L’EXIT TAX A L’EPREUVE DE LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES


Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 136 (Année 2004)


Note de l’éditeur : Un amendement sénatorial a demandé l’intégration de l’article 9 quinquies nouveau dans le projet de loi de finances pour 2005.
Cet article abroge à compter du 1er janvier 2005, les dispositions qui posent le principe de l’imposition en cas de transfert de domicile hors de France :

– des plus values latentes afférentes à des participations supérieures à 25 % (art 167 bis du CGI)

– et des plus values latentes de cession ou d’écahnge en report d’imposiiton (art 167 1bis du CGI)

Cette mesure fait suite à l’arrêt de la CJCE commenté ci-dessous qui a déclaré contraire au droit communautaire, le système prévu par l’article 167 bis du CGI.
Le Conseil d’Etat a d’ailleurs annulé pour excés de pouvoir le décret d’application de ce texte.

L’article 24 de la loi de finances pour 1999 (1) a institué l’imposition immédiate des plus-values de cessions ou d’échanges de titres en report d’imposition, ainsi que, sous certaines conditions, l’imposition des plus-values latentes constatées sur des participations substantielles (participations supérieures à 25%), lorsque, à compter du 9 septembre 1998, le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France.

Nous n’envisagerons que le cas de l’imposition des plus-values latentes dite Exit Tax. L’idée de base qui préside à l’existence de cette réglementation est relativement simple : le contribuable qui se délocalise à l’étranger doit apurer sa situation fiscale en France. Il s’agit donc d’une « taxe à la sortie » du territoire français.

Toutefois, grâce à un mécanisme de sursis, prévu à l’article 167 bis II, le paiement du montant de l’impôt peut être différé jusqu’au moment où s’opérera la transmission, le rachat, le remboursement ou l’annulation des droits sociaux concernés.

Ces dispositions ont fait l’objet de nombreux débats jusqu’à se trouver déférées devant le Conseil d’Etat en 2001 (2), puis aujourd’hui devant la Cour de Justice des Communautés Européennes (3). On se demande, en effet, si cette mesure de dissuasion instituée pour lutter contre les délocalisations est bien compatible avec le droit communautaire.

 

L’EXIT TAX, UNE MESURE DE DISSUASION
POUR LUTTER CONTRE LES DELOCALISATIONS

 

Le Gouvernement a voulu, dans la loi de finances pour 1999, essayer de trouver un mesure législative dissuasive pour les contribuables qui, en se délocalisant, souhaitaient échapper à l’impôt national. Cette initiative gouvernementale a aussitôt trouvé ses limites dans une affaire portée devant le Conseil d’Etat en 2001.

LE PROCESSUS D’IMPOSITION DE L’EXIT TAX

Le champ d’application

Aux termes de l’article 167 bis du Code Général des Impôts, le transfert du domicile fiscal hors de France entraîne l’imposition immédiate des plus-values constatées afférentes à des droits sociaux de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés et ayant leur siège en France ou hors de France, lorsque le contribuable détient, ou a détenu, directement ou indirectement, avec les membres de son groupe familial, plus de 25% des droits dans les bénéfices sociaux de ces sociétés à un moment quelconque de ces cinq dernières années, et sous réserve que le contribuable concerné ait été fiscalement domicilié en France pendant les dix dernières années. En d’autres termes, le contribuable sera réputé avoir cédé ses titres et sera imposé sur ses plus-values de sortie au taux de 26%.

Les personnes assujetties sont les contribuables qui ont été fiscalement domiciliés en France au moins six ans au cours des dix dernières années précédant le transfert du domicile.

Sont concernées par ce dispositif, les plus-values latentes sur droits sociaux de sociétés passibles de plein droit ou sur option de l’impôt sur les sociétés, représentatifs d’une participation substantielle dépassant 25% des droits dans les bénéfices sociaux à un moment quelconque au cours des cinq dernières années. Ces droits sociaux s’entendent non seulement des parts ou actions de sociétés françaises mais également des titres de sociétés étrangères soumises à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés.

Si le contribuable peut déduire des plus-values réalisées les moins-values réalisées l’année de son départ, les moins-values latentes et les plus-values latentes ne peuvent pas, en revanche, être compensées.

Les plus-values sont déclarées à la date du départ hors de France, et l’impôt sur le revenu correspondant est alors mis en recouvrement, en même temps que la cotisation de l’impôt sur le revenu afférent aux revenus acquis par le contribuable au cours de l’année de transfert.

Contrairement à ce qui est la règle en matière de fiscalité directe des particuliers, ce texte a pour effet de rendre imposables des plus-values latentes ou non réalisées. La spécificité de ce dispositif réside dans la taxation du contribuable sur un revenu dont il ne dispose pas.

L’imposition des revenus latents constitue alors, indirectement, une sanction. En effet, selon l’article 12 du Code Général des Impôts, « l’impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ». Le revenu imposable est donc le revenu disponible, et l’Administration entend par revenu disponible le revenu dont la perception ne dépend que de la seule volonté du bénéficiaire.

On peut donc penser que le dispositif de l’article 167 bis du Code Général des Impôts, en taxant des plus-values non encore réalisées et non disponibles pour le contribuable, est contraire au principe selon lequel ne sont imposés que les revenus disponibles.

Un éminent spécialiste (4) a estimé que l’Exit Tax n’est qu’un prolongement d’une disposition qui existait déjà en droit positif et selon laquelle celui qui se délocalise à l’étranger doit déclarer non seulement les revenus qu’il a acquis au cours de l’exercice, mais aussi les créances acquises, à savoir les revenus latents qu’il n’a pas encore encaissés. Il soutient que « l’Exit Tax s’inspire donc, en matière de plus-values, de ce qui existait déjà en matière de revenus (5)» .

Le sursis de paiement

Le contribuable peut demander à bénéficier d’un sursis de paiement correspondant à des plus-values en vertu de l’article 167 bis II du Code Général des Impôts. Mais ce mécanisme est subordonné à certaines conditions. D’une part, le contribuable doit demander expressément à bénéficier du sursis et doit déclarer le montant de la plus-value constatée. D’autre part, le contribuable doit désigner un représentant établi en France et autorisé à recevoir les communications relatives à l’assiette, au recouvrement et au contentieux de l’impôt. Enfin, préalablement à son départ, le contribuable doit constituer, auprès du comptable chargé du recouvrement, des garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor (6).

Cette procédure est alignée sur celle qui s’applique, en vertu de l’article L 277 du Livre des Procédures fiscales, lorsque le contribuable a contesté le bien-fondé des impositions mises à sa charge. Comme dans cette hypothèse, les garanties prennent la forme d’un dépôt en espèces, d’une créance sur le Trésor, d’une caution bancaire de valeurs mobilières, d’une hypothèque ou d’un nantissement de fonds de commerce.

L’expatriation aura donc un coût élevé et, si la caution de banque ne peut être obtenue, le départ de France deviendra impossible, sauf à payer l’impôt.

Le sursis de paiement a pour effet de suspendre la prescription de l’action en recouvrement jusqu’à la date de l’événement entraînant son expiration (transmission, rachat, remboursement ou annulation des titres concernés). Mais, le sursis de paiement ainsi accordé cesse de produire ses effets et l’impôt redevient exigible si les titres sont cédés ou transmis avant l’expiration d’un délai de cinq ans. Toutefois, dans ce cas, le contribuable n’est taxé que sur la plus-value qu’il réalise effectivement et, si les plus-values ont fait l’objet d’une imposition dans le nouveau pays de résidence, celle-ci est retranchée de l’impôt dû en France.

En revanche, tous les contribuables, qu’ils aient ou non opté pour le sursis de paiement, bénéficient, dans les mêmes conditions, d’un dégrèvement total prononcé d’office, si le contribuable est resté cinq ans à l’étranger sans céder ses titres ou si, avant l’expiration de ce délai de cinq ans, le contribuable a transféré de nouveau son domicile en France.

Le coût de constitution des garanties, quand le contribuable a opté pour le sursis de paiement, est remboursé, conformément au principe posé par l’article L 208 du Livre des Procédures fiscales.

Une des personnalités de l’Administration fiscale (7) a estimé que le caractère pénalisant du dispositif est justement relativisé par le fait que le contribuable peut demander un sursis de paiement et, qu’au bout de cinq ans ou en cas de retour en France, le contribuable peut bénéficier d’un dégrèvement d’office (8). Il justifie encore le caractère pénalisant en soulignant qu’il s’agit d’un dispositif anti-abus qui vise essentiellement les participations importantes dans toutes sortes de sociétés, et n’a pas pour vocation à s’appliquer à l’immense majorité des porteurs de titres qui ont des participations beaucoup plus faibles. Il estime que « 13000 personnes sont véritablement concernées ». Mais est-ce une raison suffisante pour permettre qu’un dispositif soit pénalisant ? Le fait qu’une taxation similaire existe dans plusieurs pays de l’Union européenne, comme l’Allemagne, le Royaume Uni ou les Pays-Bas, et que certains des partenaires économiques de la France appliquent l’Exit Tax, non pas seulement aux plus-values mais à tout le patrimoine, ne pourrait pas, non plus, légitimer un tel dispositif.

Si on combine les dispositions relatives à l’imposition avec celles qui prévoient un sursis de paiement, le dispositif de l’article 167 bis constitue une taxation de certaines plus-values mobilières réalisées, dans les cinq années suivant son départ de France, par un contribuable expatrié.

L’originalité de ce dispositif a été contestée pour ses risques dévastateurs. En effet, seront visés essentiellement les jeunes créateurs d’entreprises qui seront tentés de s’exiler vers le Royaume Uni pour éviter la taxation des plus-values. En pratique, un jeune ingénieur détenant 25% des actions d’une PME innovante et partant à l’étranger pour des raisons professionnelles peut, paradoxalement, être conduit à acquitter un impôt sur des plus-values virtuelles, non encore encaissées. Est-ce bien raisonnable ?


REMIS EN CAUSE DEVANT LE CONSEIL D’ETAT

L’affaire de Lasteyrie de Saillant devant le Conseil d’Etat

Le dispositif précédemment exposé a suscité de vives réactions si bien qu’une question s’est posée au Conseil d’Etat dans l’affaire Lasteyrie de Saillant (9). Le requérant s’était établi en Belgique le 12 décembre 1998 pour y exercer ses activités professionnelles. Disposant de participations substantielles dans différentes sociétés françaises, il était donc susceptible de se voir appliquer l’imposition prévue à l’article 167 bis du Code Général des Impôts.

Estimant que cette obligation était contraire à son droit de s’établir dans un autre Etat de la Communauté, le requérant a formé devant le Conseil d’Etat un recours en annulation du décret n° 99-590 du 6 juillet 1999 pris pour l’application des dispositions légales précitées.

En premier lieu, le Conseil d’Etat a statué sur le principe de la liberté d’aller et de venir en considérant que cette liberté n’était pas ici en cause dès lors que le fait générateur de la taxation prévue à l’article 167 bis n’était pas la sortie du territoire, mais le transfert du domicile fiscal.

En second lieu, le Conseil d’Etat a examiné le moyen selon lequel ce dispositif était contraire à la liberté d’établissement dans la mesure où une législation nationale peut être contraire à l’article 52 du Traité CEE, devenu l’article 43 CE, si elle a pour effet d’entraver l’exercice de la liberté d’établissement par les ressortissants de l’Etat membre concerné, même de façon indirecte.

Le Conseil d’Etat, eu égard aux incertitudes, au niveau communautaire, que suscite la question posée, a décidé qu’il serait « sursis à statuer sur la requête de M. de Lasteyrie du Saillant jusqu’à ce que la Cour de Justice des Communautés européennes se soit prononcée sur la question préjudicielle énoncée dans les motifs de la présente décision (10)» .

Les raisons d’une question préjudicielle

La Cour de Justice des Communautés Européennes a donc été saisie d’une demande de décision à titre préjudiciel par décision du Conseil d’Etat français, Section du contentieux, rendue le 14 décembre 2001, dans l’affaire Hugues de Lasteyrie du Saillant contre Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, et qui est parvenue au greffe de la Cour le 14 janvier 2002.

Le Conseil d’Etat demande à la Cour de Justice de statuer sur la question de savoir si le principe de la liberté d’établissement posé par l’article 52 du traité de la Communauté européenne (devenu article 43 CE) s’oppose à ce qu’un Etat membre institue, à des fins de prévention d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values en cas de transfert du domicile fiscal, tel que celui résultant de l’article 167 bis du Code Général des Impôts dans sa rédaction en vigueur.

Le Commissaire du Gouvernement, dans ses conclusions rendues dans cette affaire (11), est « à peu près convaincu que les dispositions de l’article 167 bis sont incompatibles avec la liberté d’établissement, telle qu’elle est définie dans la jurisprudence actuelle de la Cour de justice ». Il ne veut pourtant pas conclure à l’annulation du décret d’application de cet article et préfère soumettre cette question « centrale » à la Cour de Justice pour différentes raisons.

La première raison est la nouveauté de la question. En effet, la Cour de Justice n’a jamais eu à connaître d’un mécanisme d’imposition spécial des contribuables transférant leur domicile à l’étranger, et n’a pas non plus eu à traiter d’un cas similaire. Seule une décision de la Cour (12) traite d’un cas de restriction à l’exercice par des personnes physiques de leur liberté d’établissement. Mais la Cour y déclare contraire au droit communautaire un cas de double cotisation à raison des mêmes revenus.

Or, l’article 167 bis du Code général des impôts ne crée aucune double taxation : dans l’hypothèse où la plus-value est taxée à l’étranger, l’impôt acquitté dans l’autre Etat est imputé sur l’impôt français. L’hypothèse qui s’est présentée à la Cour était donc nouvelle.

La seconde raison est l’existence de dispositifs analogues dans d’autres Etats. L’Administration fiscale soutient que le même dispositif se retrouve dans la législation de plusieurs Etats membres (13). Le fait que la Commission n’ait jamais saisi la Cour de Justice d’une action en manquement dirigé contre des Etats ayant institué un tel dispositif peut sous-entendre que la Commission estimait ces dispositifs compatibles avec le droit communautaire. Ainsi, il est apparu plus prudent au commissaire du gouvernement de laisser la décision à la Cour de Justice plutôt que de décider par lui-même.

Enfin, la troisième raison est la question du dilemme entre l’évasion fiscale et l’harmonisation fiscale. Le commissaire du gouvernement se pose la question de savoir si « dans une Communauté où les personnes et les capitaux circulent librement, un Etat membre peut maintenir une loi fiscale comportant une taxation significative des plus-values mobilières lorsque les Etats voisins les exonèrent ». Se trouve alors posé le problème de la limitation de la souveraineté fiscale si on en arrive trop hâtivement à la constatation qu’un Etat membre de la Communauté ne peut empêcher ses ressortissants de profiter de la fiscalité plus avantageuse que leur offre un autre Etat.

La question posée dépassant le cadre national, le Conseil d’Etat ne pouvait faire autrement que de soumettre le problème à la Cour de Justice.

Cette disposition française, ayant pour objectif de dissuader les contribuables à s’expatrier, paraît peu compatible avec le droit communautaire.

 

L’EXIT TAX, UNE MESURE INCOMPATIBLE
AVEC LE DROIT COMMUNAUTAIRE

 

Lors des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de cette loi, plusieurs députés n’ont pas manqué d’émettre des doutes sur la compatibilité de ces dispositifs avec le principe communautaire de libre circulation des personnes, et plus particulièrement avec la liberté d’établissement. Ils ont d’ailleurs saisi le Conseil constitutionnel qui a rejeté le recours sur ce point par le rappel de sa position selon laquelle il ne lui appartient pas, lorsqu’il est « saisi en application de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la conformité d’une loi aux dispositions d’un texte de droit international (14)» . Le texte a donc été adopté laissant en suspens la question de sa compatibilité avec le droit communautaire.


LA LIBERTE D’ALLER ET DE VENIR

Alors que le Commissaire du Gouvernement dans ses conclusions, et le Conseil d’Etat dans sa décision du 14 décembre 2001, ont écarté le moyen subsidiaire du requérant selon lequel ce dispositif était contraire à la liberté d’aller et venir d’une personne physique, on peut se permettre de douter de ce point de vue.

En effet, le Commissaire du Gouvernement souligne que « la liberté d’aller et venir n’est selon nous, pas en cause lorsque le fait générateur de la taxe est constitué, non par le déplacement physique de la personne, mais par le déplacement de son domicile fiscal ». Il ajoute, même, de manière un peu excessive, que « sous l’empire de l’article 167 bis, chacun est libre d’aller à Bruxelles aussi souvent qu’il le souhaite, à condition de payer ses impôts en France (15)» . Le Conseil d’Etat en a d’ailleurs conclu que « ces dispositions n’ont ni pour objet, ni pour effet, de soumettre à de quelconques restrictions ou conditions l’exercice effectif, par les personnes qu’elles visent, de la liberté d’aller et venir (16)» .

On peut regretter que le Conseil d’Etat n’ait pas décidé de surseoir à statuer pour cette question subsidiaire car l’atteinte à la liberté d’aller et de venir parait constituée ou, du moins, aurait mérité une position claire de la Cour de Justice qui ne s’est jamais vraiment prononcée sur ce point en droit fiscal. Cette question méritait un examen approfondi pour les raisons suivantes.

Tout d’abord, on ne peut nier que les législateurs ne se sont jamais cachés que ces dispositions avaient pour but « de prévenir la délocalisation à des fins purement fiscales de certains contribuables fortunés qui partent s’installer, le temps de vendre leur entreprise, dans un pays étranger ayant conclu avec la France des conventions internationales ne lui reconnaissant pas le droit d’imposer les plus-values sur ces participations substantielles (17)» et qu’il s’agissait « d’un impôt forfaitaire destiné à dissuader les délocalisations des grandes fortunes (18)» . Il semble alors évident que le législateur, dans l’esprit de la loi, voulait restreindre la liberté d’aller et venir de certains contribuables.

Ensuite, le Conseil constitutionnel a toujours consacré ce principe comme principe à valeur constitutionnelle (19) et la Cour de cassation est allée même jusqu’à juger que « la liberté fondamentale d’aller et de venir n’est pas limitée au territoire national mais comporte également le droit de le quitter (20)» .

Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que les articles 8 et 8-A du Traité CE instituent « une citoyenneté de l’Union » et prévoient que « tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prévues pour son application ». La Cour a d’ailleurs considéré que ce principe devait bénéficier à tous les citoyens de l’Union et que « le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des Etats membres, permettant à ceux parmi ces derniers qui se trouvent dans la même situation d’obtenir, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique (21)» .

Aux vues de ces considérations, on peut avoir un certain regret que le Conseil d’Etat n’ait pas laissé la Cour de Justice maîtresse de cette décision comme il a pu le faire pour la question de la compatibilité avec la liberté d’établissement.


LA LIBERTE D’ETABLISSEMENT

La Cour de Justice des Communautés européennes vient de prendre position sur la compatibilité du dispositif français avec le droit communautaire. Elle a donc décidé que : « Le principe de liberté d’établissement posé par l’article 52 du Traité CE, devenu article 43 CE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un Etat membre institue, à des fins de prévention d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values non encore réalisées, tel que celui prévu à l’article 167 bis du Code Général des Impôts français, en cas de transfert du domicile fiscal d’un contribuable hors de cet Etat (22)» .

Elle semble respecter la position de l’Avocat général, M. Jean Mischo, qui avait conclu et proposé la réponse suivante : « L’article 52 du Traité, devenu article 43 CE, s’oppose à une législation nationale telle que celle en cause au principal qui prévoit, à la charge de tous les contribuables qui transfèrent leur domicile fiscal dans un autre Etat membre, un mécanisme d’imposition immédiat des plus-values non encore réalisées (23)» .

L’un des objectifs du Traité de 1957 était de réaliser l’abolition, entre les Etats membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, objectif réaffirmé dans l’article 7-A du Traité CE. Cet objectif trouve sa concrétisation dans l’article 52 du Traité CE, devenu article 43 du Traité CE, qui dispose que « les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre dans le territoire d’un autre Etat membre sont interdites » et que « la liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises ». Pour la Cour, cet article constitue, depuis fort longtemps, l’une des dispositions fondamentales de la Communauté directement applicables dans chacun des Etats membres, et elle ne manque pas de le rappeler dans le préambule de cette décision (24).

Comme le rappelle la Cour dans un considérant de principe souvent repris, « si la fiscalité directe relève de la compétence des Etats membres, il n’en reste pas moins que ces derniers doivent l’exercer dans le respect du droit communautaire (25)» . Faisant application de ces principes, la Cour a affirmé avec beaucoup de clarté que ces dispositions « s’opposent également à ce que l’Etat d’origine entrave l’établissement dans un autre Etat membre d’un de ses ressortissants (26)» même si cette restriction est de faible portée ou d’importance mineure.

La Cour, tout comme avait pu le faire l’Avocat général, fait une application parfaite des conditions d’atteinte au principe de liberté d’établissement en caractérisant, d’abord, une restriction ou une entrave à cette liberté et, ensuite, en recherchant les éventuelles justifications à cette restriction.


LA CARACTERISATION D’UNE ENTRAVE FISCALE

Il est intéressant de noter que l’application de l’article 52 du Traité, devenu article 43 CE, aux situations dans lesquelles l’Etat membre cherche à dissuader un de ses ressortissants de faire usage de la liberté d’établissement a été récemment illustrée par le célèbre arrêt « Imperia Chemical Industries » (ICI) du 16 juillet 1998 (28).

Dans cet arrêt, la Cour de Justice a déclaré contraire à l’article 52 du traité une législation britannique qui n’accordait un dégrèvement fiscal déterminé aux sociétés faisant partie d’un consortium détenant lui-même une société holding que lorsque les filiales de ces dernières avaient, en majeure partie, leur siège sur le territoire britannique. Cette législation limite le droit pour les sociétés britanniques de créer des filiales dans d’autres Etats membres ou, du moins, les décourage de le faire.

La Cour, ici, considère une fois de plus que cette disposition, tout en ne lui interdisant pas d’exercer son droit d’établissement, restreint l’exercice de ce droit en ayant un effet dissuasif à l’égard des contribuables qui souhaitent s’installer dans un autre Etat membre .

Si le Gouvernement français n’avait pas contesté l’existence d’une entrave, il en était autrement des Gouvernements danois et néerlandais qui estimaient que « les règles françaises n’ont pas pour effet, direct ou indirect, d’empêcher les ressortissants français de s’établir dans un autre Etat membre, et qu’il n’existe aucun indice permettant d’affirmer que l’imposition limite la possibilité pour lesdits ressortissants de s’établir dans un autre Etat membre (29)» et qu’ « il n’y a pas nécessairement perception de l’impôt au moment du transfert du domicile (30)» grâce au mécanisme du sursis de paiement ou du dégrèvement d’office.

L’Avocat général a répondu à cet argument, en invoquant une jurisprudence constante (31), que « la liberté d’établissement peut être entravée par une mesure nationale qui ne comporterait pas d’interdiction mais serait simplement de nature à dissuader un opérateur de faire usage de cette liberté (32)» .

En effet, force est de constater que lesdites dispositions font subir à un contribuable, désireux de quitter le territoire français, de considérables désavantages par rapport à une personne qui continuerait à résider en France. Le fait générateur de l’impôt est alors déterminé par le transfert du domicile fiscal hors de France et non par la cession des titres concernés. Il y a donc bien différence de traitement discriminatoire dans la mesure où le contribuable qui quitte la France est pénalisé par rapport à celui qui y reste.

On pourrait presque considérer qu’une telle obligation constitue à elle seule une entrave à la liberté d’établissement. L’Avocat général va jusqu’à parler de « différence de traitement claire (33)» et la Commission, quant à elle, parle d’une restriction typique à la sortie du territoire.

Il est clair que cette restriction ne peut être affectée par les modalités dont est assortie l’imposition. Le sursis de paiement n’est pas automatique et, soumis à de nombreuses conditions, est très contraignant pour le contribuable qui se délocalise.

Les conséquences financières de ces garanties sont très coûteuses, et même si les titres à l’origine de l’imposition réclamée peuvent permettre d’échapper à des frais de garantie trop importants, cette possibilité n’est pas ouverte à tous les contribuables selon la nature des titres. L’Avocat général a partagé le point de vue de la Commission selon lequel « un tel traitement différencié est manifestement discriminatoire, tant du point de vue des investisseurs qui sont ainsi encouragés à détenir des titres dans des sociétés cotées à des bourses françaises, que du point de vue desdites sociétés qui deviennent ainsi plus attractives au regard de tels investisseurs (34)» .

« Le fait que, après cinq ans, le contribuable visé par les dispositions en cause soit en droit de bénéficier d’office du dégrèvement de l’impôt, accompagné du remboursement des frais de constitution de garanties, s’il ne s’est pas défait entre-temps des titres ayant donné lieu à imposition ou s’il revient en France avant le délai de cinq ans, ne suffit pas à faire disparaître l’effet restrictif des dispositions concernées (35)» .

Le problème, ici, est qu’une fois de plus le contribuable est dissuadé de s’établir à l’étranger car il ne pourra garder la jouissance de son patrimoine s’il l’affecte en garantie. Les titres sont alors indisponibles pour d’autres usages que le propriétaire pourrait vouloir en faire, comme par exemple les utiliser à titre de sûretés.

Il apparaît très nettement que ces modalités ne sont pas des facilités qui pourraient atténuer le caractère pénalisant du dispositif et qu’elles peuvent même être considérées, à certains égards, comme sanctionnant un peu plus les contribuables qui décident de quitter le territoire français. Sur ce point, la Cour a une position plus dure que celle de l’Avocat général en considérant que « ces garanties comportent par elles-mêmes un effet restrictif, dans la mesure où elles privent le contribuable de la jouissance du patrimoine donné en garantie (36)» .

Sur l’existence de restrictions à la liberté d’établissement, l’entrave fiscale et son interdiction n’ont fait aucun doute pour l’Avocat général qui avait conclu, sur ce point, que « les dispositions visées par l’ordonnance de renvoi soumettent les contribuables détenteurs de participations substantielles souhaitant transférer leur domicile fiscal hors de France à des différences de traitement de nature à restreindre la liberté d’établissement que leur reconnaît le Traité. Il y a donc lieu d’examiner si lesdites dispositions sont susceptibles d’une justification qui les ferait échapper à l’interdiction découlant de l’article 43 CE (37)» .

La Cour, ayant suivi sa position, est très claire : « la mesure en cause au principal est susceptible d’entraver la liberté d’établissement (38)» . Elle poursuit en admettant qu’une mesure ne peut entraver la liberté d’établissement que « si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, (…) et que son application soit propre à garantir la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci (39)» . La Cour semble attacher une importance particulière à la proportionnalité de la mesure caractérisant une entrave.

Une entrave fiscale non justifiable

L’Avocat général et la Cour écartent d’office la justification prévue par l’article 56 du Traité CE, devenu article 46 CE, selon lequel les Etats membres sont autorisés à appliquer aux ressortissants étrangers des dispositions spéciales justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique. En revanche, en ce qui concerne la possibilité de justifier la restriction à la liberté d’établissement par une raison impérieuse d’intérêt général, quatre arguments différents ont été exposés à la Cour.

En premier lieu, certains pensent que l’objectif de la règle nationale est d’empêcher l’érosion nationale de la base d’imposition de l’Etat membre afin d’éviter que la personne physique retire un avantage trop important des différences entre les régimes fiscaux (40) .

L’Avocat général a considéré que cet objectif, étant de nature purement économique, ne peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général (41). Il se réfère alors à une jurisprudence constante de la Cour selon laquelle « une réduction des recettes fiscales ne peut être considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général pouvant être invoquée pour justifier d’une inégalité de traitement en principe incompatible avec l’article 43 CE (42)» .

En effet, il est inopportun qu’une règle de « protection économique » puisse légitimer une restriction à une liberté fondamentale qui est celle de la liberté d’établissement. La Cour estime que le simple manque à gagner ne saurait en soi justifier une telle restriction (43).

On peut penser que la souveraineté fiscale des Etats membres trouve alors ses limites dans cette liberté, peu importent les conséquences d’une concurrence fiscale dommageable entre Etats membres.

En second lieu, sont invoqués les objectifs de lutte contre l’évasion fiscale et l’efficacité des contrôles fiscaux.

Le Gouvernement français a soutenu que le dispositif litigieux vise à empêcher un abus de droit par l’utilisation frauduleuse par un contribuable des libertés découlant pour lui du droit communautaire. Il rappelle qu’en vertu du principe de la souveraineté fiscale, chaque Etat membre est libre de prendre les mesures nécessaires afin d’éviter que l’imposition des plus-values soit privée de sa substance par des comportements abusifs. Il a souligné que l’application de l’article 167 bis du Code Général des Impôts est proportionnée au but poursuivi, car les sujétions imposées au contribuable sont limitées dans le temps (l’imposition établie n’est susceptible d’advenir que dans un délai de cinq ans suivant la date de l’expatriation).

En effet, la jurisprudence ICI a reconnu le caractère d’exigence impérieuse, de nature à justifier une restriction, à la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux (44) et de lutter contre l’évasion fiscale (45). Mais, sur ce deuxième point, seule est susceptible d’être justifiée une législation qui aurait pour objet spécifique d’exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la loi fiscale.

La Cour fait application de la jurisprudence en rappelant que « l’article 167 bis du Code Général des Impôts n’a pas pour objet spécifique d’exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la législation fiscale française, mais vise, de manière générale, toute situation dans laquelle un contribuable (…) transfère, pour quelque raison que ce soit, son domicile hors de France (46)» .

Dans cette affaire, le dispositif litigieux va très au-delà de ces limites jusqu’à créer, comme l’a exposé le requérant, une présomption irréfragable de fraude fiscale dès lors que le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France pour quelque raison que se soit.

Ce dispositif est trop systématique et ne tient pas compte des raisons qui ont pu pousser le contribuable à émigrer à l’étranger. En effet, l’établissement d’un contribuable à l’étranger n’implique pas en soi la fraude fiscale (47), et c’est à l’Administration qu’il devrait revenir de prouver, au cas par cas, qu’il existe un risque d’évasion fiscale. Sans excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de prévention de l’évasion fiscale, l’article 167 bis du Code Général des impôts ne peut présumer de l’intention de contourner la loi fiscale française de tout contribuable qui transfère son domicile hors de France (48).

L’Avocat général s’est rapporté à la conformité au principe de proportionnalité et a proposé une solution : « une mesure nationale ne devrait pas, comme en l’espèce, présumer du caractère frauduleux de l’exercice de la liberté d’établissement découlant du droit communautaire, mais pourrait, en revanche, prévoir la possibilité, pour l’Administration fiscale, de démontrer au cas par cas l’existence effective d’une fraude ou d’une évasion fiscale (49)» .


Outre cette présomption irréfragable de fraude fiscale, la règle nationale est disproportionnée par l’existence d’une différence de traitement entre un contribuable qui reste à l’étranger plus de cinq ans sans vendre ses titres et celui, qui tout en restant à l’étranger pour la même durée, vend ses titres avant l’expiration des cinq ans.

La commission remarque d’ailleurs que, au regard de l’objectif de prévention des délocalisations artificielles, il n’y pas de différence entre une personne vendant ses titres après cinq ans et celle qui les cède après quatre ans. Toutefois, même si une personne cède ses titres peu de temps après le départ de France, ceci n’implique pas forcément une volonté d’échapper à l’impôt mais, peut-être seulement, dans le cas où cette personne quitte la France pour des raisons professionnelles, pour recouvrir des frais considérables que la nouvelle installation professionnelle à l’étranger nécessiterait.

L’Avocat général a considéré qu’ « un critère constitué par la rapidité du retour en France serait, a priori, plus en rapport avec l’objectif d’empêcher le contribuable d’éluder l’impôt par le simple expédient d’un bref séjour dans un autre Etat membre, durant lequel les titres seraient cédés (50)» . La Cour, suivant les propositions de l’Avocat général, estime que des « mesures moins contraignantes ou moins restrictives, ayant trait spécifiquement au risque d’un tel transfert temporaire (51)» pourraient permettre à la France de lutter raisonnablement contre les délocalisations frauduleuses.

La mesure française est donc incontestablement excessive par rapport au but recherché et « il existe des mesures moins restrictives des libertés fondamentales du droit communautaire qui permettraient tant de lutter contre l’évasion fiscale que de préserver l’efficacité des contrôles fiscaux (52)» .

La Cour conclut, sur ce point, qu’il découle de tout ce qui précède que la règle nationale en cause ne saurait être justifiée par la lutte contre l’évasion fiscale ou la nécessité de préserver l’efficacité des contrôles fiscaux. Elle estime que l’article 52 du Traité s’oppose à de telles dispositions pour un but non proportionné de prévention de risque d’évasion fiscale.

En troisième lieu, les exigences de la cohérence du système fiscal français sont mises en cause. Cela signifie que la mesure devient nécessaire lorsque, au transfert à l’étranger du domicile fiscal du contribuable, l’imposition ultérieure ne serait plus garantie.

La Cour décide qu’ « il ne saurait être soutenu que l’article 167 bis du Code Général des Impôts est justifié par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal français (53)» .L’Avocat général avait réfuté cette éventuelle justification car « le transfert dans un autre Etat membre du domicile fiscal du contribuable ne signifie pas nécessairement que le recouvrement de l’impôt est compromis (54)» .

Le contribuable qui a quitté le territoire pour une durée supérieure à cinq ans n’a pas forcement fait l’objet d’une anticipation de l’imposition. Le dispositif est, par lui-même, contraire à l’objectif de cohérence fiscale puisque celui-ci reconnaît comme principe, dès lors que des conventions fiscales de prévention de double imposition existent, l’imposition dans l’Etat de résidence du contribuable. Enfin, dès lors qu’est prévu « un impôt prélevé sur des plus-values latentes et non pas réalisées, la règle litigieuse est une exception à la cohérence du système fiscal en cause et ne saurait être considérée comme nécessaire à celle-ci (55)» .

Enfin, en quatrième lieu, l’objectif de répartition du pouvoir entre l’Etat de départ et celui de destination a été mis en avant par le Gouvernement allemand pour justifier cette entrave. L’idée était d’imposer des plus-values dans l’Etat de départ du fait qu’elles y sont régulièrement nées de l’activité de la société.

Mais les Etats membres, dans l’exercice de leur souveraineté fiscale et leur pouvoir de répartition des impositions, ne peuvent s’affranchir du respect des règles communautaires (56). En l’espèce, la répartition du pouvoir fiscal entre les Etats membres n’est pas en cause et le litige porte « sur la question de savoir si les mesures adoptées sont conformes aux exigences de la liberté d’établissement (57)» .

L’Avocat général a considéré que « la présente affaire concerne des règles nationales qui ne découlent pas nécessairement de la répartition du pouvoir d’imposition entre Etats membres et sont, d’ailleurs, systématiquement défavorables aux contribuables désirant exercer les droits découlant pour eux du droit communautaire (58)» .

« Il découle des considérations exposées ci-dessus que le dispositif litigieux est constitutif d’une restriction incompatible avec l’article 43 CE et n’est pas susceptible d’être justifié par une raison impérieuse d’intérêt général (59)» .

 

CONCLUSION

 

Il est donc permis de penser que le dispositif français en cause va bien au-delà de ce que peut autoriser la jurisprudence constante de la Cour. La Cour accorde une place importante au caractère disproportionné, par rapport à l’objectif recherché, et excessif de la disposition en cause. Elle semble en faire les conditions essentielles à une entrave non justifiée à la liberté d’établissement.

Cette question préjudicielle a permis à de nombreux Etats ayant pris des mesures comparables de faire valoir leurs observations, ce qu’ils n’auraient pas pu faire devant le Conseil d’Etat. L’intérêt de la décision de la Cour ne se limite donc pas seulement au dispositif français et a vocation à être d’application générale pour tous les Etats membres.

En effet, on peut imaginer que, soit les Etats concernés modifieront leur législation d’eux-mêmes, soit ces législations feront l’objet de recours en manquement qui les obligeront, d’une manière ou d’une autre, à changer leur législation. On peut donc penser que cette décision sera sans frontières.

Mais cette décision laisse de nombreuses questions en suspens.

Tout d’abord, quant à son champ d’application territorial, on peut s’interroger sur la possibilité de maintenir cette législation aux personnes qui s’expatrient en dehors de la Communauté. La liberté d’établissement, au niveau communautaire, sera peut-être garantie mais ne s’agit-il pas là d’un simple déplacement du problème ?

Ensuite, quant à son champ d’application matériel, l’imposition des plus-values placées en report d’imposition sera-t-elle maintenue puisque seules sont visées dans cette procédure les plus-values latentes affectant les participations substantielles ?

Enfin, il semble, dans ces conditions, que cette décision ne sera pas sans suite, et que des problèmes subséquents se poseront à l’issu de cette affaire dans la mesure où les relations fiscales internationales sont largement remises en cause, notamment en ce qui concerne la prévention de l’évasion fiscale.

 

 

 


Eve d’ONORIO di-MEO.
Chargé de Cours à la Faculté de droit
d’Aix-en-Provence, Doctorante.
DEA Droit des Affaires.
DESS de Fiscalité personnelle.

(1) L. n°98-1266, 30 décembre 1998, JO du 31 décembre 1998, p. 20050.
(2) Conseil d’Etat, 14 décembre 2001, req. n°211341, M. LASTEYRIE DU SAILLANT, RJF 2/02 n°160.
(3) CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, Hughes de LASTEYRIE DU SAILLANT c/ Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.
(4) M. Jean-Pierre LE GALL, professeur à l’université Paris II et président du CEFEP.
(5) Compte-rendu du colloque organisé par le CEFEP au Sénat le 23 mars 2000, DF n°29, 2000, p.1042.
(6) Instruction du 15 novembre 1999, BOI 5B-20-99, DF 1999, n°49, instr. 12342.
(7) M. Jean-Pierre LIEB, sous directeur de la sous direction B de la Direction de la législation fiscale
(8) Compte-rendu du colloque organisé par le CEFEP au Sénat le 23 mars 2000, DF n°29, 2000, p.1042.
(9) Conseil d’Etat, 14 décembre 2001, précit.
(10) Ibidem .
(11) Conclusions du commissaire du Gouvernement Guillaume GOULARD, sous CE 14 décembre 2001, bulletin des conclusions fiscales 2/02, n°22, p.29.
(12) CJCE, 15 février 2000, Aff 34/98 plén., Commission c/ France, point 49, RJF 3/00 n°436.
(13) Allemagne, Danemark, Pays Bas, Royaume Uni, Suède.
(14) Conseil constitutionnel, 29 décembre 1998, n°98-405 DC, RJF 2/99 n°194.
(15) Conclusions du commissaire du Gouvernement Guillaume GOULARD, sous CE 14 décembre 2001, precit. .
(16) Conseil d’état, 14 décembre 2001, précit. .
(17) M.MIGAUD, Rapp. AN. Sur le projet de loi de finances pour 1999, p.282.
(18) Rapp. AN., Précit., p.305.
(19) Conseil constitutionnel, 12 juillet 1979, n°79-107, rec. cons. const., p.31.
(20) Cass. 1ère civ., 28 novembre 1984, Bull. civ., I, n°432.
(21) CJCE, 20 septembre 2001, aff. C-184/99, Rudy Grzelczyk, point 31.
(22) CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit, point 69..
(23) Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, 13 mars 2003, aff. C-9/02, Hughes de LASTEYRIE DU SAILLANT c/ Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, point 85.
(24) CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 40.
(25) CJCE, 14 février 1995, aff. C-279/93, Schumacher, rec. p. I-225, CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 44.
(26) CJCE, 27 septembre 1988, aff. 81/87, Daily Mail, rec. p. 5483 ; et CJCE, 14 juillet 1994, aff. C-379/92, Peralta, rec. p.3487, CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 42.
(27) CJCE, 16 juillet 1998, ICI, aff. 264/96, RJF 11/98 n°1382.
(28) CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 45.
(29) Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 22.
(30) Ibid., point 23.
(31) CJCE, 13 avril 2000, Baars, aff. C-251/98, rec. p.I-2787.
(32) Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 25.
(33) Ibid., point 33.
(34) Ibid., point 40.
(35) Ibid., point 45.
(36) CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 47.
(37) Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 48.
(38) CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 48.
(39) Ibid., point 49.
(40) Objectif reconnu par la Cour comme raison impérieuse dans CJCE du 28 avril 1998, SAFIR, aff. C-118/96, rec. p.I-1897.
(41) Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 51.
(42) CJCE, 16 juillet 1998, ICI, précit. .
(43) CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 60.
(44) CJCE, 15 mai 1997, Futura participations et Singer, aff. C-250/95, rec. p.I-2471.
(45) CJCE, 16 juillet 1998, ICI, précit. .
(46) CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 50.
(47) CJCE, 16 juillet 1998, ICI, précit. point 26.
(48) CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 52.
(49) Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 60.
(50) Ibid., point 62.
(51) CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 54.
(52) Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 66.
(53) CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 63.
(54) Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 74.
(55) Ibid., point 79.
(56) CJCE, 21 septembre 1999, Saint Gobain ZN, aff. C-307/97, rec. p.I-6161.
(57) CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 68.
(58) Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 83.
(59) Ibid., point 84.

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