LES INCIDENCES ECONOMIQUES DE L’EURO


Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » 1998/1  

 

Pierre FONTANEAU

Henri FONTANA

Professeur Agrégé des Facultés

Avocat au Barreau de Nice

de Droit et de Sciences Economiques

Ancien Assistant à la Faculté

Avocat à la Cour d’Appel de Paris

 


L’Europe est en marche vers la monnaie unique et malgré les réticences que l’Euro suscite encore dans une bonne partie de l’opinion publique, chez un certain nombre d’hommes politiques et chez bon nombre d’économistes, cette marche ne pourra plus être arrêtée.

Bien plus les doutes sur la participation d’une large majorité des pays membres de l’Union à la monnaie unique paraissent dissipés, il est aujourd’hui presque certain que les pays d’Europe du Sud, à l’exception de la Grèce -et cette exception ne sera probablement que temporaire-, seront de la fête.

Contrairement à ce que certains peuvent penser, toute le monde sera touché par l’Euro. Ceux qui ne le seront pas en tant que producteurs, du moins directement (les fonctionnaires, les personnes qui travaillent pour un marché de proximité), le seront en tant que consommateurs, qu’épargnants ou même qu’usagers des services publics. Et les effets macro-économiques de l’Euro sur la croissance, le niveau des prix, l’emploi , concernent la collectivité dans son ensemble et chacun d’entre nous en particulier.

Réciproquement, les effets économiques de l’Euro dépendront beaucoup des réactions et du comportement des agents économiques, donc de facteurs psychologiques difficiles à prévoir.

LE CALENDRIER DE L’EURO

Rappelons rapidement les principales étapes du calendrier de l’Euro :

En mars 1998, la Commission Européenne et l’Institut Monétaire Européen ont présenté leurs rapports de convergence concernant chacun des pays candidat à l’Union Monétaire.

Début mai 1998, la liste des premiers pays participants à l’Euro sera fixée.

Entre mai et décembre 1998, le cours de l’Euro sera déterminé par rapport à chacune des monnaies des pays participants et sera fixé définitivement au 1er janvier 1999.

Dans la période de transition comprise entre le 1er janvier 1999 et le 1er janvier 2002, l’Euro devenu la monnaie officielle de chacun des pays qualifiés pourra être employé, mais chacun de ces pays conservera également sa propre unité monétaire qui aura toujours cours.

Il est inutile d’insister sur la complexité d’une telle situation sur une période sans doute un peu trop longue.

Ainsi, les comptes continueront à être exprimés en monnaie nationale, mais la cote boursière sera en Euro dans tous les pays participants. Les opérations seront réalisées en Euro au niveau des marchés financiers mais seront convertis en Francs par l’Etablissement teneur des comptes.

Les consommateurs établiront leurs chèques en Franc et il retireront des Francs des distributeurs automatiques de billets. Toutefois, à partir de 2001, ces distributeurs devraient pouvoir délivrer au choix des Francs ou des Euros.

Ceux qui le souhaitent pourront en principe établir leurs chèques en Euro.

Les placements et toutes les transactions bancaires et financières seront faits en Euro mais traduits en Franc.

Dans la vie quotidienne, les particuliers pourront payer au choix en Franc ou en Euro.

Les contribuables continueront à payer leur impôt en Francs jusqu’au 31 décembre 2001.

Le 1er janvier 2002 tous les placements qui auraient pu rester en Francs seront automatiquement convertis en Euro.

Entre le 1er janvier et le 30 juin 2002, les pièces et billets en monnaie nationale seront retirés. A partir du 1er juillet 2002, les monnaies nationales n’existeront plus et l’emploi de l’Euro sera définitif.

Le but de cet article n’est pas de s’étendre sur la pertinence des critères de Maestricht ni sur l’opportunité des efforts quelques fois gigantesques qui auront été faits par les Etats candidats pour se qualifier au point que la vie économique, politique et sociale de ces Etats aura été conditionnée par le souci de satisfaire ces critères.

Il n’est pas d’avantage de souligner les multiples difficultés techniques que posera le passage à l’Euro et la coexistence transitoire entre l’Euro et les monnaies nationales.

Il en résultera quelques difficultés d’adaptation et quelques maux de tête pour les particuliers, des coûts importants pour les entreprises et en particulier pour les entreprises financières et une énorme rente pour les informaticiens.

Notre but sera donc de réfléchir aux conséquences que la monnaie unique aura, une fois entrée dans les faits et dans les mœurs, pour les pays concernés et cela essentiellement au travers de l’influence qu’elle exercera sur le comportement des agents économiques, influence dans laquelle la psychologie tiendra bien sûr un très grand rôle.

Comme l’a dit récemment Monsieur Raymond BARRE, une nouvelle monnaie est un événement exceptionnel, qui s’est produit rarement dans l’histoire.

Il en résultera des moments passionnants, éprouvants, mais qui pourront donner à tous le sentiment de participer à un événement historique.

LES FONCTIONS DE L’EURO

La science économique nous enseigne que la monnaie remplit trois fonctions que l’Euro sera donc amené à accomplir :

Instrument d’échange

Tout d’abord la monnaie est un instrument d’échange dont la valeur est reconnue par tous et qui peut être utilisée par tous.

La monnaie ne peut jouer ce rôle qu’à l’intérieur de la communauté de paiement où elle est universellement acceptée.

Le régime de l’étalon or avec l’usage de l’or lui-même avait permis d’élargir les dimensions de cette communauté de paiement aux dimensions de l’Univers au XIXème siècle.

Le XXème siècle avait réduit au niveau national l’étendue des communautés de paiement, sauf en ce qui concerne le Dollar (et à un degré moindre et temporairement la Livre Sterling), qui se sont établies en monnaie de règlement mondial tout en restant des monnaies nationales.

L’Euro deviendra la monnaie de règlement au sein d’une communauté plus peuplée que les Etats-Unis d’Amérique (plus de deux cent quatre vingt dix millions d’habitants si on ne retient que les onze Etats qui adopteront l’Euro dès le début, plus de trois cent soixante dix millions pour l’Union Européenne dans ses limites actuelles contre deux cent soixante trois millions d’américains) et beaucoup plus riche que les Etats asiatiques qui dépassent l’Europe en nombre d’habitants.

L’Euro deviendra-t-il pour autant une monnaie de règlement mondial comme le Dollar ? Il est sans doute trop tôt pour le dire, mais il s’agit d’une question fondamentale.

Instrument de mesure

La monnaie sert également d’instrument de mesure des valeurs. Elle permet de mesurer la valeur relative des biens les uns par rapport aux autres, c’est-à-dire les prix.

Cette fonction est fondamentale dans la mesure où l’unité monétaire commune crée une échelle de valeurs unique et permet les comparaisons.

Les différences de prix pour un même produit ou un même service deviennent immédiatement perceptibles à n’importe quel individu dès lors que les prix sont exprimés dans le même instrument de mesure, alors que des monnaies différentes, donc des instruments de mesure différents, obscurcissent la comparaison, même si la règle de trois est une opération arithmétique facile.

L’entrée en vigueur de l’Euro fera que tous les agents économiques de la zone Euro auront le même instrument de mesure, ce qui est capital.

Réserve de valeur

Enfin, la monnaie est un instrument de réserve qui permet de dissocier la perception d’un revenu et sa dépense. Elle donne à chaque individu une liberté qui n’est pleinement assurée que si la monnaie conserve sa valeur, c’est-à-dire son pouvoir d’achat dans le temps.

La stabilité de l’Euro est donc un élément essentiel pour que ce rôle soit correctement rempli. Mais on pourra compter pour cela sur la Banque Centrale Européenne dont ce sera la fonction essentielle et qui jouira de l’indépendance nécessaire pour l’assumer.

Dans les relations internationales, il est également nécessaire qu’il existe un instrument de réserve communément accepté, rôle qui est aujourd’hui joué par le Dollar et qui peut-être le sera aussi par l’Euro.

Le but de la Banque Centrale Européenne sera en tout cas que l’Euro soit une monnaie stable et forte susceptible donc de jouer ce rôle de réserve de valeur au niveau international.

Instrument de politique économique

A ces fonctions traditionnelles, inhérentes à la définition même de la monnaie, s’est ajouté, au fur et à mesure que les Etats se sont affirmés et ont multiplié leurs interventions dans le domaine de l’économie, une quatrième fonction, celle d’instrument de la politique économique de l’Etat, quelquefois développée au détriment des trois autres.

Notons le tout de suite, cette dernière fonction de la monnaie que certains jugeront indispensable et d’autres perverse, ne sera pas remplie par l’Euro dont le principe fondateur sans doute le plus essentiel est l’indépendance de la Banque Centrale par rapport au pouvoir politique

En revanche, les trois fonctions traditionnelles de la monnaie seront à l’intérieur de l’Union Européenne ou du moins dans la majeure partie de celle-ci, remplies dans un plus ou moins proche avenir par l’Euro et non plus par les monnaies actuelles.

Une seule monnaie se substituera aux onze et, peut-être un jour, quinze monnaies aujourd’hui en circulation.

Quelles seront les conséquences de cette substitution pour les agents économiques, c’est-à-dire pour les ménages, pour les entreprises et pour les administrations et en premier lieu les Etats ?

 

LES MENAGES ET L’EURO


Les ménages jouent, en dehors de la vie professionnelle de leurs membres, deux fonctions économiques essentielles : ils consomment et ils épargnent.

Qu’est-ce que l’Euro va changer dans leur comportement de consommation et l’affectation de leur épargne ?

LES EFFETS SUR LA CONSOMMATION

Tous les consommateurs des pays membres de l’Euro auront une échelle de valeur commune. Le prix d’un même produit sera exprimé dans la même monnaie d’un bout à l’autre de l’Europe.

Des prix comparables dans toutes les zones Euro

Or, aujourd’hui il est évident qu’un même produit a des prix réels très différents d’un pays à un autre. L’exemple, peut-être le plus caricatural mais aussi le plus instructif, est celui des véhicules automobiles. Un même constructeur vend la même voiture à un prix différent selon les pays, généralement moins cher à l’étranger que chez lui, et cela non pas au hasard mais par une volonté très consciente de s’approprier la rente du consommateur. Il adapte ainsi le prix de son produit au niveau de vie et de revenus de la population dans laquelle il cherche à le vendre. Ce n’est pas un hasard si le prix des voitures automobiles est moins élevé au Portugal qu’en France, même si leur coût de production a été le même.

Pendant longtemps, les consommateurs ne se sont pas rendus compte de cette différence de prix, parce qu’ils étaient mal informés sans doute mais surtout parce que l’existence d’unités de mesure différentes ne rendait pas la comparaison et le rapprochement évidents.

Il a fallu que des intermédiaires cherchent à exploiter cette différence de prix pour que les particuliers en prennent conscience.

Bien entendu, les consommateurs qui ainsi ne subiront plus l’illusion monétaire ne seront pas toujours à même d’acheter n’importe quel produit là où il est le meilleur marché. L’Euro ne fera pas disparaître les distances et la zone géographique dans laquelle les ménagères feront leurs courses quotidiennes restera forcément limitée.

Les achats faits à l’étranger à l’occasion des vacances garderont un caractère marginal. La capacité des coffres de voitures est limitée. Mais cela est déjà beaucoup moins vrai pour les frontaliers qui pourront comparer les prix des produits chez eux et dans la région frontalière du pays voisin et organiser leurs achats en conséquence.

Les ressortissants des petits pays qui ne sont jamais très éloignés d’une frontière seront particulièrement favorisés par l’Euro. Pour les habitants du centre de la France, ce sera plus difficile.

Des exemples existent déjà et sont significatifs : Que l’on songe par exemple aux anglais qui empruntent le Ferry ou le Tunnel sous la Manche pour venir acheter dans les supermarchés de Calais ou de Boulogne des marchandises trop taxées en Angleterre, aux italiens qui viennent faire leurs achats de produits alimentaires dans les supermarchés de la région niçoise et aux français qui achètent leurs vêtements, leurs chaussures et leurs bijoux sur les marchés italiens.

Des différences de prix de 20 ou 30 % sur des marchandises coûteuses que l’on a l’occasion d’acheter normalement que peu de fois dans la vie peuvent justifier des déplacements relativement importants.

De nouvelles façons de faire son marché

La vente par correspondance est certainement appelée à se développer et permettra aux européens de disposer partout des mêmes produits dont la valeur sera exprimée dans la même monnaie. Une concurrence accrue entre les entreprises de ce secteur qui étendront leur champ d’activité à l’ensemble de l’Europe entraînera certainement des regroupements et des disparitions.

De nouveaux réseaux commerciaux, peut-être de nouvelles professions vont apparaître, qui joueront sur les écarts de prix pour mettre à la disposition de tous les consommateurs européens des produits achetés là où ils seront les moins chers.

Bien plus, l’apparition de l’Euro va se conjuguer avec le développement explosif d’Internet. Ainsi les consommateurs disposeront chez eux d’une extraordinaire vitrine dont les prix seront exprimés dans la même monnaie. Ils pourront ainsi comparer et choisir beaucoup plus simplement, beaucoup plus facilement, à tête reposée et dans une plus grande transparence. Nul doute que ce marché électronique va croître de manière exponentielle, avec toutes les conséquences que cela implique pour les producteurs et les distributeurs

L’Euro aura-t-il le même effet en ce qui concerne le prix des prestations de services que pour celui des marchandises ?

Il faut sans doute distinguer ici les prestations de services qui ne supposent pas un contact quotidien entre le fournisseur et le bénéficiaire de la prestation des prestations de services de la proximité. Celles-là seront sans doute beaucoup moins affectées.

Un consommateur fera rarement plusieurs dizaines de kilomètres pour une coupe de cheveux, même s’il a pu se rendre compte que le coiffeur de son quartier est plus cher que ceux qui coupent les cheveux de l’autre côté de la frontière. Il n’appellera pas un médecin étranger même si celui-ci est moins cher que son médecin de famille habituel. Par contre, certaines prestations de services peuvent être rendues à distance, et celles-là seront sans doute extrêmement concernées par la nouvelle donne monétaire.

Enfin, les ménages seront de plus en plus incités à faire du tourisme à l’étranger, au sein de la zone ayant adopté l’Euro. La contrainte psychologique et matérielle représentée par le change des espèces ayant disparu, les voyageurs éprouveront un sentiment de facilité et de liberté qu’ils n’avaient pas. De plus ils ne subiront plus le coût du change, qui est loin d’être négligeable pour des sommes relativement modestes, surtout en cas de voyage au travers de plusieurs pays.

Une pression à la baisse sur les prix

Ainsi, la recherche par les consommateurs du vendeur offrant le meilleur prix, et cela au sein d’un marché très vaste, amènera probablement les vendeurs à améliorer leur offre et à rapprocher leurs prix du prix le plus bas du marché.

En bref, la concurrence au sein de l’Europe ne peut que se développer et le marché ne peut que tendre à s’unifier et par là même à devenir de plus en plus concurrentiel.

Il ne peut y avoir un véritable marché unique tant qu’il n’y a pas une monnaie unique qui est nécessaire à la transparence du marché. La monnaie unique est ainsi un élément indispensable et indissociable du marché unique.

Un instrument de mesure commun est indispensable pour qu’un marché puisse fonctionner correctement. Inversement, la monnaie unique n’est-elle pas indispensable pour que les consommateurs puissent tirer tous les avantages du marché unique ?

En passant d’un raisonnement micro-économique à un raisonnement macro-économique ne peut-on pas considérer qu’une monnaie unique, et la concurrence accrue qu’elle va générer, auront pour effet d’égaliser les prix vers le bas et donc de jouer un rôle anti-inflationniste pour le plus grand profit des consommateurs ?

L’Euro sera ainsi une monnaie forte et une monnaie apte à jouer le rôle de réserve de valeurs.

L’obstacle de la TVA et des droits indirects

Un élément important des prix à la consommation réside dans la TVA et les droits indirects pour lesquels les différences demeurent importantes d’un pays à l’autre. L’existence d’une monnaie commune rendra ces différences plus apparentes et quelques fois insupportables. Une harmonisation des taux d’imposition au niveau européen est donc sans doute indispensable pour éviter une délocalisation des achats et donc une perte fiscale pour les Etats qui ont les taux les plus élevés. La maxime « trop d’impôts tue l’impôt » trouvera une nouvelle occasion de s’appliquer.

Les habitudes de consommation des ménages, leur manière d’acheter sont donc appelées à changer. Sans doute ce changement prendra-t-il un peu de temps, compte tenu du poids des habitudes acquises mais il est inévitable.

LES EFFETS SUR L’EPARGNE

En ce qui concerne les épargnants, la conséquence la plus évidente et la plus immédiate de l’Euro sera que ceux-ci ne risqueront plus de perte de change (mais ne pourront pas non plus bénéficier d’un gain de change) en plaçant leur argent dans un autre Etat membre.

Grâce à la libre circulation des capitaux, l’épargnant européen peut aujourd’hui sans aucun problème acheter des actions d’une société étrangère, mais la plus-value qu’il peut réaliser sur ce titre doit être corrigée de l’évolution relative des monnaies si bien que dans certains cas un gain peut se transformer en perte ou inversement.

Un seul marché des capitaux en Europe

L’Euro et les réformes techniques qui vont l’accompagner unifieront le Monde Boursier européen même s’il subsistera des Bourses dans chaque Etat membre. Désormais, l’épargnant en actions ne diversifiera plus ses placements en fonction des pays mais en fonction des secteurs économiques. Il n’arbitrera plus entre les actions françaises et allemandes mais entre, par exemple, Royal Dutch et Total.

L’épargnant bénéficiera d’une plus grande transparence des comptes qui lui permettra de mieux apprécier la valeur d’une société dans toute la zone Euro et aura en face de lui une offre beaucoup plus vaste et diversifiée de produits financiers. Les cours de toutes les valeurs de la zone, cotées sur plusieurs Bourses nationales étant exprimés dans la même monnaie, des différences même marginales ne seront plus possibles et les arbitrages d’une Bourse à une autre disparaîtront.

L’impact de l’Euro sera tout aussi fondamental pour les placements à revenu fixe. Jusqu’à présent l’épargnant qui a le choix entre une obligation française et une obligation étrangère, doit considérer non seulement l’intérêt nominal, mais également se demander quelle sera la valeur de la monnaie du pays de l’émetteur de l’obligation par rapport à celle de sa monnaie nationale au moment où l’obligation sera remboursée ou vendue. Il devra également se préoccuper de l’évolution divergente des taux d’intérêt concernés bref, tenter de maîtriser des paramètres dont chacun à un degré d’incertitude élevé. Ainsi, son choix risque de s’apparenter davantage à un pari qu’à un calcul rationnel.

Avec l’avènement de l’Euro, le marché obligataire de l’Europe sera unifié car il n’y aura plus de risque de change. Les différences de taux d’intérêt pour des emprunts obligataires de même durée ne refléteront plus que la différence de confiance que l’ensemble des épargnants feront aux émetteurs. En définitive le marché obligataire européen pourra servir de refuge aux capitaux du monde entier comme c’est le cas pour le marché obligataire américain. Les taux d’intérêt en seront et en sont déjà affectés dans le sens de la baisse.

Il est probable que des émetteurs plus nombreux pourront venir sur le marché obligataire et que se développeront des émissions d’obligations venant d’émetteurs moins connus -donc davantage risquées- mais mieux rémunérées que les autres.

La fin des particularismes en matière d’épargne et de placements

Beaucoup de réglementations nationales en matière de Bourses, de Banques, d’Etablissements de crédit, de Compagnies d’assurances devraient être revues et ces révisions modifieront bien des habitudes voire des choix de placement de la clientèle.

Ainsi, en France l’interdiction de rémunérer les comptes à vue devra disparaître car elle n’existe pas ailleurs en Europe. En revanche, certains services bancaires et notamment les chèques deviendront payants alors qu’ils ne le sont pas aujourd’hui. On peut cependant espérer que la concurrence accrue entre les Banques et les efforts de productivité et d’adaptation aux besoins du client que cette concurrence rendra inévitables limiteront ces coûts pour les clients. En tout cas, ceux-ci auront de plus en plus intérêt à s’informer, à mettre les établissements bancaires en concurrence et à choisir celui qui, dans leur cas particulier, fournit les meilleurs services au plus juste prix.

Certaines formes de placements, dont la particularité est d’être réservés par la loi à certains réseaux d’avoir leur rémunération fixée non par le marché mais par les pouvoirs publics et quelques fois d’être subventionnés par l’Etat, devront certainement évoluer ; c’est le cas par exemple du Livret A des Caisses d’Epargne, du Livret Bleu du Crédit Mutuel, du Livret Jeune, des CODEVI, des comptes et plans d’épargne logement. Etc. Ce sera pour le public, particulièrement attaché à ces produits, une véritable révolution, déjà une réforme des Caisses d’Epargne est annoncée mais ce ne sera sans doute qu’une première étape.

Le marché de l’assurance vie, autre placement favori des français, changera de dimension et sers davantage diversifié et concurrentiel.

Dans un tel contexte, il sera aussi difficile à la France de continuer à différer la création de fonds de retraite par capitalisation qui existent ailleurs en Europe et dans le monde, ne serait ce que pour éviter que la majorité du capital des sociétés françaises cotées passe dans les mains de fonds de pension étrangers.

L’investissement immobilier des ressortissants d’un Etat de l’Europe dans un autre subiront un sérieux coup de fouet et la France est sans doute l’Etat le mieux placé pour en profiter. Il faudrait cependant songer à réduire les droits de mutation qui sont les plus élevés d’Europe et souvent de loin.

Vers une harmonisation de la fiscalité de l’épargne

Bien entendu, une monnaie unique rendra encore plus facile la délocalisation de l’épargne au sein de l’Europe et fera ressortir encore mieux les différences de fiscalité touchant les revenus de l’épargne, les gains en capital ainsi que la détention et la transmission du patrimoine.

Une harmonisation de la fiscalité de l’épargne est donc indispensable. Il ne faudra pas toutefois qu’elle se fasse par un alignement sur les dispositions nationales les plus rigoureuses, si l’on veut éviter une fuite des capitaux en dehors de la zone euro

LES ENTREPRISES ET L’EURO


Pour les entreprises, les conséquences de l’Euro seront le pendant de ce qu’elles sont pour les ménages.

UN MARCHE PLUS CONCURRENTIEL

Les entreprises françaises vont désormais opérer aussi bien en aval, pour les produits qu’elles vendent, qu’en amont pour les biens de consommation intermédiaires ou d’investissement qu’elles achètent sur un marché européen qui sera vraiment unique avec une monnaie unique.

La fin du risque de change en Europe

Le risque de change qui pouvait affecter les décisions d’achat et de vente sur le marché d’un autre Etat candidat à l’Euro ainsi que les décisions d’investissement ou de délocalisation dans un autre Etat, et le coût afférent à ce risque disparaîtront complètement. Les chances de gain pour des raisons purement monétaires également, mais c’est beaucoup moins important.

Dès lors que les prix des biens et services seront, au sein de la zone Euro, mesurés par le même étalon monétaire et qu’il n’y aura plus de risque de change, la concurrence par les prix pourra jouer complètement et de manière transparente. Il en résultera probablement une pression sur les prix dans le sens de la baisse, qui sera favorable aux consommateurs mais obligera les entreprises européennes à de plus grands efforts de productivité.

La course à la productivité

Les entreprises ou les pays qui ne feront pas de tels efforts ne pourront plus s’en sortir comme auparavant grâce aux dévaluations compétitives de leur monnaie.

Bien entendu, toutes les entreprises ne seront pas également touchées. Celles qui ne s’adressent qu’à une clientèle de proximité, notamment dans le domaine des prestations de services ou qui sont protégées par des coûts de transport importants où encore le bâtiment seront peu affectées directement mais ne devront pas ignorer les conséquences indirectes de l’Euro.

Les plus touchées seront celles qui fabriquent des produits de grande consommation, peu différenciés, de qualité standard et facilement comparables. Pour ces produits, la comparaison se fait essentiellement par les prix et l’Euro aura donc un impact décisif.

Les agriculteurs ne subiront plus les conséquences des variations de change qui faussaient le fonctionnement du Marché Commun agricole, mais devront s’adapter à un marché encore plus concurrentiel.

Les entreprises qui travaillent dans le secteur du tourisme devraient bénéficier de l’Euro, puisque ce secteur est appelé à un avenir prometteur. Cependant les touristes pourront comparer plus facilement le prix des prestations qui leur sont proposées dans les différents pays, et choisir leur destination en conséquence, même si bien d’autres facteurs interviennent dans ce choix. La rente liée à la sous évaluation de certaines monnaies disparaîtra. La recherche du meilleur rapport qualité prix sera encore plus essentielle.

En bref, le marché du tourisme deviendra de plus en plus concurrentiel tant pour les pays que pour les intervenants sur le marché. Les organisateurs de voyages devront sans doute changer d’échelle, souvent se restructurer ou disparaître.

Déjà, on voit des tours opérateurs étrangers acheter des résidences en France et s’y livrer à des activités proches de l’hôtellerie, en détachant du personnel en France, tout en évitant largement la fiscalité et les charges sociales françaises. De tels phénomènes ne peuvent que se multiplier avec l’Euro.,

La nouvelle donne favorisera probablement les grandes entreprises en permettant aux économies d’échelle de jouer pleinement leur rôle. De plus, celles-ci, pour lesquelles la dimension européenne est déjà une réalité de tous les jours prise en compte dans toutes les décisions, bénéficient d’un accès au crédit et aux marchés financiers plus large et moins coûteux et ont l’habitude déjà prise de travailler sur un marché très large. Cependant, les petites entreprises qui auront su se spécialiser sur un créneau porteur tireront aussi leur épingle du jeu.

La spécialisation sur un marché national ne sera plus possible, mais les spécialisations sectorielles pourront être renforcées. Les entreprises devront de plus en plus se préoccuper de la fidélisation d’une clientèle qui sera davantage volatile.

La concurrence par les dévaluations des monnaies au sein de l’Union étant devenue impossible, et la concurrence par les prix ayant abouti à ses effets ultimes, les entreprises chercheront sans doute à développer davantage une concurrence par la qualité et à différencier davantage leurs produits par rapport à ceux de leurs concurrents, en leur donnant des caractéristiques propres, réelles ou factices. Pour ce faire, la communication, la publicité joueront sans doute un rôle encore plus important.

Les entreprises devront être capables de changer l’échelle de leurs actions en ces domaines et de s’adresser à des clientèles dont les habitudes, les ressorts de consommation sont encore différents et qu’il faut donc toucher de manière différentes. Les agences de publicité et de communication auront donc beaucoup à faire, mais devront faire face à beaucoup de remises en cause.

DES RESTRUCTURATIONS INEVITABLES

Un vaste mouvement de restructuration du secteur productif est inévitable :

La concurrence accrue entraînera naturellement une sélection de plus en plus grande et la disparition des entreprises qui n’auront pas su s’adapter en choisissant les bons produits et en minimisant leur coût de production.

Une concentration accrue du secteur productif

Parallèlement, l’augmentation de la taille du marché doit entraîner une augmentation parallèle de la taille des intervenants sur ce marché.

On assistera ainsi à un phénomène de concentration qui jusqu’à présent a surtout joué sur le plan national mais qui se produira sur le plan européen. Il sera tout aussi normal de voir des entreprises d’Etats différents se livrer à des opérations de fusion, d’acquisition ou de scission que c’est le cas actuellement au sein d’un même pays.

A moyen terme, dans chaque secteur de l’économie, quelques grands groupes européens dont la nationalité réelle sera probablement difficile à déterminer et n’aura sans doute plus aucune importance domineront le marché à côté de PME dynamiques qui joueront sur la souplesse d’adaptation et sur leur spécialisation dans un domaine pointu mais qui ne pourront survivre qu’à condition de s’adapter non plus à un marché national mais à un marché européen.

Le secteur bancaire, qui paraît en retard dans ce domaine, notamment en France, sans doute à cause de ses réglementations spécifiques et de ses liens avec les pouvoirs étatiques, sera particulièrement affecté par ces restructurations, ainsi que nous le voyons déjà.

Les entreprises des différents Etats membres de l’Euro ne pourront plus tabler sur des variations de change, voire des manipulations monétaires pour combler les écarts de productivité avec leurs concurrents européens. Elles ne pourront plus compter que sur leurs propres efforts et sur leur faculté d’adaptation. Inversement, elles ne courront plus le risque que ces efforts soient compromis par une dévaluation de la monnaie des Etats de leurs concurrents.

En revanche, vis-à-vis des pays qui ne seront pas membres de la zone Euro, les entreprises de cette zone demeureront soumises au risque de change et aux effets des dévaluations monétaires compétitives. Mais l’importance des échanges avec les pays en dehors de la zone Euro déclinera sans doute par rapport à l’importance de ceux à l’intérieur de la zone Euro.

La dimension du marché unique rendra sans doute les entreprises européennes moins dépendantes par rapport aux marchés « étrangers » comme c’est le cas aujourd’hui des entreprises américaines. La valeur externe de l’Euro aura donc sans doute moins d’importance et sera un moins grand sujet de préoccupation que ce n’est le cas actuellement pour celle des monnaies nationales.

De plus, un marché unique doté d’une unité monétaire commune favorisera les investissements extra-communautaires en Europe ce qui ne peut que favoriser le développement économique mais accroître encore la concurrence.

Les sociétés des pays extérieurs à la zone et tout d’abord les sociétés américaines et asiatiques seront amenées à développer leurs filiales en Europe afin de profiter de tous les avantages de l’Euro et de prendre de l’intérieur une part croissante du marché.

Les entreprises européennes pourront s’appuyer sur un marché financier beaucoup plus large, tant pour accroître leurs fonds propres par augmentation de capital que pour leurs emprunts, notamment obligataires. Cet élargissement du marché favorisera sans doute les très grandes entreprises qui sont les plus connues du public en dehors même de leur Etat d’origine et auront donc davantage de facilités pour des appels publics à l’épargne dans toute la zone Euro. Les concentrations et la croissance externe seront favorisées également de ce fait.

Une mobilité plus grande pour la recherche du meilleur environnement

La monnaie unique permettra de mettre en exergue toutes les disparités institutionnelles qui affectent l’environnement des entreprises et cela dans une totale transparence. Ainsi, les différences de prélèvements fiscaux et sociaux à la charge des entreprises entre les Etats membres, qui étaient en partie occultées par l’absence d’une unité de mesure commune et en partie compensées par des variations de change apparaîtront avec une grande clarté.

Les entreprises pourront tenter de s’y adapter en délocalisant dans un autre Etat de l’Union tout ou partie de leurs activités afin de les soumettre à un régime fiscal et social plus favorable.

La récente tentative de petits commerçants et d’artisans français d’échapper aux charges fiscales et sociales qui les frappent par une délocalisation au Royaume Uni, quoique maladroite et vouée à l’échec par l’ignorance de règles fiscales et sociales élémentaires est très significative. Elle montre que l’idée de délocalisation est dans l’air et ne touche pas que les grandes entreprises mais aussi nombre de travailleurs indépendants qui à tort ou à raison s’estiment plus mal traités qu’ailleurs en raison des prélèvements obligatoires qu’ils subissent et qui sont de plus en plus sensibles au niveau de ces prélèvements.

Une mobilité plus importante de la main-d’œuvre et notamment des cadres s’avérera également indispensable. Les salariés pourront d’ailleurs eux-mêmes comparer plus facilement les rémunérations brutes qui leur sont proposées dans les différents Etats de l’Union, les prélèvements que ces Etats leur font subir et donc leurs rémunérations nettes. Ils pourront plus facilement se déplacer pour optimiser cette rémunération nette.

La compétition entre les entreprises pour recruter les collaborateurs les mieux qualifiés en sera accrue, et celles qui seront pénalisées par rapport à leurs concurrentes du fait de la lourdeur des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur les salaires des travailleurs qualifiés subiront une perte de compétitivité, soit qu’elles devront compenser ces charges supplémentaires par des salaires plus élevés, soit qu’elles devront limiter leur recrutement en quantité et surtout en qualité. De lourdes conséquences en résulteront pour le marché de l’emploi.

Une nécessaire harmonisation de l’environnement fiscal et social des entreprises

Pour éviter des distorsions concurrentielles trop considérables et des délocalisations généralisées, les Etats seront amenés, qu’ils le veuillent ou non, à harmoniser les conditions fiscales et sociales dans lesquelles travaillent leurs entreprises.

Ces distorsions et les réactions qu’elles suscitent sont d’autant plus graves qu’à celles nées de différences dans les fiscalités étatiques et les systèmes sociaux s’ajoutent celles engendrées par les différences peut être aussi importantes des fiscalités locales, au sein d’un même pays et à fortiori au sein de l’Europe.

Il ne faudra pas cependant que cette harmonisation n’aggrave le handicap que subissent les entreprises de l’Europe continentale par rapport au reste du monde, car s’il est vrai que la réalisation du marché unique et de la monnaie unique améliorera probablement les chances des entreprises européennes dans la compétition internationale en les ; dotant d’un vaste marché intérieur et en multipliant les économies d’échelle, le marché européen restera ouvert sur le monde et sera la cible privilégiée des entreprises américaine comme des asiatiques.

 

LES ADMINISTRATIONS ET L’EURO


Les administrations devront également s’adapter à la nouvelle donne créée par la monnaie unique européenne.

Ce sera sans doute difficile pour des organismes qui, plus que d’autres, répugnent au changement et qui avaient peu de raisons de changer puisqu’elles ne subissent pas un environnement concurrentiel.

Mais la concurrence accrue qui régnera au sein de l’Europe obligera les administrations elles-même à faire des efforts de productivité.

DAVANTAGE DE LIBERTE POUR LES AGENTS ECONOMIQUES

Le pouvoir de contrainte de l’Etat et des administrations sur les agents économiques ne pourra que se réduire dès lors que ceux-ci pourront choisir plus facilement et en toute transparence leur résidence, leur lieu de travail, le lieu de leurs achats, celui de leurs investissements, celui de leurs placements.

Les agents économiques trouveront sans doute dans le marché unique doté d’une monnaie unique un plus grand espace de liberté et de responsabilité mais peut être moins de protection que dans le cocon des Etats nationaux.

Comme nous l’avons vu tout au long de ces pages, la monnaie unique supposera nécessairement une harmonisation des prélèvements sociaux et fiscaux au sein de la zone Euro, tant en ce qui concerne les impôts sur la dépense, que les impôts sur les entreprises et les prélèvements directs sur les ménages.

Il deviendra impossible à un Etat membre de la zone de faire « bande à part » en ayant un niveau de prélèvements obligatoires trop différent de celui des autres.

Désormais, la fiscalité et les autres prélèvements obligatoires constitueront le principal sinon le seul facteur de distorsion au sein du marché unique. Le bon fonctionnement du marché unique suppose donc que ce facteur de distorsion soit sinon éliminé, du moins rendu moins nocif.

La politique sociale, le droit des entreprises, celui de la consommation, devront également être harmonisés ou rapprochés pour éviter des distorsions de concurrence qui deviendront insupportables.

MOINS DE MOYENS D’INTERVENTION POUR LES ETATS

Les Etats Membres sont ainsi appelés à perdre ou du moins à voire fortement limités des pans entiers de leur souveraineté. D’abord’ bien sur, leur souveraineté sur la monnaie et donc en partie sur le crédit.

Ensuite, une bonne partie de leur souveraineté fiscale, puisque nous l’avons vu un fonctionnement correct de la monnaie unique suppose une harmonisation de la fiscalité et de leur souveraineté budgétaire en raison de la double contrainte qui pèsera sur le budget. En effet les Etats ne pourront plus à leur gré jouer sur les déficits publics et ils pourront beaucoup moins jouer sur les recettes fiscales, dés lors qu’il y aura harmonisation de la fiscalité. Dés lors le volume global de leur dépense leur sera en grande partie imposée, et si l’on considère que de plus certaines dépenses sont réputées à tort ou à raison incompressibles, leur marge de manœuvre déjà faible deviendra quasiment nulle. D’où sans doute la nécessité de révisions déchirantes concernant les droits acquis, la recherche d’une plus grande productivité, d’une plus grande souplesse voire d’une plus grande flexibilité dans les administrations et peut être, ce que certains redoutent, la remise en cause du fonctionnement, voire de l’importance des services publics.helle de valeur commune

Les instruments dont disposent les Etats pour intervenir dans l’économie et promouvoir l’équilibre économique : la monnaie, le crédit, l’impôt, le budget, la dépense publique vont ainsi largement leur échapper et on peut s’interroger sur les conséquences de cet abandon.

La perte de souveraineté que subiront ainsi les Etats nationaux ne pourra être compensée, mais seulement en partie que par une plus grande cohésion politique de l’Europe et l’adoption d’une stratégie économique commune, notamment vis-à-vis de l’extérieur.

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Ainsi l’Euro sera une véritable révolution, qui conjuguera ses effets avec ceux des nouvelles techniques, des nouveaux moyens de communications et des nouveaux comportements qui tous tendent à abolir les frontières et contribuent à la mondialisation de l’économie.

C’est tout d’abord parce qu’il aura des effets multiples sur le comportement des agents économiques que l’Euro aura des incidences économiques essentielles. Et c’est d’abord parce que prés de trois cent millions d’européens et sans doute un jour quatre cent millions ou plus auront une unité de mesure, donc une échelle de valeur commune, que leur comportement va changer. L’Europe sera vraiment un marché unique et tous les européens la considéreront ainsi. Les possibilités et les facilités de choix pour les consommateurs seront multipliées et les prix durablement influencés à la baisse. Cela ne veut pas dire qu’il y aura déflation, car cette nouvelle donne doit aussi être un facteur de croissance.

Les entreprises devront s’adapter à ces nouveaux comportements. Celles qui pourront et qui sauront saisir les nouvelles opportunités ont sans doute un magnifique avenir devant elles; les autres risquent de péricliter voire de périr. Bien entendu, toutes les entreprises ne sont pas égales devant l’Euro. Toutes ne sont pas également concernées, du fait de la nature de leur activité. Mais surtout toutes n’ont pas les mêmes moyens et la même capacité de s’y adapter en d’en tirer profit. L’Euro renforcera la concurrence et cela profitera aux plus forts et sera facteur de restructuration et de concentration.

Pour tous les agents économiques il y aura un changement d’échelle et pour beaucoup des économies d’échelles. Le risque de change dans toute l’Europe de l’Euro disparaîtra, les coûts de change également.

Les Etats nationaux perdront une grande partie de leurs moyens d’action dans le domaine de l’économie. S’ils ne veulent pas laisser celle ci livrée à elle même, ils devront coordonner leurs politiques économiques au niveau européen et harmoniser de nombreux pans de leurs législations. Cela ne sera sans doute possible que si l’Europe politique progresse elle aussi.

En conclusion, nous soulignerons l’importance de la dimension temporelle dans cette révolution que constituera le passage à l’Euro.

Cette dimension est d’autant plus importante que l’Euro aura d’abord des effets psychologiques et agira par son influence sur les comportements.

Tous les européens ne réagiront pas avec la même rapidité à l’instauration de l’Euro. Les citoyens des petits pays seront sans doute les plus rapides car par la force des choses, ils s’ont depuis longtemps habitués à franchir les frontières, à ne plus voire en celles ci des obstacles et à raisonner à une échelle plus large que celle de leur pays. Pour les citoyens des grands Etats, l’adaptation sera sans doute plus difficile, sauf pour une minorité déjà habituée aux horizons européens et à l’échelle de l’Europe.

Les effets de ce passage seront-ils brutaux ou au contraire étalés dans le temps ? Les agents économiques s’adapteront t-ils plus ou moins rapidement ?. Quelle sera l’importance des pesanteurs psychologiques et sociologiques?

Selon la réponse donnée à ces questions, les incidences économiques de l’Euro seront plus ou moins fortes, plus ou moins rapides, plus ou moins déstabilisantes. Mais il ne fait pas de doute qu’elles seront décisives pour l’Europe du siècle prochain et que nous n’avons pas fini d’en mesurer toute la portée, alors que bien d’entre elles nous échappent encore.

L’Euro sera dans quelques mois une réalité pour près de trois cent millions d’européens dont il sera une monnaie –et dans quatre ans la seule monnaie- et pour le monde entier. Il a quantité d’aspects positifs, que les efforts qu’il a rendu nécessaires et que la conjoncture économique des dernières années n’a pas facilités ne doivent pas occulter, alors que l’on en recueille les premiers fruits. L’Euro pose cependant un monde de questions et de problèmes dont beaucoup ont jusqu’à présent été peu étudiés, voire même négligés, tant les esprits étaient occupés voire accaparés par la réalisation des critères de convergence. Nous en avons abordé rapidement quelques uns. En tout état de cause une réflexion s’impose, qui devra être approfondie dans les mois et les années qui viennent et qui sera éclairée par les premières expériences nées de l’entrée en vigueur de cette monnaie.

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