NOUVELLE DONNE A CHYPRE : LA REFORME FISCALE EST AMORCEE


par Stéphanie LAULHE SHAELOU, Juriste d’affaires, Professeur de droit à Intercollege,
Nicosie, Chypre
Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 131
(Année 2002)


Suite au premier article publié sur Chypre dans cette même revue, qui était destiné à familiariser nos lecteurs aux aspects juridiques et fiscaux de l’île de Chypre (1), il s’agit maintenant de se pencher sur la réforme fiscale en cours à Chypre et sur les dimensions internationales et européennes de cette réforme. En tant que centre international d’affaires de renom et candidat à l’élargissement de l’Union Européenne, Chypre a été la proie de tous les enjeux ces dernières années, en particulier au sujet de son régime fiscal très convoité.

La réponse de Chypre aux pressions européennes et internationales qui exigeaient une refonte complète de son système fiscal ne fût pas longue à venir. Dès 2000, le gouvernement s’engageait auprès de l’OCDE à éliminer toute inégalité fiscale jusqu’en 2005 et à adhérer aux principes de transparence, d’échange d’informations et d’égalité fiscale.

Par ailleurs, puisque Chypre aspire à devenir membre de l’Union Européenne, elle doit aussi mettre en œuvre l’acquis communautaire dans son droit national, et en particulier, en matière de fiscalité. Cela signifie, entre autres, que les règles applicables doivent être conformes à celles du code de conduite sur la fiscalité des entreprises (2). Et cela nécessitait une réforme majeure du régime fiscal de l’île.

Chypre devait, en particulier, éliminer ce double régime fiscal, un régime de pleine imposition pour les sociétés dites locales, ayant des activités sur le marché intérieur, et un régime préférentiel pour les compagnies dites internationales, dont les activités étaient concentrées uniquement à l’étranger et dont les revenus étaient dérivés de sources externes. L’Union Européenne n’impose pas de modèle type d’imposition aux Etats membres, Chypre a donc dû se décider seule, ou presque. L’objectif du gouvernement chypriote était, bien-sûr, de tenter d’élargir autant que possible le régime préférentiel à toutes les entreprises chypriotes, tout en respectant les conditions imposées par Bruxelles, et d’assujettir les sociétés internationales aux mêmes impôts que les sociétés locales.

 

LE NOUVEAU REGIME FISCAL

 

Afin de se conformer à ces différentes exigences, le Parlement chypriote a voté un ensemble de lois fiscales le 1er juillet 2002 et a adopté une approche très innovante. Ce nouveau système est caractérisé, entre autres, par l’intégration de l’impôt sur les sociétés et des prélèvements libératoires à l’impôt sur le revenu payables sur les bénéfices distribués. Ce nouveau système d’intégration comprend un taux unique d’imposition sur les sociétés de 10 pour cent, acquittable par toute société chypriote, qu’elle ait des activités dites internationales ou locales, à partir du 1er janvier 2003. Les sociétés internationales actives opérant déjà à partir de Chypre sont autorisées à bénéficier du taux réduit de 4,25 pour cent jusqu’en 2005, à condition que leurs revenus en 2001 aient été obtenus exclusivement de sources externes (hors de Chypre) et que cela soit le cas jusqu’en 2005. Mais si une société décide d’opter pour cette exemption, elle ne pourra pas reporter de pertes fiscales encourues avant 2000 au-delà de 2005.

Les dividendes payés à des résidents fiscaux à Chypre seront assujettis à un prélèvement libératoire de 15 pour cent, ce principe étant fondé sur l’hypothèse que 70 pour cent des 90 pour cent des bénéfices, représentant le bénéfice net (après paiement de l’impôt sur les sociétés), sont distribués. Les dividendes distribués aux entreprises étrangères et aux individus étrangers seront exonérés d’impôts.

Ainsi, l’intégration fiscale est rendue possible par la combinaison des 10 pour cent d’impôt sur les sociétés et des 15 pour cent de prélèvement libératoire sur les dividendes (dans le cas de l’hypothèse ci-dessus mentionnée) qui, additionnés, nous donnent un total de 19.45 pour cent, alors que le taux d’imposition sous l’ancien régime était de 25 pour cent pour certaines sociétés locales.

Les versements d’intérêts seront aussi assujettis à un prélèvement libératoire de 10 pour cent, payable comme une contribution de défense, mais tous les intérêts perçus par des individus, ainsi que 50 pour cent des intérêts perçus par des entreprises chypriotes à l’étranger, seront exonérés du paiement de cet impôt. De plus, les intérêts seront déductibles dans certains cas, même s’ils sont payés à une filiale ou à une société du même groupe située dans une juridiction à taux d’imposition faible, voire nul.

L’imposition des sociétés chypriotes est donc réduite par le nouveau système.

 

LA METHODE UTILISEE

 

Le système prédominant de versements utilisé jusqu’à maintenant a été remplacé par un système d’imposition du revenu mondial des résidents chypriotes et du revenu perçu à Chypre par les non-résidents de l’île, personnes physiques ou morales. Une personne physique sera considérée comme résidente à Chypre si elle y réside plus de 183 jours par an. Suivant le modèle britannique, une personne morale est résidente à Chypre si l’administration et le contrôle de cette société sont situés à Chypre.

Les nouveaux taux d’imposition sont les suivants :

 
2003 CYP
2004 CYP
2005 CYP
personnes physiques      
0%
9000
10000
10000
20%
9-12000
10-15000
10-15000
25%
12-15000
15-20000
15-20000
30%
15000+
20000+
20000+
sociétés      
10%
     
4,25%*
     
* en option pour les sociétés internationales jusqu’en 2005
 
prélèvements libératoires      
intérêts
10%
10%
10%
dividendes
15%
15%
15%
royalties
10%
10%
10%
sportifs, artistes étrangers, etc
10%
10%
10%
cotisations patronales fonds de cohésion sociale  
émoluments
2%
2%
2%

 


L’IMPACT SUR LES SOCIETES DITES INTERNATIONALES

 

Le code de conduite est très clair sur un point : le marché intérieur doit bénéficier du même régime fiscal, et a fortiori des mêmes avantages fiscaux, que les autres sociétés opérant uniquement à l’étranger.

Avant la publication du code de conduite en 1998, il existait une littérature abondante à ce sujet, tentant de prouver que ces régimes fiscaux, dits offshores, que l’on pourrait qualifier de systèmes « à deux vitesses », n’étaient pas en fait discriminatoires et pouvaient être justifiés selon les règles du droit européen. En particulier, plusieurs voix s’élevèrent à Chypre pour rappeler que le régime chypriote exonérait les entreprises chypriotes travaillant à l’export de certains impôts dans certaines conditions, de la même manière qu’il exonérait les entreprises ne travaillant pas sur le marché intérieur, mais exclusivement à l’étranger (d’où le nom d’entreprises internationales) (3).

Même si cela a pu apparaître fondé à l’époque et a été longuement discuté dans certains cas, c’est devenu cause vaine à l’avènement du code de conduite sur la fiscalité des entreprises et à l’annonce par la Commission Européenne de son intention de lutter contre toute forme d’inégalité, de fraude ou d’évasion fiscales en Europe.

Depuis, Chypre a travaillé d’arrache-pied dans cette direction, jusqu’à obtenir le résultat aujourd’hui dévoilé au grand public, avec l’approbation de l’Union Européenne et de l’OCDE. Ce fut un travail long et méticuleux qui fût accompli en quelques années, alors que cela aurait pu s’étendre sur quelques dizaines d’années (ce qui est la norme pour une telle refonte d’un système fiscal). Et, comme Rome ne s’est pas construite en un jour, cette réforme ne représente que les fondations de ce nouvel édifice qui devrait être achevé à la date de l’entrée de Chypre dans l’Union Européenne. Plusieurs modifications ou clarifications des différentes lois votées sont donc attendues et seront présentées au Parlement, en temps voulu, après avoir été approuvées par Bruxelles (4).

Le principe de base du nouveau système consiste en ce que la méthode de crédit a été remplacée par la méthode de l’exemption, permettant ainsi aux entreprises internationales de préserver l’avantage qui leur avait été accordé jusqu’à maintenant de ne pas payer de prélèvements libératoires sur les dividendes ou sur les intérêts versés aux actionnaires, ainsi que d’exonérer d’impôt les établissements permanents situés à l’étranger. Les entreprises internationales sont maintenant en mesure de commercer sur le marché intérieur de Chypre, de surcroît avec des sociétés chypriotes, si elles le souhaitent, tout en compensant des pertes à l’étranger par des revenus dégagés à Chypre.

L’IMPACT SUR LES TRAVAILLEURS EXPATRIES

Les travailleurs expatriés de sociétés internationales bénéficiaient jusqu’à maintenant d’un régime fiscal particulier : leurs émoluments (salaire plus allocations de logement, de voyage, etc…) étaient imposables à un taux réduit, voire exonérés d’impôts. Mais ces concessions ne seront pas renouvelées, cette fois, quand elles arriveront à échéance.

Le nouveau régime instaure un système d’imposition unique pour tout travailleur à Chypre. Les travailleurs étrangers seront maintenant obligés de cotiser à la Sécurité Sociale et les possibilités d’achat en duty-free disparaîtront dès avril 2003. Un non-résident qui décide de venir travailler à Chypre aura droit à une réduction de 20 pour cent de l’impôt sur le revenu, limitée cependant à 5000 livres chypriotes par an (5) pour les trois premières années, afin de compenser le coût de son installation à Chypre.

 

QUELS AVANTAGES POUR QUELLE STRATEGIE DE PLANIFICATION FISCALE ?

 

Suivant le principe nouvellement applicable, selon lequel l’imposition d’une société contrôlée à l’étranger est prélevée sur ses revenus dans le monde entier en fonction de l’endroit où la société est administrée et contrôlée, et non là où elle est enregistrée, une société enregistrée à Chypre mais administrée et contrôlée de l’étranger sera donc assujettie à l’impôt chypriote seulement sur son revenu dérivé à Chypre.

De plus, comme nous l’avons déjà mentionné ci-dessus, cette même société sera exonérée de prélèvements libératoires sur les dividendes et les intérêts perçus à l’étranger, ainsi que sur les revenus d’un établissement permanent à l’étranger. Elle bénéficiera aussi de crédits sur les impôts payés à l’étranger ainsi que de la possibilité de compenser ses pertes à l’étranger. Par ailleurs, ces sociétés ne pourront pas bénéficier des provisions de conventions préventives de la double imposition mais ne seront pas non plus soumises aux règles de transparence et d’échange d’informations contenues dans ces traités. On peut désormais parler d’un régime fiscal avantageux pour toutes les sociétés chypriotes.

Le nouveau système a aussi adopté la Directive Européenne concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’Etats membres différents (6), qui s’appliquera à toute restructuration d’une société résidente fiscale à Chypre.

Cette Directive réserve des avantages fiscaux en cas de restructuration transfrontalière de sociétés situées au sein de l’Union Européenne : pas d’imposition sur certaines transactions, possibilité de report de pertes ou d’exonération de taxe sur les plus-values pour les actionnaires pendant une fusion, une scission, un apport d’actifs ou un échange d’actions d’une société. Ces mesures sont faites pour encourager les sociétés ayant des activités dans deux ou plusieurs Etats membres de l’Union à choisir la forme commerciale la plus appropriée pour leurs activités. Dans le cas de Chypre, qui est un petit marché et qui aurait peut-être souffert de ce genre de restructuration internationale, les avantages de la Directive ont été étendus à toute restructuration de sociétés, transfrontalières ou non. Des mesures accompagnatrices ont aussi été votées, comme l’exonération de l’impôt sur les plus-values, sur la TVA, sur le droit de timbre, etc. Chypre dispose donc d’un système de restructuration des plus modernes et les sociétés chypriotes seraient bien averties d’en profiter (7).

Tous ces avantages fiscaux, et d’autres mesures, font de Chypre l’endroit idéal pour y abriter une société holding qui sera en mesure de recevoir des dividendes sans payer de prélèvements libératoires, ou à un taux moindre, en se servant soit d’une des nombreuses conventions préventives de la double imposition que Chypre a négociées ou de la Directive Européenne concernant le régime fiscal commercial applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents (8). Cette société pourra aussi être exonérée de prélèvements libératoires ou de taxes sur les plus-values payables à Chypre. Enfin, les dividendes pourraient finalement être expatriés sans que cela n’entraîne un supplément d’impôt pour la société, ce qui est le propre de la planification fiscale et qui reste le plus difficile à accomplir.

Grâce à cette réforme fiscale nouvellement amorcée, Chypre a « changé de camp ». L’île fait maintenant partie du groupe très élitiste des pays aux régimes fiscaux de pleine imposition très sophistiqués. Ceci est un service que l’île se rend à elle-même dans sa course vers l’Union Européenne et vers une réputation de centre financier et commercial européen.


Stéphanie LAULHE SHAELOU
Juriste d’affaires
Professeur de droit à Intercollege, Nicosie, Chypre

 

Notes :
(1) Revue Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires – Revue N° 126, p. 5-9, par le même auteur.
(2) Conclusions du Conseil ECOFIN du 1er décembre 1997 en matière de politique fiscale – Résolution du Conseil et représentants des Etats membres, réunis au sein du Conseil, du 1er décembre 1997 sur un code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises.

(3) “The future of the offshore regime of Cyprus once in the EU”, par Stéphanie Laulhé, European Legal Business, Legalease Ltd, mars – avril 1998, ISSN 1474-6239.
“Progress towards tax harmonisation in Cyprus”, par Stéphanie Laulhé, European Legal Business, Legalease Ltd, mars – avril 2000, ISSN 1474-6239.

(4) Nous tiendrons informés nos lecteurs de tout nouveau développement, par la publication d’articles, dans cette même revue.
(5) CYP1=EURO1,75.

(6) Directive 90/434/EEC, OJ L 225, 20.8.1990, p. 1.
(7) La restructuration d’activités commerciales à Chypre fera l’objet d’un article publié dans cette revue prochainement.
(8) Directive 90/435/EEC, OJ L 225, 22.9.1990, p. 6.

Les commentaires sont fermés.