LA POLITIQUE FISCALE EUROPEENNE EN MATIERE DE FISCALITE DES ENTREPRISES

 


 

Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » 1999/1

Françoise FONTANEAU-VANDOREN
Avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles
Docteur en Droit


 

 Il est à l’heure actuelle primordial de se tenir informés des réflexions de l’Europe dans le domaine fiscal, car elles conditionnent dans bien des cas les dispositions nationales.

En France on a tendance à raisonner comme s’il existait une pensée fiscale totalement autonome de la réflexion européenne.

En fait de plus en plus les Etats membres demandent à l’Europe de réfléchir globalement sur le plan économique afin de trouver les réponses adéquates à différents phénomènes conjoncturels ou structurels, le problème de l’emploi étant bien entendu le plus crucial.

Face à ces réflexions, l’Europe donne des tendances, recherche des solutions. Cependant le texte communautaire n’est que la réponse à l’analyse des tendances des quinze Etats membres. Il ne vient en aucun cas se « surajouter » aux dispositions nationales.

De plus les solutions préconisées par l’Europe ne sont pas d’application immédiate.

En effet, le texte fiscal communautaire ne peut être contraignant pour les Etats membres que dans le domaine de la fiscalité indirecte, d’autre part son processus d’adoption est toujours l’unanimité au Conseil avec une procédure de consultation par le Parlement. Le processus législatif est donc long et difficile.

En revanche les grandes tendances que l’Europe donne aux Etats membres sous forme de communication ou de recommandation sont toujours très importantes car elles reflètent pour une large part la position des Etats membres face à un problème.

C’est sur cette base que les gouvernements décident ou non de suivre les idées communautaires et de faire apparaître ou non dans la loi de finances les dispositions pratiques nationales.

C’est pourquoi il est impératif de se tenir au courant de la réflexion européenne.

En tant que décideurs, chefs d’entreprise, organisations politiques ou professionnelles, le suivi des travaux communautaires doit devenir un outil de gestion au même titre que les marchés financiers ou les contextes politiques des pays partenaires.

Cet outil devrait pouvoir permettre aux décideurs de considérer la pensée européenne comme un paramètre, soit pour anticiper une réaction, soit pour l’intégrer, soit pour ne pas en tenir compte.

En tout état de cause, ne pas reconnaître cette constante fiscale européenne peut constituer une grave lacune. C’est la raison pour laquelle le présent article a pour objectif de faire le point de la réflexion fiscale communautaire récente en matière de fiscalité des entreprises.


 

LA REFLEXION EUROPEENNE SUR LA POLITIQUE FISCALE


 

Le Traité de Rome et les autres textes relatifs à l’acte unique proposaient de créer, entre les pays formant la Communauté Economique européenne, les conditions d’un Marché Commun comparable à celles qui régissent un marché intérieur : libre circulation des produits, mobilité des personnes et des capitaux, établissement d’une monnaie commune, etc … Ces textes ont connu un début d’application au 1er janvier 1993.

Il s’agissait de susciter la concurrence par la suppression des obstacles de toutes sortes, notamment douaniers et fiscaux, susceptibles d’entraver le libre fonctionnement du marché. Dans l’esprit des rédacteurs, il convenait d’éviter, en particulier, que les différences dans le traitement fiscal appliqué aux revenus et aux produits n’arrivent à se substituer, en raison d’intentions protectionnistes inavouées, aux obstacles douaniers dont la suppression a été décidée.

Ces dispositions poursuivaient deux objectifs : éviter les discriminations fiscales et préparer l’harmonisation des législations fiscales des Etats membres.

Dans le cadre du Traité de Maastricht qui instaure notamment l’Union économique et monétaire (UEM), une évolution marquante apparaît quant à l’approche globale des questions fiscales au sein des Ministères des Finances des pays de l’Union européenne.

Dans le passé, les discussions se sont souvent limitées à des propositions isolées sorties de leur contexte, ce qui n’a pas permis d’étudier réellement les problèmes fiscaux plus généraux ni de replacer la politique fiscale dans le cadre plus vaste des grandes politiques communautaires.

Il a donc été maintenant décidé au sein de l’Union de repositionner la politique fiscale et ce d’autant plus que l’approche de la troisième phase de l’Union économique et monétaire et le Pacte de confiance pour l’emploi renforcent la nécessité d’une action concertée en matière de politique fiscale.

Trois grands enjeux ont donc été identifiés par tous les Etats : la stabilisation des recettes fiscales des Etats membres, le bon fonctionnement du Marché Unique, la promotion de l’emploi.

Cependant ces enjeux ne peuvent être réussis que si l’on tient compte du fait que les systèmes d’imposition des Etats membres ont subi un changement structurel.

Ce changement pourrait être lié à différents éléments :

1) Du fait de la concurrence fiscale déloyale, on constate qu’il peut y avoir des transferts des bases imposables vers d’autres pays plus intéressants fiscalement.

2) L’alourdissement de la pression fiscale encourage de plus en plus l’évasion et la fraude fiscales, éventuellement par l’intermédiaire de l’économie parallèle.

3) La libéralisation des marchés financiers a amélioré l’efficacité de la répartition des ressources, mais elle a offert de nouvelles opportunités de planification fiscale et donc augmenté les risques d’évasion et de fraude fiscales.

Ces différents phénomènes sont dus aussi bien aux écarts existant entre les taux des Etats membres qu’au niveau absolu des taux.

Afin d’illustrer l’augmentation de la pression fiscale sur le travail et la différence des taux entre les Etats membres, il convient de se reporter aux études statistiques réalisées dans ce domaine par l’Office statistique des Communautés européennes, Eurostat qui fournissent des indications particulièrement intéressantes.


 

LA PRESSION FISCALE AUGMENTE DANS L’UNION EUROPEENNE


 

Entre 1980 et 1993, le taux d’imposition implicite du travail salarié, pour l’ensemble de la Communauté, s’est accru d’environ un cinquième alors que ce même indicateur, dans le cas des autres facteurs de production – principalement du travail indépendant et du capital – , a diminué.

En septembre 1996, Eurostat(1) annonce que les impôts et les cotisations sociales dans l’Union européenne représentent 41,7% du PIB fin 1995.

Une légère baisse avait été enregistrée en 1994, mais cela n’a pas duré.

Impôts et cotisations sociales (ics) 1995, en % du pib 

Suède

 

51.5%

Allemagne

 

42.6%

Danemark

 

51.4%

Autriche

 

42.3%

Belgique

 

46.8%

Moyenne de l’UE

 

41.7%

 

Finlande

 

46.3%

Italie

 

40.7%

Pays-Bas

 

45.4%

Irlande

 

36.3%

France

 

44.6%

Royaume-Uni

 

34.9%

Luxembourg

 

43.3%

Espagne

 

34.8%

Selon les commentaires d’Eurostat, en 1995, la moyenne UE du pourcentage des ICS a retrouvé son maximum de 1993, avec 41,7%, après avoir baissé légèrement à 41,5%, en 1994.

Le niveau des ICS s’élevait à 38,7% en 1980.

La part des impôts en 1995 était identique à celle de 1994, à savoir 26,7% du PIB. Le maximum a été atteint en 1989, avec 27,2%, à la suite d’une augmentation continue à partir de l’année 1980 (25,5%).

Toujours d’après le même rapport statistique, il semblerait que seuls quatre Etats membres prélèvent 3/4 de tous les impôts.

En 1995, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie ont prélevé environ trois quarts des impôts de l’UE, part identique à leur contribution au PIB.

Entre 1994 et 1995, quatre Etats membres, à savoir l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Finlande, ont connu une diminution de la part des impôts supérieure à un point de pourcentage.

Seul le Royaume-Uni a enregistré une croissance supérieure à un point de pourcentage.

En ce qui concerne la part des contributions sociales, elle a remonté l’année dernière vers son maximum de 14,9%, atteint en 1993, après une baisse de 0,1% en 1994. Elle s’était élevée à 13,2% en 1980. Conformément au rapport, la part a augmenté de manière continue entre 1989 et 1993, alors que, contrairement à l’évolution des impôts, elle était plus stable entre 1980 et 1989.

Les taux de prélèvement ICS ont augmenté, en 1995, en Suède, au Royaume-Uni, au Danemark et en France, mais les augmentations les plus fortes ont été enregistrées en Suède (de 50,4% à 51,5%) – elle a dépassé le Danemark en tant que pays ayant le taux le plus élevé – ainsi que le Royaume-Uni (de 33,7% à 34,9%), qui a ainsi perdu sa position en fin de tableau, bien que son taux reste très inférieur à la moyenne communautaire.

Le Danemark avait le taux le plus élevé pour les impôts et le taux le plus bas pour les cotisations sociales, avec respectivement 49,7% et 1,6%. La quasi-totalité des prestations sociales est toutefois financée par l’intermédiaire des impôts.

Par ailleurs, cet Etat avait le taux le plus élevé d’impôts sur les revenus et le patrimoine (31,6% du PIB) et de TVA (9,3% du PIB).

L’Espagne avait le taux le plus bas d’impôts, avec 22,5%.

La France avait le taux le plus important de contributions sociales, avec 19,3%, et en même temps de loin le taux le moins élevé d’impôts sur le revenu et le patrimoine, avec 9,5%.

Comme il est indiqué dans le rapport réalisé par Eurostat, le taux moyen des cotisations sociales dans l’UE est resté pratiquement inchangé entre 1993 et 1995, à environ 15%.

Sa structure s’est cependant modifiée, par une baisse pour les employeurs et une augmentation pour les salariés. Le taux de ces derniers s’est élevé à 4,4% du PIB en 1985 et à 5,2% en 1995.

En 1996, l’Union européenne accuse une nouvelle augmentation en matière de prélèvements obligatoires sur les revenus du travail.

Un nouveau rapport d’Eurostat(2) fait état d’une nouvelle hausse.


Impôts et cotisations sociales en 1996, en % du PIB


Suède

 

55,2%

Luxembourg

 

43,0%

Danemark

 

52,0%

Italie

 

42,9%

Finlande

 

48,8%

Moyenne UE

 

42,4%

 

Belgique

 

47,0%

Allemagne

 

42,0%

Autriche

 

45,7%

Royaume-Uni

 

35,9%

France

 

45,5%

Espagne

 

35,2%

Pays-Bas

 

45,2%

Irlande

 

34,5%

 

En 1996, le taux moyen des impôts et cotisations sociales de l’Union européenne a dépassé le taux record de 42% réalisé en 1995.

La part des impôts en 1996 est de 27,2% du PIB, ce qui représente une légère augmentation par rapport au taux 27% de 1995.

Le rapport d’Eurostat indique qu’il existe une augmentation presque continue depuis 1989. Cependant on observe que la part des impôts augmente surtout de 1980 à 1989 et celle des cotisations sociales pendant la première partie des années 1990.

Le rapport souligne que l’augmentation du taux des impôts et des cotisations sociales dans l’Union Européenne a été répartie de façon relativement égale entre les impôts et les cotisations sociales. Ces dernières ont atteint 15,3% et les premiers 27,2%, soit 42,4% au total.

Enfin une nouvelle étude(3) effectuée par Eurostat sur l’imposition du travail souligne les grosses différences existant entre les Etats membres.

Ce rapport montre que l’imposition du travail dans l’Union européenne atteint de nouveaux sommets.

Il présente trois indicateurs de l’imposition du travail :

1) Le premier est l’imposition du travail salarié exprimée en pourcentage de la rémunération des salariés (appelé taux d’imposition implicite). Le chiffre pour l’Union européenne à 15 Etats membres était de 42,1% en 1995 ainsi que cela a été exposé précédemment alors qu’il était de 28,7% pour l’Europe à 6 Etats membres en 1970.

2) En 1995, l’imposition du travail salarié atteignait 51,4% du total des recettes fiscales pour l’Union européenne à 15 Etats membres ; 25 ans plus tôt, ce chiffre était de 43,2% pour l’Europe à 6 Etats membres.

3) Exprimée en pourcentage du PIB, la part de l’imposition du travail salarié pour l’Union européenne à 15 Etats membres était de 21,4% en 1995. L’équivalent pour l’Europe à 6 Etats membres était de 14,5% en 1970.

Si l’on compare les données des différents États membres, de grands écarts apparaissent entre les taux d’imposition maximums et minimums.

C’est en Suède et en Finlande que l’imposition du travail est la plus élevée et au Royaume-Uni et en Irlande qu’elle est la plus faible.

De 1985 à 1995, les plus fortes hausses ont été enregistrées en Allemagne (de 39,5 à 44,1%), en Espagne (de 32,3 à 38%), en Italie (de 36,6 à 44%), au Portugal (de 21,4 à 36,7% [1993]) et en Finlande (de 42,9 à 53,7%).

Durant la même période, le taux a chuté au Luxembourg (de 32,5 à 29,6%), aux Pays-Bas (de 50,9 à 48,8%) et en Irlande (de 30,2 à 30,1%).

 


 

Imposition du travail salarié

 

 

 


 

 

 

Taux d’imposition implicite° (%)

 

% du total des recettes fiscales

 

% du PIB

 

 

1970

 

1995

 

1970

 

1995

 

1970

 

1995

 

UE 6

28,7

44,5

43,2

52,5

14,5

22,7

UE 15

 

42,1

 

51,4

 

21,4

Belgique

31,3

45,7

43,3

51,2

15,6

23,9

Danemark

34,7

47,6

46,2

48,9

18,7

25,1

Allemagne

29,6

44,1

44,2

56,2

15,8

24,0

Grèce*

 

45,9

 

45,1

 

14,4

Espagne

 

38,0

 

48,8

 

16,9

France

30,5

44,4

42,9

51,8

15,1

23,0

Irlande

16,1

30,1

26,6

39,5

8,3

13,6

Italie

21,6

44,0

38,0

44,3

9,8

18,1

Luxembourg

27,5

29,6

41,3

37,4

12,8

16,4

Pays-Bas

34,2

48,8

50,6

55,5

18,9

25,2

Autriche

 

44,5

 

55,2

 

24,2

Portugal*

 

36,7

 

46,9

 

17,4

Finlande

 

53,7

 

59,5

 

27,7

Suède

 

56,2

 

62,8

 

32,0

Royaume-Uni

21,7

27,0

34,6

42,0

12,8

14,7

 

Légendes tableau

°Imposition du travail salarié exprimée en pourcentage de la rémunération des salariés

* Dernier chiffre disponible

: = non disponible

L’ensemble de ces tableaux montre à l’évidence d’une part les écarts existant entre les cotisations nationales de sécurité sociale et les taux d’imposition sur les revenus des personnes physiques.

Par ailleurs, il apparaît de manière relativement évidente que la pression fiscale pesant sur le travail ne peut plus être alourdie au risque de créer des effets négatifs sur le coût du travail et de l’emploi et de favoriser l’économie parallèle, notamment pour les indépendants dans le but de déclarer moins de revenus imposables.

Les différences de taux entre pays voisins pourraient contribuer notamment dans les régions transfrontalières à favoriser des migrations de travailleurs et même des changements de résidence dans un but exclusif d’allégements fiscaux.

Cependant cette dégradation fiscale concerne toutes les grandes sources de recettes (impôt sur la consommation, impôt sur les sociétés, imposition des revenus mobiliers…).

Les impôts sur la consommation par exemple pour lesquels un effort considérable d’harmonisation a été effectué ne sont pas à l’abri du même phénomène.

Le paiement de la TVA, notamment, est directement concerné par les nouvelles

technologies qui permettent de plus en plus le déplacement de services internationaux aux seules fins qu’ils sortent de la zone géographique d’application de la TVA.

En outre les divergences au niveau des législations nationales favorisent les opportunités d’évasion fiscale. De la même façon la diversité des régimes nationaux en matière de revenus mobiliers entraîne des distorsions économiques considérables.

C’est pourquoi la réflexion de la Commission a repositionné l’ensemble de ces préoccupations fiscales dans un contexte général basé sur le bon fonctionnement du Marché Unique.

 


La politique fiscale est l’un des paramètres

du bon fonctionnement du marché unique

 


 

Dans le domaine de la TVA, la réussite du Marché Unique suppose l’existence d’un système simple et plus homogène qui devrait appliquer le régime aux opérations intra communautaires et aux transactions intérieures.

Quant à l’impôt sur le revenu des personnes physiques, il est impératif de créer un traitement non-discrimminatoire entre les contribuables résidents ou non résidents et les travailleurs frontaliers.

La liste est également longue dans le domaine des entreprises qui se plaignent des barrières fiscales entravant le flux de revenus transfrontaliers.

Il est clair que les Etats membres sont anxieux de perdre des recettes fiscales et que c’est la raison pour laquelle le sujet de la fiscalité demeure toujours très sensible.

Cependant après de nombreuses discussions, notamment lors de la réunion informelle des ministres des finances de Mondorf les Bains le 13 septembre 1997, la présidence du Conseil a annoncé qu’un débat d’orientation sur la fiscalité allait être engagé.

La Commission a donc été chargée de présenter un document de travail et de réflexion regroupant un certain nombre de propositions visant à réduire la concurrence fiscale dommageable entre les Etats membres.

Le premier décembre 1997, les Ministres des Finances de l’Union européenne ont adopté à l’unanimité un ensemble de mesures, appelé « paquet fiscal », pour lutter contre la concurrence fiscale dommageable dans l’Union européenne suite au document de travail de la Commission(4).

Ce dernier accord s’inscrit dans la perspective de l’Union économique et monétaire et de l’introduction de l’Euro, qui, en instaurant la transparence des prix au niveau des échanges transfrontaliers et en supprimant le risque de change et les coûts qui lui sont associés, rendra les flux transfrontaliers de capitaux plus sensibles aux aspects fiscaux.

 


 

LA LUTTE CONTRE LA CONCURRENCE FISCALE

 

 

 


 

L’ambition du « paquet fiscal » est de s’attaquer à la concurrence fiscale dommageable et d’éliminer un certain nombre de distorsions affectant le Marché Unique.

Un de ses objectifs est également de contribuer à renverser la tendance actuelle à l’augmentation de la pression fiscale sur les revenus du travail, de façon à rendre les systèmes fiscaux moins défavorables aux travailleurs. Son objet n’est pas d’alourdir la fiscalité, ce qui serait néfaste à la compétitivité internationale de l’Union, ni d’enclencher un processus d’harmonisation fiscale global, ce qui serait incompatible avec le principe de subsidiarité.

Les risques de concurrence fiscale dommageable augmentent dans un environnement mondial où innovation technologique et mondialisation renforcent la mobilité des services et des mouvements de capitaux. Elle deviendra donc une source croissante de conflits entre les États si une plus grande coordination ne s’instaure pas, au moins à l’échelle européenne.

Plusieurs mesures ont été adoptées afin de jeter les bases d’une coordination plus étroite en matière fiscale entre les États membres, notamment :

  • un code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises, associé à une communication parallèle de la Commission sur les aides d’États à caractère fiscal ;
  • des mesures visant à éliminer les distorsions au niveau de l’imposition des revenus du capital ;
  • des mesures visant à supprimer les retenues à la source sur les paiements transfrontaliers d’intérêts et de redevance entre entreprises.

Un code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises

 

La résolution relative au code de conduite précise quelles sont les mesures potentiellement néfastes, tout d’abord les mesures fiscales qui prévoient un niveau d’imposition plus faible que ceux généralement appliqués dans l’État membre concerné, voire même une imposition nulle.

Elle prévoit la mise en oeuvre d’un processus de révision de la réglementation fiscale afin de déterminer celles des mesures qu’il conviendrait donc de supprimer.

Les mesures dommageables devront en principe être démantelées d’ici au 31 décembre 2002. Pour les nouvelles mesures, une clause de « statu quo » a été prévue : les États membres s’abstiendront d’introduire de nouvelles mesures dommageables.

Instrument non contraignant sur le plan juridique, il aidera à prévenir les distorsions économiques et l’érosion des bases d’imposition dans la Communauté. Le code inclura des procédures d’évaluation et de suivi. Deux ans après sa mise en oeuvre, le fonctionnement du code fera l’objet d’un examen par le Conseil.

D’ores et déjà les groupes d’experts se sont réunis dans le courant de l’année 1998. Une

réunion est prévue pour début décembre pour discuter des progrès de la mise en œuvre du code.

Une première liste de mesures et avantages fiscaux a été isolée afin de procéder à un examen plus approfondi de ces mesures.

Il s’agit :

  • des centres de coordination, centres de distribution, et centres de services en Belgique,
  • des centres de coordination établis dans le Pays basque et en Navarre, les sociétés holding (ETVE) en Espagne,
  • des quartiers généraux et centres de logistique, redevance-brevets en France,
  • des centres de coordination, les sociétés holdings exonérés d’impôts en vertu de la loi de 1929 au Luxembourg,
  • de la méthode des coûts majorés, la méthode du prix de revente, les financements intragroupe, les sociétés holdings et les redevances au Pays-Bas,
  • des quartiers généraux internationaux, les sociétés établies à Gibraltar (réglementation 1992) au Royaume-Uni.

Lors du Conseil Ecofin du 1er décembre 1998, le groupe « Code de conduite » a remis son rapport intérimaire.

Parmi les mesures potentiellement dommageables, deux ont été déjà examinées. Elles concernent les activités intragroupe et les sociétés offshore. Les mesures sont décrites dans le rapport et ont fait l’objet de premières évaluations. Ces mesures ont été reconnues à ce stade comme pouvant être dommageables. Des approfondissements sont donc demandés à la Commission sous forme d’études dans le but d’affiner l’évaluation.

Chacune des mesures identifiées par le groupe « code de conduite » suivra la même procédure et le Conseil a annoncé un achèvement probable des travaux pour juin 1999. L’évaluation des différentes mesures devrait permettre de déterminer le champ d’application du Code de conduite (fiscalité des entreprises).

Outre ce code de conduite, la Commission devait présenter une communication qui clarifiera et affinera sa politique sur l’application des règles concernant les aides d’État sous forme de mesures fiscales à la lumière du développement du Marché Unique.

 

Communication de la Commission sur l’application des règles concernant les aides d’Etat

 

A la suite de l’achèvement du Marché Unique, il a été déclaré nécessaire d’examiner les effets particuliers des aides accordées sous forme fiscale. De plus la mise en place de l’Union économique et monétaire impose un contrôle rigoureux des aides sous toutes leurs formes. Dans ce contexte, il est indispensable de tenir compte des répercussions importantes de certaines aides fiscales sur les recettes des autres Etats membres.

La résolution comporte donc une référence à l’engagement clair souscrit par la Commission en ce qui concerne les règles sur les aides d’État des articles 92 à 94 du traité CE : la Commission s’est engagée à publier des lignes directrices sur l’application des règles en matière d’aides d’État aux mesures touchant à la fiscalité des entreprises.

Les lignes directrices avaient été annoncées le 11 novembre 1998 et elles ont été présentées le 1er décembre 1998.

La Communication de la Commission(5) étudie donc successivement les moyens d’actions communautaires, l’application de l’article 92 §1 du Traité CE aux mesures fiscales, la compatibilité avec le marché commun des aides d’Etat sous forme fiscale et les procédures applicables en vertu de l’article 93 du Traité CE.

La Commission précise par ailleurs qu’un avantage fiscal qui est spécifique dans le sens qu’il profite à certaines entreprises ou certaines productions, peut être considéré comme une aide d’Etat et donc être soumis aux mêmes règles.

La Communication de la Commission stipule: « un avantage fiscal est spécifique quand il dérive d’une exception aux règles d’imposition générale applicables ou d’une partie discrétionnaire de la part de l’administration fiscale……Néanmoins, leur nature spécifique ne les rend pas automatiquement des aides d’Etat. Si un raisonnement économique les rend nécessaires au fonctionnement et à l’efficacité du système fiscal, ces mesures fiscales spécifiques ne seront pas considérées comme des aides d’état. Cela peut par exemple être le cas pour certaines mesures fiscales spécifiques qui tiennent compte de différents besoins de comptabilité dans certains secteurs. « 

 

La fiscalité de l’épargne

 

Dans le cadre du Conseil du 1er décembre 1997, il a été demandé à la Commission de présenter une proposition de directive dans ce domaine.

Cette proposition a été effectivement adoptée par la Commission le 20/05/98 et est actuellement devenue une proposition de directive du Conseil(6) qui vise à garantir à un minimum d’imposition effective des revenus de l’épargne sous forme d’intérêts à l’intérieur de la communauté.

L’introduction de l’euro rend plus urgente l’application de règles communes en matière d’imposition de paiements transfrontaliers d’intérêts aux particuliers afin de combattre les distorsions économiques existantes actuellement dans le marché intérieur.

En effet, sans règle commune, il est encore possible d’échapper à l’impôt sur les revenus des investissements transfrontaliers de l’épargne. Ceci est difficilement envisageable à l’heure où les Etats membres font preuve de rigueur budgétaire afin de respecter les critères de participation à l’euro et s’efforcent de rééquilibrer l’impôt entre les différents facteurs de production afin de soutenir la création d’emplois.

Afin de remédier à ces distorsions, la proposition de directive prévoit un minimum d’imposition des revenus de l’épargne transfrontalière.

La Commission européenne a choisi un système dit de  » coexistence « .

Cela signifie que les États membres auront à choisir entre une retenue à la source minimale de 20 % sur les revenus de l’épargne ou un système d’échange d’informations qui leur impose de fournir les informations nécessaires à tout autre État membre dans lequel le bénéficiaire d’intérêts sur l’épargne est résident.

Les principaux acteurs dans la mise en oeuvre effective de cette directive seront les agents payeurs d’intérêts, c’est-à-dire les banques ou tout opérateur économique responsable du paiement de ces intérêts. Ils devront soit fournir les informations requises, soit opérer la retenue à la source.

Les États membres prendront les mesures nécessaires afin que les agents établis sur leur territoire puissent exécuter les tâches requises par cette directive. De plus ils devront choisir un seul et même régime et l’appliquer à tous les paiements d’intérêts effectués sur son territoire à des résidents de tout autre Etat membre.

Un système de certificats établis par l’administration fiscale du pays de résidence attestera que le bénéficiaire a bien informé cette administration, des montants d’intérêts à recevoir.

Cela permettra aux bénéficiaires qui le désirent d’être imposés exclusivement dans l’Etat de résidence fiscale tout comme celui qui reçoit un paiement dans un Etat ayant opté pour le régime d’information.

Afin d’éviter une double imposition, l’Etat de résidence fiscale du particulier sera tenu de prendre en compte, lorsque cela sera le cas, la retenue à la source appliquée sur les intérêts dans un autre État membre. En cas de différence entre la retenue effectuée et le taux d’imposition, elle sera remboursée par l’Etat membre où est établi l’agent payeur.

Cette proposition de directive ne concerne que la fiscalité de l’épargne transfrontalière des ressortissants de l’Union européenne et ne s’applique pas aux ressortissants de pays tiers.

De même, cette directive ne s’appliquera que dans l’Union européenne. Cependant, les Etats membres qui ont des territoires dépendants ou associés, des responsabilités particulières ou des prérogatives fiscales à l’égard d’autres territoires, devront les inciter à instituer des dispositions équivalentes à celles définies dans cette proposition.

Lors du Conseil du 1er décembre 1998, les Ministres des Finances se sont concentrés sur cette dimension extérieure de la proposition et ont demandé à ce que des contacts exploratoires soient pris avec les pays tiers. Ces contacts doivent être limités à la Suisse, le Lichtenstein, Andorre, Monaco et San Marin.

Il est demandé d’attirer l’attention des pays tiers mentionnés sur les questions suivantes :

garantir un minimum d’imposition effective des revenus de l’épargne au niveau international, déterminer les éléments distinctifs des mesures qu’on pourrait juger équivalentes à celles envisagées par le modèle de coexistence et adopter la méthode de l’agent payeur.

Le dernier Conseil Ecofin du 15 mars 1999 a entériné le fait que des contacts avaient été effectivement pris et qu’il fallait poursuivre le travail afin de présenter les premiers résultats pour le mois de juin 1999.

Un rapport de la Commission fera le bilan de cette première directive en matière d’imposition de l’épargne dans l’ensemble de l’Union européenne, trois ans après son entrée en vigueur et déterminera si des modifications devront y être apportées afin d’accroître son efficacité.

Actuellement la proposition est soumise à l’examen du Parlement européen. Le débat devant le Parlement ne se situe pas sur le plan des principes posés par cette proposition de directive qui ont été approuvés dans leur ensemble. En revanche les députés ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le taux minimal d’imposition de la retenue à la source.

 

Le régime fiscal des paiements transfrontaliers d’intérêts et de redevances entre entreprises

 

La Commission européenne a présenté le 4 mars 1998 une proposition de directive, visant à supprimer les retenues à la source sur les paiements d’intérêts et de redevances effectuées entre sociétés associées d’Etats membres différents.

L’objectif est d’éliminer les distorsions qui proviennent d’une double imposition.

Cette proposition reprend des idées qui avaient été déjà présentées sous forme de proposition de directive fin 1990.

Cependant dans la mesure où aucune unanimité ne pouvait être obtenue sur ce premier texte, la Commission avait retiré fin 1994 sa proposition.

Cette nouvelle proposition de directive vise à la suppression de toute double imposition des paiements d’intérêts et de redevances effectués entre sociétés associées de différents Etats membres (y compris les établissements stables de telles sociétés).

Chaque Etat membre exonère les intérêts et redevances de toute imposition prélevée sur ces catégories de revenus et pour ce type de sociétés, que l’impôt soit retenu à la source ou recouvré par voie de rôle.

L’exonération s’applique uniquement lorsqu’un paiement transfrontalier est effectué.

Tous les revenus ou paiements assimilés à des intérêts ou des redevances en vertu d’une convention en matière de double imposition conclue entre deux Etats membres ou de la législation fiscale de l’Etat membre d’où proviennent les intérêts ou les redevances, sont considérés comme tels.

Deux sociétés sont considérées comme « associées » lorsque :

  • l’une détient, directement ou indirectement, au moins 25% du capital de l’autre, ou
  • une troisième société détient au moins 25% du capital de chacune des deux sociétés.

Les Etats membres pourront choisir d’appliquer la directive dans les cas où le niveau de détention est inférieur à 25% ou de remplacer le critère de participation minimum dans le capital par un critère de détention minimum des droits de vote.

Il sera toujours possible pour les Etats membres de prendre des mesures pour lutter contre les fraudes et les abus. Les administrations fiscales pourront procéder à des ajustements des prix des transferts, si le montant des intérêts ou des redevances ou le montant d’un prêt excédait le montant qui aurait été accepté par la partie versante et le bénéficiaire effectif s’ils avaient contracté en toute indépendance.

Les Etats membres pourront ne pas appliquer l’exonération de l’imposition dans l’Etat de la source si le bénéficiaire effectif des paiements bénéficie d’un taux d’imposition spécifique, plus bas que celui généralement applicable aux paiements de la sorte reçus par une société ou un établissement stable de l’Etat membre du bénéficiaire effectif.

Les dispositions de la directive du Conseil du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres dans le domaine des impôts directs et indirects, s’appliqueront également aux paiements de redevances et d’intérêts, notamment en matière d’échange d’informations afin de prévenir fraudes et évasions fiscales.

La Grèce et le Portugal sont autorisés à ne pas appliquer les dispositions de cette directive pendant une période transitoire de cinq ans après son entrée en vigueur. Le taux de l’impôt qu’ils continueront à appliquer sur les paiements d’intérêts ou de redevances au profit d’une société associée ou d’un établissement stable d’une société associée d’un Etat membre situé dans un autre Etat membre ne pourra pas dépasser les 10% pendant les deux premières années et 5% les trois dernières années. Cette période transitoire pourra être prolongée par décision du Conseil et sur proposition de la Commission.

La Commission établira un rapport sur l’application de la directive sur la base de l’expérience acquise au cours des trois premières années d’application, notamment dans le but d’une extension de son champ d’application.

A terme, la Commission ainsi que les organisations professionnelles internationales souhaitent parvenir à l’élimination de toute forme de double imposition en matière de paiement d’intérêts et de redevances en supprimant les retenues à la source prélevées par l’Etat membre d’où proviennent les paiements d’intérêts ou de redevances.

Toutefois, une approche progressive est nécessaire afin d’atténuer l’impact budgétaire de cette suppression d’une double imposition, en particulier pour les Etats membres importateurs nets de capital et de technologie et pour lesquels l’imposition de ces paiements représente une source appréciable de recettes fiscales.

Actuellement, ce texte est en attente de l’avis du Parlement.

 


 

Un renforcement de la coopération

en matière de politique fiscale

 

 

 


Enfin le Conseil invite les Etats membres à coopérer pleinement dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale notamment par les échanges d’informations entre les Etats membres conformément aux législations nationales respectives.

Le Conseil se réfère notamment aux dispositions anti-abus ou aux contre-mesures contenues dans les lois fiscales et dans les conventions sur la double imposition.

Lors du Conseil européen de Vienne le 26 octobre 1998, un rapport a été présenté aux chefs d’Etat qui fait le point des travaux en cours en matière de politique fiscale. Le rapport souligne la nécessité de la coordination qui s’impose avec la monnaie unique. L’Euro, ainsi que le souligne le rapport, devrait « augmenter la transparence du marché intérieur ainsi que le potentiel qu’il offre pour renforcer concurrence et efficacité, mais accentuera également les répercussions des distorsions qui subsistent encore, notamment celles découlant des systèmes fiscaux. »

En conclusion, le chantier fiscal engagé par l’Europe est donc très ambitieux et de grande envergure mais il risque de ne pas être achevé avant un certain temps, malgré un calendrier strict.

De plus il ne devrait pas aboutir à une réelle harmonisation entre Etats membres, mais plutôt à une neutralité fiscale, si les Etats suppriment leurs dispositions fiscales privilégiées.

Cela devrait entraîner des négociations politiques longues et difficiles car dans certains pays, ces dispositions sont des facteurs très efficaces pour drainer les entreprises, les investissements ou les capitaux.

Les Etats n’y renonceront pas facilement.

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