LUXEMBOURG : LA FISCALITE DES DROITS INTELLECTUELS

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Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 160

(Année 2009)

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Jus in re incorporali par excellence, les droits intellectuels visent à protéger des créations intellectuelles ou de l’esprit, des biens incorporels, non palpables, intangibles ; ils confèrent au créateur un droit exclusif sur l’utilisation de sa création pendant une certaine période.

Traditionnellement, les droits intellectuels sont répartis en deux grandes catégories : les droits de propriété littéraire et artistique, d’une part, ainsi que les droits de propriété industrielle, d’autre part.

Si la propriété littéraire et artistique s’intéresse au droit d’auteur, ainsi qu’aux droits voisins du droit d’auteur (les droits des artistes-interprètes, des producteurs de musique, de films, de bases de données, etc.), la propriété industrielle comprend quant à elle le droit des créations industrielles (brevets d’invention, dessins et modèles) et le droit des signes distinctifs (marques et appellations d’origine).

Associée aux notions de progrès technique et d’innovation, la propriété intellectuelle se devait d’être complétée par une législation fiscale favorable, ce à quoi le Luxembourg s’est attelé.

LA MODIFICATION DE LA LOI CONCERNANT L’IMPOT SUR LE REVENU : L’INTRODUCTION D’UNE EXONERATION PAR L’ARTICLE 50BIS

1. LES DROITS INTELLECTUELS VISES PAR L’ARTICLE 50BIS

Par les lois des 21 décembre 2007[1] et 19 décembre 2008[2], qui sont venues modifier la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») en y insérant un article 50bis, le Luxembourg a introduit une exonération, à hauteur de 80%, des revenus générés par les droits d’auteur sur les logiciels informatiques, les brevets, les marques de fabrique ou de commerce, les noms de domaine[3] ainsi que par les dessins et les modèles.

L’exonération des revenus est donc accordée à une liste limitative de droits intellectuels.

1.1. Les droits d’auteur sur les logiciels informatiques

Un logiciel peut être défini comme un ensemble de programmes et de procédures nécessaires au fonctionnement d’un système informatique.

Les notions de logiciel informatique et de programme d’ordinateur sont identiques dans la langue courante, à la nuance près que la notion de logiciel peut être entendue plus largement, comme étant composée de plusieurs programmes et contenant des données.

La notion de « droit d’auteur sur des logiciels informatiques » n’est pas définie par le nouvel article 50bis L.I.R., malgré la volonté de la Chambre de Commerce, exprimée dans son avis sur le projet de loi. Il convient ainsi de se référer à la loi du 18 avril 2001 sur les droits d’auteur, les droits voisins et les bases de données, qui définit lesdits droits d’auteur comme des droits protégeant les œuvres littéraires et artistiques originales, quels qu’en soient le genre et la forme ou l’expression, y compris les photographies, les bases de données et les programmes d’ordinateur. Ils ne protègent pas les idées, les méthodes de fonctionnement, les concepts ou les informations en tant que tels.

La protection des logiciels informatiques reprend à son compte certains principes essentiels du droit d’auteur appliqué aux œuvres traditionnelles.

Pour qu’un programme d’ordinateur soit protégé par le droit d’auteur, il faut qu’il s’agisse d’une création intellectuelle propre à son auteur et qu’elle ait pris forme. Il doit donc s’agir d’une œuvre originale. L’appréciation de l’originalité d’un logiciel passe principalement par l’analyse de son « code-source », c’est-à-dire de l’ensemble des instructions écrites dans un langage de programmation informatique[4].

Au niveau international, les programmes d’ordinateur sont protégés en tant qu’œuvres littéraires par la Convention de Berne du 9 septembre 1886.

A noter que le champ d’application du régime fiscal avantageux mis en place par l’article 50bis L.I.R. exclut les droits d’auteur autres que ceux liés à des logiciels informatiques.

1.2. Les brevets

La loi modifiée du 20 juillet 1992, relative au régime des brevets d’invention, énonce qu’une « invention peut faire l’objet d’un titre de propriété industrielle délivré par le Ministre et dénommé brevet, qui confère à son titulaire ou à ses ayants cause un droit exclusif d’exploitation ». Ne sont brevetables que les inventions nouvelles qui impliquent une activité inventive et susceptibles d’application industrielle.

Il est précisé que les découvertes, théories scientifiques et méthodes mathématiques, les créations esthétiques, les plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d’ordinateurs et les présentations d’informations, ne sont pas à considérer comme des inventions.

Un brevet confère un monopole temporaire sur une invention technique, valable à l’intérieur du ou des pays de dépôt du brevet.

En échange de cette protection, la description détaillée de l’invention fournie dans la demande de brevet est rendue publique.

Au Luxembourg, trois voies administratives distinctes permettent l’obtention de la protection d’une invention par la voie du brevet :

– le brevet national luxembourgeois, délivré par le Ministère de l’Economie et du Commerce Extérieur, Direction de la Propriété Intellectuelle ;

– le brevet européen désignant le Luxembourg, délivré par l’Office Européen des Brevets ;

– et le dépôt d’une demande internationale de brevet, traitée par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle.

1.3 Les marques de fabrique ou de commerce

L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle désigne la marque comme un signe distinctif qui indique que des produits ou services sont produits ou fournis par une personne ou une entreprise déterminée. Deux éléments essentiels caractérisent donc la marque : son caractère distinctif et l’indication de provenance qu’elle véhicule.

Concernant les marques de fabrique ou de commerce, il convient de s’en référer à la loi du 16 mai 2006, qui porte approbation de la Convention BENELUX en matière de propriété intellectuelle, signée à La Haye le 25 février 2005. A noter qu’il existe également une protection communautaire des marques[5].

La Convention BENELUX opère une distinction entre les marques dites « individuelles » et celles dites « collectives ».

Ainsi, sont considérés comme marques individuelles les dénominations, dessins, empreintes, cachets, lettres, chiffres, formes de produits ou de conditionnement et tous autres signes susceptibles d’une représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une entreprise. Un nom patronymique peut tout à fait servir de marque.

A l’inverse, sont considérés comme marques collectives tous signes ainsi désignés lors du dépôt et servant à distinguer une ou plusieurs caractéristiques communes de produits ou services provenant d’entreprises différentes, qui utilisent la marque sous le contrôle du titulaire.

En ce qui concerne la définition même des marques « de fabrique ou de commerce », terminologie utilisée par l’article 50bis L.I.R., il est possible de préciser que les marques de fabrique garantissent une origine industrielle du produit, alors que les marques de commerce désignent celles qu’un distributeur appose sur les produits qu’il fabrique lui-même ou qu’il fait fabriquer. Souvent, les marques de commerce reprennent le nom de l’enseigne qui les commercialise.

Les marques de services tombent également sous le couvert de la loi. En effet, aujourd’hui, la grande majorité des marques enregistrées sont des marques de services, à tout le moins incluant une protection pour des services, tous secteurs confondus : transport, banque, assurance, etc.

Le premier ensemble de règles internationales de protection des marques date de la fin du XIXème siècle. Communément dénommé « système de Madrid », il regroupe un Arrangement et un Protocole ayant trait à l’enregistrement international des marques de fabrique ou de commerce.

Le Traité de Singapour sur le droit des marques, conclu le 28 mars 2006, envisage quant à lui de faciliter, au niveau international, les démarches à accomplir pour faire reconnaître et respecter le monopole d’utilisation d’une marque. Il complète et modernise également le Traité dit « de Genève » du 27 octobre 1994. Le Luxembourg a porté approbation des Traités de Singapour et de Genève, ainsi que de leurs Règlements d’exécution, par des lois du 28 novembre 2009.

1.4. Les noms de domaine

A la différence des autres droits intellectuels éligibles, la matière des noms de domaine n’est pas règlementée par une disposition légale particulière.

Techniquement, un nom de domaine est un masque sur une adresse IP (Internet Protocol) constituée par le numéro qui identifie l’ordinateur connecté à Internet. Le but du nom de domaine est de proposer un identifiant facilement mémorisable par l’utilisateur.

Au niveau supérieur se trouvent les noms de domaine de premier niveau (Top Level Domain), composés généralement de deux ou trois lettres telles que, par exemple, « .lu ». Sous ces TLD sont enregistrés les noms de domaine de second niveau (ex : « public.lu »).

Les noms de domaine sont gérés par l’intermédiaire d’un système de banques de données, relevant au niveau international d’un organisme à but non lucratif, l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers).

L’organisation, l’administration et la gestion d’un nom de domaine de premier niveau sont confiés à des registres ou offices d’enregistrement (registry). La supervision de la majorité des registres est assurée par l’autorité étatique respective mais l’organisation et le fonctionnement des divers registres varient sensiblement.

En tout état de cause, l’enregistrement d’un nom de domaine, son maintien dans le registre, sa radiation ou son transfert sont réglés dans les contrats conclus entre le titulaire du nom de domaine et l’office d’enregistrement, dont les dispositions reposent sur une charte publique.

Juridiquement, un nom de domaine peut être défini comme étant un nom distinctif permettant d’accéder à un site Internet sous lequel une personne physique ou morale présente ou commercialise des informations, des biens ou des services. Pour une entreprise, l’enregistrement et l’exploitation d’un nom de domaine représente donc un élément constitutif de sa politique de communication et de commercialisation.

1.5. Les dessins ou les modèles

Les dessins et modèles sont des titres spécifiques de propriété intellectuelle protégeant le design industriel.

Aux termes de la Convention BENELUX susmentionnée, « est considéré comme dessin ou modèle l’aspect d’un produit ou d’une partie de produit ». L’aspect d’un produit lui est conféré, en particulier, par les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture ou des matériaux du produit lui-même ou de son ornementation.

Néanmoins, ne sont pas comprises dans la définition des dessins ou modèles les caractéristiques de l’aspect d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique, ni celles qui doivent nécessairement être reproduites dans leur forme et leurs dimensions exactes pour que le produit dans lequel est incorporé ou auquel est appliqué le dessin ou modèle puisse mécaniquement être raccordé à un autre produit, être placé à l’intérieur ou autour d’un autre produit, ou être mis en contact avec un autre produit, de manière à ce que chaque produit puisse remplir sa fonction.

A côté de la protection BENELUX, il existe également une protection communautaire des dessins et modèles[6]. Il s’agit, comme c’est d’ailleurs le cas pour les marques, d’un système autonome d’enregistrement qui confère une protection uniforme sur tout le territoire de l’Union Européenne.

L’enregistrement international des dessins et modèles industriels est quant à lui régi par l’Arrangement de la Haye, dont le premier acte a été signé à Londres en 1934.

2. LE MECANISME D’EXONERATION

2.1. L’usage ou la concession de l’usage de droits intellectuels

Nous l’avons dit, en vertu du nouvel article 50bis L.I.R, alinéa 1er, tout revenu perçu en rémunération de l’usage ou de la concession de l’usage des droits de propriété intellectuelle susmentionnés est exonéré à hauteur de 80% de son montant net positif.

Est considéré comme revenu net « le revenu brut diminué des dépenses en relation économique directe avec ce revenu, y compris l’amortissement annuel ainsi que, le cas échéant, une déduction opérée pour dépréciation ».

Exemple 1 :

Supposons qu’une entreprise achète un droit intellectuel pour 80 000 euros et en concède ensuite l’usage à un tiers. Le droit est amorti linéairement sur 5 ans et la redevance annuelle perçue s’élève à 20 000 euros. Le traitement fiscal se présente comme suit :

2010 2011 2012 2013 2014 Somme
Actif  incorporel acquis
par l’entreprise 80 000
Charges de l’exercice

– Dotations aux amortissements

-16 000 -16 000 -16 000 -16 000 -16 000 -80 000
Produits de l’exercice
– Redevances 20 000 20 000 20 000 20 000 20 000 100 000
Résultat net 4 000 4 000 4 000 4 000 4 000 20 000
Montant exonéré 3 200 3 200 3 200 3 200 3 200 16 000
Base imposable 800 800 800 800 800 4 000
Impôts sur le revenu (28,59%) 1 144
Charge d’impôts rapportée au résultat net 5,72%

2.2. L’usage d’un brevet constitué par une société pour ses propres besoins

Aux termes de l’article 50bis, alinéa 2, lorsqu’un contribuable constitue lui-même un brevet et qu’il l’utilise dans le cadre de son activité, il bénéficie d’une déduction de la base imposable correspondant à 80% du revenu net positif qu’il aurait réalisé s’il avait concédé l’usage du brevet à un tiers.

C’est la rémunération fictive diminuée des dépenses en relation économique directe avec ce revenu, y compris l’amortissement annuel ainsi que, le cas échéant, une déduction opérée pour dépréciation, qui est en l’espèce à considérer comme revenu net.

Les dépenses restent intégralement déductibles.

Le champ d’application est limité aux brevets qui, par leur publicité, doivent permettre un contrôle plus aisé par l’Administration.

Cette déduction est accordée à partir de la date de dépôt de la demande de brevet. Il s’agit d’une mesure importante, puisque le revenu qui provient d’une invention spécifique peut entrer dans le champ d’application du régime fiscal de faveur sans avoir besoin d’attendre que les autorités compétentes aient délivré un certificat de brevet formel.

Si la demande de brevet venait à être refusée, la déduction antérieurement opérée devrait être ajoutée au bénéfice imposable de l’exercice d’exploitation au cours duquel le refus a été notifié au contribuable.

Exemple 2 :

Une entreprise développe en 2010 un brevet qu’elle met en valeur dans ses propres ateliers à partir de 2011. Le coût de revient du brevet se chiffre à 80 000 euros, amorti linéairement sur 5 ans. On sait qu’en cas de concession de son usage à un tiers, l’entreprise aurait pu obtenir une redevance annuelle de 20 000 euros. Cette situation est traitée comme suit :

2010 2011 2012 2013 2014 2015 Somme
Actif  incorporel créé
par l’entreprise 80 000
Charges de l’exercice
– Frais de développement -80 000 -80 000

– Dotations aux amortissements

-16 000 -16 000 -16 000 -16 000 -16 000 -80 000
Produits de l’exercice
– Production immobilisée 80 000 80 000
– Redevances (fictives) 20 000 20 000 20 000 20 000 20 000 100 000
Résultat net -80 000 84 000 4 000 4 000 4 000 4 000 20 000
Minoration de la base imposable par l’effet de la mesure fiscale 0 – 3 200 – 3 200 – 3 200 – 3 200 – 3 200 – 16 000

2.3. Le cas particulier des plus-values de cession des droits intellectuels

Le dernier avantage octroyé par le régime fiscal de faveur est explicité par l’alinéa 3 de l’article 50bis. Celui-ci énonce en effet que la plus-value dégagée lors de la cession d’un droit éligible est exonérée à hauteur de 80%.

Le montant exonéré est à diminuer à raison de la somme algébrique de 80% des revenus nets négatifs dégagés par le droit éligible au cours de l’exercice de la cession ou des exercices antérieurs, à moins que ces revenus nets négatifs aient fait l’objet d’une compensation par une écriture d’incorporation dans l’actif au titre d’une production immobilisée.

Par ailleurs, les pertes issues des droits de propriété intellectuelle (à savoir l’excès des dépenses en relation économique directe avec les droits intellectuels éligibles au régime de faveur sur les recettes de ces mêmes droits au cours d’un exercice donné) sont totalement déductibles fiscalement et peuvent donner lieu à une perte fiscale pouvant être déduite des autres catégories de revenus. Il est dans la logique du système que de telles pertes fiscales soient régularisées lors de la cession, avec plus-value, des droits de propriété intellectuelle concernés.

Exemple 3 :

On suppose qu’une entreprise achète un droit intellectuel pour 80 000 euros en 2010, amortissable sur 5 ans et rapportant une redevance annuelle de 20 000 euros. Sa mise en exploitation requiert des frais de personnel supplémentaires de 18 000 euros sur deux ans. L’entreprise revend le droit pour 50 000 euros après 5 ans. Le traitement fiscal de cette situation s’analyse comme suit :

2010 2011 2012 2013 2014 2015 Somme
Actif  incorporel acquis
par l’entreprise 80 000
Charges de l’exercice
– Frais de personnel -12 000 -6 000 -18 000
– Dotations aux amortissements -16 000 -16 000 -16 000 -16 000 -16 000 -80 000
Produits de l’exercice
– Redevances 20 000 20 000 20 000 20 000 20 000 100 000
– Produits de cession 50 000 50 000
Résultat net -8 000 -2 000 4 000 4 000 4 000 50 000 52 000
Pertes à régulariser 8 000 2 000 – 10 000 0
Base de l’exonération 0 0 4 000 4 000 4 000 40 000
Montant exonéré 0 0 3 200 3 200 3 200 32 000 41 600
Base imposable -8 000 -2 000 800 800 800 18 000 10 400
Impôts sur le revenu (28,59%) 2 973
Charge d’impôts rapportée au résultat net 5,72%

Il est rappelé que les articles 53 et 54 L.I.R. prévoient une neutralisation de certaines plus-values en permettant qu’elles soient réemployées sur un bien acquis en remplacement d’une immobilisation vendue. La dernière phrase de l’alinéa 3 de l’article 50bis L.I.R. vient exclure du bénéfice de l’exonération les plus-values neutralisées intégrées dans des droits acquis en réemploi en vertu de ces articles.

2.4. Des droits exonérés d’impôt sur la fortune

Les sociétés résidentes luxembourgeoises sont assujetties à un impôt annuel sur leur fortune prélevé au taux de 0,5%. La base taxable est équivalente à l’actif net réévalué.

Une exonération d’impôt est prévue, liée à la constitution d’une réserve spéciale égale au quintuple du montant de l’impôt[7].

L’article 3.1. de la loi du 19 décembre 2008 est venu préciser que les droits intellectuels visés à l’article 50bis L.I.R. ne font pas partie de la fortune d’exploitation et, partant, sont exonérés de l’impôt sur la fortune, lorsqu’au cours de l’exercice d’exploitation précédant la date de fixation de la valeur du capital d’exploitation, les conditions d’exonération exigées par la loi de l’impôt sur le revenu sont réunies.

De fait, un nouveau paragraphe 60bis a été ajouté au texte de la loi modifiée du 16 octobre 1934 sur l’évaluation des biens et valeurs, dont la teneur est la suivante : « sont exonérés les droits d’auteur sur des logiciels informatiques, les brevets, les demandes de brevets, les marques de fabrique ou de commerce, les noms de domaine, les dessins et les modèles lorsqu’au cours de l’exercice d’exploitation qui précède la date-clé de fixation, les conditions fixées par l’article 50bis, alinéas 4 et 5 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu sont remplies ».

2.5. Conditions et précisions

Les alinéas 4 à 6 de l’article 50bis L.I.R. soumettent les dispositions d’exonération susmentionnées à certaines conditions.

2.5.1. Le droit de propriété intellectuelle doit avoir été constitué ou acquis après le 31 décembre 2007

En ce qui concerne les acquisitions, la détermination de la date d’obtention du pouvoir de disposer du droit de propriété intellectuelle devrait, en principe, être aisée.

La détermination de la date de constitution d’un droit de propriété intellectuelle éligible varie quant à elle en fonction de la nature dudit droit.

Ainsi, la date de constitution d’un droit d’auteur sur un logiciel informatique sera la date où tous les travaux nécessaires à son élaboration sont achevés, de sorte qu’il se trouve prêt à être commercialisé.

La date du dépôt d’une demande de brevet sera quant à elle la date de constitution du brevet.

De la même manière, c’est la date du dépôt de la demande d’enregistrement d’une marque de fabrique ou de commerce, d’un dessin ou d’un modèle, qui sera à considérer comme date de constitution du droit de propriété.

Quant aux noms de domaine, la date de constitution sera la date du dépôt de la demande d’enregistrement auprès de l’office d’enregistrement qui gère les noms de domaine.

2.5.2. Les dépenses, amortissements et déductions en rapport avec le droit de propriété intellectuelle doivent être inscrits à l’actif du bilan

Il est prévu que les dépenses, amortissements et déductions pour dépréciation en rapport avec le droit soient portés à l’actif du bilan du contribuable et intégrés dans le résultat au titre du premier exercice pour lequel l’application des dispositions est demandée, pour autant que pour un exercice donné ces frais aient dépassé les revenus en rapport avec ce même droit (voir exemple 2).

Les dépenses qui sont portées à l’actif du bilan du contribuable comprennent notamment le prix d’acquisition ou de revient des matières ayant servi à la constitution du droit de propriété intellectuelle, les charges salariales engagées pour le développement du droit, la quote-part afférente des frais généraux et, le cas échéant, les intérêts débiteurs sur les emprunts contractés pour financer la constitution du droit.

2.5.3. Le droit de propriété intellectuelle ne doit pas avoir été acquis d’une personne qui a la qualité de société associée

Aux termes de l’alinéa 5 de l’article 50bis L.I.R. apparaît également la nécessité que le droit intellectuel concerné n’ait pas été acquis d’une personne qui a la qualité de société associée.

Est considérée comme société associée, littéralement, une société qui :

– détient une participation directe d’au moins 10% dans le capital de la société bénéficiaire du revenu ou,

– est détenue directement à raison d’au moins 10% par la société bénéficiaire du revenu, ou,

– est détenue directement à raison d’au moins 10% par une troisième société qui détient une participation directe d’au moins 10% dans le capital de la société bénéficiaire du revenu.

Ces hypothèses peuvent être schématisées de la façon suivante :

Mère

> 10 %

Fille

> 10 %

Soeur

A noter que l’application de l’exonération n’est pas exclue si les revenus sont payés par une société associée, sous condition bien entendu que le contribuable ait développé lui-même le droit de propriété intellectuelle, source de revenu, ou qu’il l’ait acquis d’une société qui n’est pas considérée comme « société associée ».

2.5.4. Certaines méthodes d’évaluation du droit intellectuel doivent être respectées

Le dernier alinéa de l’article 50bis L.I.R. précise que le contribuable peut recourir à toute méthode d’évaluation généralement utilisée pour l’évaluation des droits intellectuels.

Aux fins d’application de l’alinéa 3 dudit article 50bis, dans le cadre d’une opération de cession, la valeur estimée de réalisation du droit cédé doit être établie conformément à l’article 27, alinéa 2, L.I.R.

Celui-ci dispose qu’est considérée comme « valeur estimée de réalisation le prix qui s’obtiendrait lors d’une aliénation normale et librement consentie du bien envisagé, compte tenu de toutes les circonstances et conditions se répercutant sur le prix, à l’exception toutefois des circonstances et conditions anormales ou personnelles ».

Néanmoins, afin d’éviter qu’une évaluation formelle d’un droit intellectuel ne puisse se révéler trop longue et/ou coûteuse pour les entreprises qualifiées de « PME » (micro, petites ou moyennes entreprises), l’alinéa 6 de l’article 50bis L.I.R. prévoit une méthode forfaitaire de calcul de cette valeur qui devrait alléger le régime pour ces PME.

Ainsi, ces entreprises peuvent établir la valeur estimée de réalisation à 110% de la somme algébrique des dépenses qui ont diminué la base d’imposition du cédant pour l’exercice de la cession et pour des exercices antérieurs.

Il s’agit donc d’une méthode forfaitaire de calcul qui revient à estimer la valeur du droit intellectuel à 110% de la somme des dépenses encourues pour constituer ledit droit intellectuel à évaluer.

Aux termes du règlement grand-ducal du 16 mars 2005, auquel renvoie le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 portant exécution de l’article 50bis L.I.R., « la catégorie des micro, petites et moyennes entreprises est constituée des entreprises qui occupent moins de 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan annuel n’excède pas 43 millions d’euros ».

LES RESULTANTES IMPLICITES DE LA MISE EN OEUVRE DU REGIME FISCAL EN MATIERE DE PROPRIETE INTELLECTUELLE

1. LES ASPECTS FISCAUX ACCESSOIRES

1.1. La soumission à la taxe sur la valeur ajoutée

Les cessions et concessions de droits d’auteur, de brevets, de droits de licence, de marques de fabrique et de commerce, ainsi que les autres droits similaires, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.

Ainsi, le traitement fiscal en la matière, applicable à la concession de licence ou à la vente de droits intellectuels par une société luxembourgeoise, suit les principes généraux de territorialité.

Succinctement, lorsque le preneur est résident du Luxembourg, la T.V.A. luxembourgeoise est facturée au taux de 15%.

Si, au contraire, le preneur est une personne assujettie à la T.V.A. établie dans un autre pays de la Communauté, aucune T.V.A. luxembourgeoise n’est due. Le preneur est alors redevable de la T.V.A., au taux applicable dans son pays de résidence.

Finalement, si le preneur n’est pas établi dans la Communauté, l’opération est placée en dehors du champ d’application de la T.V.A. européenne.

1.2. La gestion transfrontière des droits intellectuels

1.2.1. Les paiements de redevances

La directive 2003/49/CE[8] concernant le régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’Etats membres différents vise à l’élimination de la double imposition des paiements transfrontaliers d’intérêts et de redevances dans l’Union Européenne.

Cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par une loi du 9 juillet 2004[9] qui, dans un souci de développement de technologies nouvelles au Luxembourg, s’étend au-delà du champ d’application de la directive et supprime, d’une manière générale, l’imposition à la source des paiements de redevances effectués en faveur des contribuables non-résidents.

1.2.2. Les règlementations anti-abus

1.2.2.1. Les prix de transfert

Bien que le Luxembourg n’ait pas mis en place de réglementation spécifique en matière de détermination et de documentation des prix de transfert pratiqués entre les sociétés d’un groupe, le principe de pleine concurrence est bien ancré dans la législation luxembourgeoise.

En effet, en tant que membre de l’OCDE, le Luxembourg adhère aux principes directeurs de l’OCDE en matière de prix de transfert, même si ceux-ci ne sont pas légalement contraignants.

Ainsi, les sociétés luxembourgeoises qui transfèrent des biens et des services à des sociétés liées doivent, d’une manière générale, se conformer au principe de pleine concurrence. Il en va de même en cas de transactions impliquant des droits de propriété intellectuelle.

1.2.2.2. La réglementation CFC (Controlled Foreign Companies)

Il est entendu que, lors de la mise en place d’une structure internationale de gestion de droits intellectuels, les règlementations nationales relatives aux sociétés étrangères contrôlées doivent être prises en considération. Elles permettent au pays de résidence de l’actionnaire d’imposer les revenus générés par une société étrangère contrôlée par l’actionnaire.

Les règles CFC n’ont cependant pas pour vocation d’entraver la libre circulation des capitaux ; elles s’inscrivent dans un contexte de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales en écartant les opérations abusives. Il en est de même pour les autres dispositifs anti-abus.

Dans ce contexte, la société qui entend se prévaloir de l’application de l’article 50bis L.I.R. devra être attentive à l’existence des bases économiques et de la substance nécessaires à l’exercice effectif de son activité.

2. LES RETOMBEES SOUHAITABLES ET COMPLEMENTAIRES

Le Luxembourg offre désormais un dispositif fiscal globalement très favorable, qui peut également être perçu comme une incitation au commerce électronique, ce d’autant plus que le gouvernement luxembourgeois a élargi, en 2008, l’application dudit régime aux noms de domaine.

Le Ministre luxembourgeois des communications n’a d’ailleurs pas caché l’ambition du Luxembourg de s’établir comme un « centre d’excellence du commerce électronique ».

Propriété intellectuelle et commerce électronique sont liés. En effet, plus que tout autre système commercial, le e-commerce consiste très souvent en la vente de produits et services protégés par la propriété intellectuelle et par les licences qui en résultent. De la même manière, les systèmes (logiciels, dessins et modèles, etc.) grâce auxquels le commerce électronique existe relèvent de la propriété intellectuelle et sont généralement protégés par les droits y afférents.

Un lien entre le e-commerce et la propriété intellectuelle est également tissé par le fait que la création d’un produit peut faire intervenir une diversité importante de technologies, amenant les sociétés à se partager les techniques dans le cadre d’accords de licence.

CONCLUSION

Le traitement fiscal de faveur des revenus provenant de droits de propriété intellectuelle s’inscrit dans la Stratégie de Lisbonne, qui veut faire de l’Union Européenne une « économie de connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ».

Il accompagne un programme d’aide à la recherche et au développement lancé par le gouvernement luxembourgeois et concrétisé par la loi du 5 juin 2009.

Il est donc appelé à remplir un rôle d’incitant au progrès technique et à l’innovation, tout en présentant un intérêt non négligeable dans la planification fiscale internationale de la gestion de la propriété intellectuelle.

Sabrina FUNK

Guy SCHOSSELER

Département fiscal
S.F.C. REVISION, Luxembourg



[1] Loi publiée au Mémorial A N°234 du 27 décembre 2007.

[2] Loi publiée au Mémorial A N°198 du 23 décembre 2008.

[3] Les noms de domaine sont entrés dans le champ d’application de l’exonération par la loi du 19 décembre 2008.

[4] Circulaire du directeur des contributions L.I.R. n°50bis/1 du 5 mars 2009 : « Exonération partielle des revenus produits par certains droits de propriété intellectuelle ».

[5] Règlement CE n°40/94 du Conseil du 20 décembre 1993.

[6] Règlement CE n°6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001.

[7] §8a de la loi relative à l’impôt sur la fortune.

[8] Directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’États membres différents, publiée au Journal officiel n° L 157 du 26 juin 2003.

[9] Loi du 9 juillet 2004 portant modification de certaines dispositions de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu et de la loi modifiée du 16 octobre 1934 sur l’évaluation des biens et valeurs.

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