haute fonction publique, et notamment du plus important d’entre eux, celui du Ministre d’Etat, paraissait peu compatible avec les règles normales en Europe.

La signature, le 5 octobre 2004, du Traité d’adhésion, a donc représenté un pas décisif, mais non pas ultime, car la Principauté s’est engagée à introduire de nouvelles modifications dans sa législation interne, notamment en ce qui concerne la presse, les associations, la motivation des actes administratifs, et à ratifier certaines Conventions du Conseil de l’Europe.

Beaucoup craignaient qu’à l’occasion de sa procédure d’adhésion au Conseil de l’Europe, le régime fiscal de la Principauté puisse être remis en cause et, de fait, à l’occasion de cette procédure, des pressions convergentes de la France, du Conseil de l’Europe et de certains organismes périphériques comme l’OCDE se sont exercés sur la Principauté pour obtenir qu’elle améliore sa coopération fiscale et judiciaire et ce, notamment, au détriment du secret bancaire. Cependant, les autorités monégasques sont restées fermes sur leur position parfaitement logique qui peut se résumer ainsi : Monaco se pliera aux dispositions internationales tendant à améliorer la lutte contre l’évasion fiscale, mais à condition que tous les autres Etats en fassent autant de manière, notamment, à ce que la place financière monégasque ne soit pas défavorisée par rapport à des places financières étrangères qui, elles, ne joueraient pas le jeu.

Cette position a été parfaitement comprise par le Conseil de l’Europe et n’a donc nullement fait obstacle à l’admission de la Principauté.

ACCORD AVEC L’UNION EUROPEENNE SUR LES MESURES EQUIVALENTES A LA DIRECTIVE EPARGNE

Bien entendu, l’adhésion de la Principauté au Conseil de l’Europe n’a rien à voir avec une adhésion, redoutée par certains, à l’Union européenne qui n’est pas à l’ordre du jour et ne le sera probablement jamais. Cependant, la Principauté ne peut rester totalement à l’écart de cette Union avec laquelle certaines coopérations sont indispensables.

Il faut tout d’abord rappeler que les Etats membres de l’Union européenne se sont mis d’accord sur une Directive en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiement d’intérêts, dont l’objectif ultime est un échange automatique d’informations entre les Etats membres en la matière.

Cependant, certains Etats membres (Autriche, Belgique, Luxembourg) étant hostiles à l’application immédiate de cet échange d’informations et voulant préserver le secret bancaire vis-à-vis du fisc, ont obtenu la possibilité que, durant une période transitoire, l’échange d’informations soit remplacé par une retenue à la source sur les intérêts versés à des résidents d’un autre Etat membre, dont le taux doit être de 15 % pendant les trois premières années de la période transitoire, de 20 % pendant les trois années suivantes et de 35 % ensuite.

Toutefois, l’entrée en vigueur de cette Directive était conditionnée par la négociation, avec les Etats non membres, d’accords comportant des mesures équivalentes.

Ces négociations n’ont pas été faciles et c’est pourquoi l’entrée en vigueur de la Directive a dû être reportée au 1er juillet 2005.

Des accords de ce type ont été signés avec la Suisse et avec Andorre et sont sur le point de l’être avec Monaco, le Liechtenstein et Saint-Marin.

En effet, la Commission européenne a présenté, le 29 octobre 2004, une proposition de Décision du Conseil relative à la signature de l’accord entre la Communauté européenne et la Principauté de Monaco prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la Directive du Conseil sur l’imposition des revenus de l’épargne sous forme d’intérêts et à l’approbation ainsi qu’à la signature de la Déclaration d’Intention qui l’accompagne.

Cependant, les différents Etats concernés ont négocié de manière différente leur accord, en fonction de leurs intérêts propres et des questions qui leur tenaient le plus à cœur. C’est ainsi que l’accord signé avec Monaco qui, à l’instar de ceux avec la Suisse, le Liechtenstein, Andorre ou Saint-Marin, ne comporte pas un échange automatique d’informations mais prévoit une retenue à la source, comporte certaines particularités favorables à la Principauté.

L’accord avec la Suisse, qui était destiné à servir de modèle aux autres, fixait un tronc commun comportant quatre éléments : la retenue à la source, le partage des recettes de cette retenue avec l’Etat de résidence, des dispositions relatives à la fourniture volontaire d’informations (au moyen d’une clause de révision permettant le développement d’arrangements après la fin de la période transitoire) et des échanges sur demande d’informations en cas d’infractions similaires à la fraude fiscale.

L’accord avec Monaco comporte ces quatre éléments.

Une retenue à la source prélevée par l’agent payeur monégasque

Bien entendu, la Principauté a préféré le système de la retenue à la source à celui de l’échange automatique d’informations. Cette retenue sera appliquée dans la mesure où le bénéficiaire effectif des intérêts (c’est-à-dire la personne physique qui perçoit les intérêts ou à qui ceux-ci sont attribués, sauf si elle apporte la preuve que ce paiement n’a pas été reçu ou attribué pour son bénéfice propre) est résident de l’Union Européenne.

La retenue sera conservée à hauteur de 25 % par la Principauté et reversée à hauteur de 75 % à l’Etat de résidence du bénéficiaire effectif des intérêts.

Bien entendu, l’Etat de résidence devra veiller à ce que la retenue à la source n’entraîne pas une double imposition.

Cependant, si le bénéficiaire des intérêts préfère, pour éviter la retenue à la source, que des informations soient fournies à son Etat de résidence, l’information minimale à communiquer par l’agent payeur en cas d’autorisation expresse de ce bénéficiaire comportera les éléments suivants : l’identité et la résidence du bénéficiaire effectif, le nom ou dénomination et l’adresse de l’agent payeur, le numéro de compte du bénéficiaire ou l’identification du titre de créance donnant lieu au paiement des intérêts, le montant des intérêts.

Informations à la demande dans le cas d’une « escroquerie fiscale »

Ce n’est que dans le cas d’un délit d’escroquerie fiscale en matière d’imposition des revenus de l’épargne payés sous la forme d’intérêts, définie au sens du droit interne de l’Etat requis, que des renseignements pourront être fournis à la demande à l’Etat de résidence aux termes de l’article 12 de l’accord.

Cette infraction devra donc être intégrée dans l’ordre juridique monégasque sur la base d’une définition analogue à l’escroquerie fiscale tel que l’entend le droit suisse.

Seront considérés comme des actes délictueux : l’usage d’un document faux, falsifié ou inexact dans le dessein de se soustraire ou de tenter de se soustraire au paiement total ou partiel de l’imposition des revenus de l’épargne, l’absence intentionnelle de retenue de l’imposition ou une retenue d’un montant insuffisant, le détournement intentionnel des montants perçus et l’obtention frauduleuse d’une restitution totale ou partielle de l’imposition.

Les renseignements seraient transmis dans le cas où ils porteraient sur des faits faisant l’objet d’une procédure administrative, civile ou pénale engagée par l’Etat requérant relatifs aux actes visés et se rapportant aux seuls revenus de l’épargne imposables par ledit Etat.

L’autorité compétente de l’Etat requérant devra établir la pertinence de sa demande et donc fournir les preuves circonstanciées sur lesquelles se fonde la demande, les raisons
justifiant que les informations demandées sont détenues par la partie recevant la demande et une déclaration justifiant que la demande est conforme aux lois de l’Etat requérant, ainsi qu’une autre précisant que la partie requérante a utilisé, pour obtenir les renseignements, tous les moyens disponibles sur un territoire et/ou prévus par la législation ou sa réglementation, hormis ceux qui susciteraient des difficultés.

Monaco pourra exiger une déclaration établissant que les faits déjà connus par la partie requérante constituent, au regard du droit de cette partie, des présomptions pertinentes et concordantes de commission du délit d’escroquerie fiscale.

Enfin, il pourra refuser de fournir les informations sollicitées lorsque la demande n’est pas conforme aux stipulations de l’accord.

La fourniture de renseignements sur demande est donc étroitement encadrée.

Bien entendu, aucune information ne sera transmise pour des délits commis antérieurement à la date d’entrée en vigueur de la Directive épargne (soit, en principe, le 1er juillet 2005).

Par ailleurs, la Principauté de Monaco ne s’est pas engagée à entamer immédiatement des négociations bilatérales avec les Etats membres qui le souhaiteraient en matière de fraude fiscale et de délit assimilé.

L’accord précise simplement que, en considération de la conclusion des accords bilatéraux entre les Etats membres et les Etats tiers assujettis, Monaco examinera le champ d’application des conditions de mise en œuvre des principes définis dans l’article 12 en cas de commission d’infractions équivalentes du même degré de gravité que les délits d’escroquerie fiscale définis audit article. A cette fin, la Principauté entamera des consultations avec la Commission européenne.

Des contreparties pour Monaco

Enfin, la Principauté a obtenu, dans le cadre de la déclaration d’intention commune, la contrepartie qu’elle souhaitait et qu’elle avait réclamée dès le début des négociations, c’est-à-dire la possibilité de développer ses propres instruments financiers au sein de l’Union européenne.

En effet, cette déclaration stipule que la Communauté européenne est disposée à entamer avec le Gouvernement Princier un examen des conditions qui pourraient permettre de renforcer les échanges entre Monaco et la Communauté dans le domaine de certains instruments financiers et des services d’assurance, à partir du moment où il sera établi que les règles prudentielles à appliquer et les mesures de supervision des opérateurs monégasques concernés sont de nature à préserver le bon fonctionnement du marché intérieur dans les secteurs en question.

Ainsi, en conformité avec la politique extérieure de la Communauté adoptée à l’égard des demandes similaires dans le passé, un accord éventuel devrait se fonder sur la reprise et la mise en œuvre, par la Principauté de Monaco, dans les secteurs d’activités concernés de l’acquis communautaire existant et à venir. Il est également à prévoir que d’autres règles, existantes et à venir, pertinentes pour le bon fonctionnement du marché intérieur dans les secteurs en question, par exemple en matière de concurrence et de fiscalité, devraient être mises en œuvre par la Principauté de Monaco.

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Ainsi, la Principauté a su mener, ces dernières années, de difficiles négociations tant avec la France qu’avec l’Europe, qui ont débouché sur des accords et qui ont abouti à une meilleure reconnaissance, tant par la France que par l’Europe, de la Principauté en tant qu’Etat souverain, tout en resserrant les liens.

Pour cela, la Principauté a dû faire quelques concessions sur le plan fiscal, mais elle a su préserver ses atouts essentiels, c’est-à-dire, d’une part, rester un « paradis fiscal » pour les personnes physiques qui y résident (à l’exception d’une partie des résidents français) et, d’autre part, garantir le secret bancaire, sauf quelques exceptions strictement définies.

Pour l’avenir, la voie est clairement tracée : la Principauté jouera, comme elle le fait déjà maintenant, un rôle actif dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et participera à la coopération judiciaire internationale dans ce domaine. Elle ne sera pas davantage un maillon faible dans la lutte contre la fraude fiscale.

Mais, en matière fiscale, si elle ne restera pas à l’écart de la Communauté Internationale, elle n’avancera dans le domaine de la coopération que dans la mesure où tous les autres Etats en feront autant. Une attitude différente de la part de la Principauté n’aurait en effet pour conséquence que de la pénaliser par rapport à des places financières moins coopératives.

 

Henri FONTANA
Avocat au Barreau de Nice
Ancien Assistant à la Faculté

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