LES SOCIETES ETRANGERES PROPRIETAIRES D’IMMEUBLES EN FRANCE PEUVENT-ELLES ECHAPPER A L’IMPOT SUR LES SOCIETES ?


Article publié dans la Revue « Fiscalité Européenne et Droit International des Affaires » N° 127 (Année 2001)


Un jugement du Tribunal Administratif de Nice relance le débat

La France est un pays qui a toujours attiré les investissements immobiliers des non résidents, et très souvent, ces investissements sont faits au travers de sociétés de droit étranger.

Dans la plupart des cas, les immeubles ainsi achetés ont pour seule vocation de servir de résidence secondaire aux actionnaires ou associés. Il est en effet courant, pour nombre d’étrangers, de préférer détenir un patrimoine immobilier au travers de sociétés plutôt qu’en nom propre, ce que l’Administration fiscale française a d’ailleurs bien du mal à admettre, toujours tentée d’y voir un procédé d’évasion fiscale.

Presque toujours, ce bien est acquis à titre de placement patrimonial et n’est nullement destiné à faire l’objet d’une exploitation lucrative par voie de location.

Cependant, l’Administration fiscale française, se retranchant derrière la forme sociale, s’est toujours refusée à accepter cette situation de fait et à en tirer les conséquences fiscales qui en découlent logiquement : Pour cette Administration, un investissement immobilier fait par une société de capitaux doit nécessairement être un investissement lucratif.

Un Jugement du Tribunal Administratif de Nice du 5 avril 2001 a fort pertinemment apporté un éclairage nouveau à l’imposition des sociétés de capitaux étrangers propriétaires d’immeubles en France. Ce n’est pas la première fois que ce Tribunal qui, en raison de son ressort géographique et de la nature des litiges qui lui sont soumis, a acquis une grande expertise en matière de fiscalité internationale, rend une décision novatrice mais solidement fondée en droit et dont la portée pratique est considérable.

La société concernée par ce jugement était une société belge propriétaire d’une villa sur la Côte d’Azur qu’elle mettait, quelques mois par an, à la disposition gratuite de ses associés. Il s’agit d’une situation extrêmement classique, car nombre de sociétés propriétaires d’une villa sur la Côte n’ont pas d’autre objet que de conférer à leurs associés la jouissance gratuite de l’immeuble et ceux-ci n’en profitent que quelques mois dans l’année.

L’APPLICATION AUX SOCIETES ETRANGERES DE LA THEORIE DE L’ACTE ANORMAL DE GESTION

L’attitude de l’Administration des Impôts avait été également très classique. En effet, selon cette Administration, une société commerciale accomplit un acte anormal de gestion en ne percevant aucun loyer à raison d’un immeuble dont elle est propriétaire et elle est donc imposable sur la base des revenus qu’elle aurait dû percevoir dans le cadre d’une gestion commerciale normale.

Le fisc avait donc assujetti la société à l’Impôt sur les Sociétés, en déterminant les recettes par application d’un coefficient de rentabilité de 5 % à la valeur d’acquisition de l’immeuble, sans tenir compte du temps effectif de mise à disposition.

La théorie de l’acte anormal de gestion est certes l’une des armes les plus efficaces dont dispose l’Administration des Impôts et celle-ci ne fait pas faute de la mettre en œuvre, dès que cela lui paraît possible, afin notamment de corriger les sous-évaluations ou les transferts de bénéfices.

Mais en quoi est-il anormal qu’une société mette gratuitement une villa à la disposition de ses associés, alors que précisément, beaucoup de sociétés n’ont été constituées que dans ce but, et qu’ainsi une anomalie, eu égard au but réel de l’investissement, consisterait au contraire à faire payer un loyer ?

LA THESE DE L’ADMINISTRATION : UNE SOCIETE DE CAPITAUX ETRANGERE EST, EN RAISON DE SA FORME, ASSUJETTIE A L’IMPOT SUR LES SOCIETES

Bien entendu, pour que la théorie de l’acte de gestion anormal s’applique, il est nécessaire que la personne morale concernée soit un assujetti au moins potentiel à l’impôt sur les sociétés.

Pour l’Administration, deux postulats justifient la mise en œuvre de cette théorie.

Le premier de ces postulats est qu’une société étrangère, du moins s’il s’agit d’une société de capitaux, est un assujetti potentiel à l’impôt sur les sociétés.

Le deuxième est qu’une société de capitaux a nécessairement une vocation commerciale et que c’est donc pour une telle société un acte anormal que de ne pas accomplir cette vocation en réalisant une activité lucrative.

L’Administration cherche ainsi à donner le plus large champ d’application possible à l’article 206-1 du Code Général des Impôts selon lequel : « Sont passibles de l’impôt sur les sociétés, quelque soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par action, les sociétés à responsabilité limitée n’ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes… les sociétés coopératives et leur union, ainsi que sous réserve des dispositions de l’article 207-1-6° et 6° bis, les établissements publics, les organismes de l’Etat jouissant de l’économie financière, les organismes des départements et des communes et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. »

A la lecture de cet article, il apparaît donc que pour qu’une personne morale soit passible de l’impôt sur les sociétés, il faut :

– soit qu’elle se livre à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif,
– soit qu’elle revête l’une des formes énoncée limitativement par cet article.

En l’espèce, la société ne se livrait à aucune opération lucrative.

L’ASSIMILATION DES SOCIETES DE DROIT ETRANGER A LA CATEGORIE JURIDIQUE FRANCAISE LA PLUS PROCHE

Le redressement se fondait donc uniquement sur la forme de la société concernée, bien que celle-ci était une société de droit belge, alors que l’article 206 du CGI se réfère évidemment à des formes prévues par la loi française.

Qu’à cela ne tienne, selon l’Administration des Impôts : celle-ci s’estime fondée à assimiler les sociétés étrangères à la catégorie juridique française la plus proche. En l’espèce, la société en cause était donc assimilée à une société anonyme française.

Il est vrai que la jurisprudence a quelquefois pratiqué cette assimilation et que des décisions, assez anciennes, du Conseil d’Etat, indiquent qu’une société anonyme de droit étranger devait, en raison de sa forme et quelque soit son objet, être assujettie à l’impôt sur les sociétés sur les revenus tirés de la location de l’immeuble en France, alors même qu’elle ne dispose en France d’aucun établissement stable et qu’elle n’y exerce aucune activité habituelle (Conseil d’Etat, 10 juin 1963, n° 5936, 30 mai 1980, n° 12790, 7 octobre 1990, n° 82784).

L’IMPOT SUR LES SOCIETES SERAIT DU, QUE L’IMMEUBLE FASSE OU NON L’OBJET D’UNE EXPLOITATION

Dès lors que l’on admet ce postulat et cette assimilation, le cercle est bouclé : une société de capitaux étrangère, assimilée à une société de capitaux française, devient donc un assujetti potentiel à l’impôt sur les sociétés. Si elle possède un immeuble en France et qu’elle ne l’exploite pas commercialement, elle commet un acte de gestion anormal et elle peut donc faire l’objet d’une taxation d’office à l’impôt sur les sociétés sur la base du loyer que cette location aurait pu lui rapporter.

La société n’a donc aucun échappatoire, ou bien elle se livre à une exploitation lucrative et elle est assujettie à l’impôt sur les sociétés sur le fondement du second critère prévu par l’article 206-1 ou bien elle ne se livre à aucune exploitation lucrative et cela lui vaut d’être imposée sur des recettes fictives sur le fondement du premier critère prévu par l’article 206-1.

Ainsi, soit la société loue l’immeuble, et dans ce cas, elle est un assujetti de droit commun à l’impôt sur les sociétés., soit, elle ne le loue pas et dans ce cas, elle est taxée sur la valeur locative de celui-ci.

L’IMPOSITION N’EST PAS CONDITIONNEE PAR L’EXISTENCE D’UN ETABLISSEMENT STABLE

Les conventions internationales de double imposition signées par la France ne font pas en général obstacle à cette taxation car elles reprennent une stipulation de la convention modèle OCDE selon laquelle les revenus provenant des biens immobiliers d’une entreprise sont imposés selon les dispositions conventionnelles relatives aux revenus immobiliers et non selon les dispositions conventionnelles relatives aux bénéfices des
entreprises. Ainsi, l’absence d’un établissement stable en France (car un immeuble n’est pas un établissement stable au sens des conventions) n’empêche pas la France d’imposer.

Une seule convention fait aujourd’hui exception à cette règle conventionnelle et ne comporte pas cette clause : la convention entre la France et le Luxembourg, qui permet aux sociétés de capitaux luxembourgeoises propriétaires d’un immeuble en France de ne pas être imposées dans ce pays, que l’immeuble fasse ou non l’objet d’une location .

Compte tenu du fait qu’une location régulière permet de déduire un certain nombre de charges, les fiscalistes conseillaient donc généralement à ces sociétés d’établir un bail en bonne et due forme et de se soumettre à toutes les obligations inhérentes à l’assujettissement à l’Impôt sur les Sociétés, afin d’éviter de se trouver en situation pénalisante de taxation d’office.

LA POSITION DU TRIBUNAL : UNE SOCIETE ETRANGERE N’EST ASSUJETTIE
A L’IMPOT SUR LES SOCIETES QUE SI ELLE SE LIVRE EN FRANCE
A DES OPERATIONS DE CARACTERE LUCRATIF

C’est ce bel édifice bâti par les Services Fiscaux que le jugement du Tribunal Administratif de Nice met à néant en rejetant le postulat d’assimilation sur lequel il repose.

UNE SOCIETE DE DROIT ETRANGER NE PEUT ETRE ASSUJETTIE A L’IMPOT SUR LES SOCIETES EN RAISON DE SA FORME

Le motif déterminant du jugement est en effet le suivant :

« Considérant d’une part qu’en vertu des dispositions précitées de l’article 206 du Code Général des Impôts, sont passibles de l’impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés qui au regard de la législation française sur les sociétés commerciales ont adopté l’un ou l’autre des types de sociétés cités par ledit article ; qu’il suit de là que la société, qui est une société de droit belge et ne relève, par suite, pas de la législation française sur les sociétés commerciales, ne peut être regardée comme passible de l’impôt sur les sociétés à raison de sa forme au sens des dispositions dont il s’agit ».

Dès lors que l’assimilation est écartée, le Tribunal conclut à juste titre que « l’attribution de la jouissance gratuite du bien à un associé ne saurait ni constituer une opération présentant un caractère lucratif, ni procéder d’un acte anormal de gestion, lequel d’ailleurs ne pourrait être utilement évoqué que tout autant que la société serait considérée comme passible à l’impôt sur les sociétés et soumise aux règles de détermination du bénéfice imposable prévu à l’article 209-1 du Code Général des Impôts ».

Ainsi, comme le souligne encore le Tribunal « si l’Administration entend soumettre la société à l’impôt sur les sociétés, il lui appartient de fournir tous éléments propres à établir que la société se livrait à des opérations de caractère lucratif ».

Ainsi, pas d’opération de caractère lucratif, pas d’imposition !

Le Tribunal a également tranché un autre point de droit en jugeant que les stipulations de l’article 3 de la Convention conclue le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique, lesquelles attribuent à la France l’imposition de certains revenus, ne sauraient avoir par elles-mêmes pour effet de faire entrer une société de droit belge dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés en France.

En effet, une convention internationale ne peut donner à un Etat contractant le droit d’imposer que si cette imposition est prévue par la législation interne dudit Etat.

Ce principe de subsidiarité des conventions internationales n’est pas nouveau, et sur ce point, le jugement du Tribunal Administratif entre bien dans le cadre de la jurisprudence traditionnelle.

UNE DECISION DE PRINCIPE APPELEE A FAIRE JURISPRUDENCE

La Cour Administrative d’Appel de Paris avait déjà jugé qu’une société anonyme de droit suisse possédant des immeubles en France entrait dans le champ d’application de l’article 206-1 du CGI mais n’était pas redevable de l’Impôt sur les Sociétés, dès lors que les immeubles qui n’étaient ni donnés en location, ni mis à la disposition de tiers n’étaient pas productifs de revenus. Mais, cet Arrêt présentait un caractère quelque peu ambigu et ne dégageait pas de principe général, contrairement au jugement dont il s’agit.

Le jugement du Tribunal Administratif de Nice va en effet beaucoup plus loin que l’Arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Paris en excluant radicalement les sociétés de droit étranger qui n’ont pas d’activité lucrative du champ d’application de l’impôt sur les sociétés. Il a donc un caractère très novateur mais il s’inscrit parfaitement dans la tendance actuelle de la jurisprudence, tant civile qu’administrative, de rejeter un certain « impérialisme » du droit fiscal français et d’accorder une attention plus grande aussi bien aux textes des conventions internationales qu’aux règles juridiques étrangères, lorsqu’il s’agit de l’imposition d’une personne physique ou morale elle-même étrangère.

Il serait donc souhaitable que cette jurisprudence reçoive une confirmation par la Cour Administrative d’Appel et par le Conseil d’Etat, mais il faudra sans doute pour cela de nouveaux litiges. En effet, il ne semble pas que l’Administration ait fait appel du jugement du Tribunal Administratif de Nice.

Elle s’était d’ailleurs abstenue de faire appel d’un précédent jugement de ce Tribunal qui retenait le même principe mais qui n’avait pas eu alors beaucoup d’écho. On peut souhaiter que ce nouveau jugement en ait davantage, et il paraît bien que la volonté du Tribunal a été de rendre un jugement de principe. En effet, et c’est exceptionnel, le Tribunal a relevé d’office le moyen tenant au non assujettissement de la société à l’impôt sur les sociétés que cette dernière, qui ne demandait qu’un dégrèvement partiel et non une exonération n’avait pas pensé à faire valoir dans ses premières écritures.

Il est rare qu’un Tribunal relève d’office un moyen et cela donne encore plus de signification à la décision qui vient d’être rendue par une Chambre qui, à cette occasion, était présidée en personne par le Président du Tribunal Administratif.

On pouvait se demander si l’absence d’appel de l’Administration du jugement précédent était la conséquence d’une simple distraction. Cette fois-ci, il semble bien se confirmer que l’Administration des Impôts ne tient pas à ce que le débat soit porté à un échelon plus élevé de la hiérarchie des Juridictions administratives, et à voir ainsi confirmée la Jurisprudence du Tribunal Administratif de Nice. Peut être cette Administration a-t-elle été échaudée par la confirmation par la Cour Administrative d’Appel d’un jugement rendu par ce même Tribunal Administratif dans un tout autre domaine (l’imposition des résidents, monégasques ayant la disposition d’une résidence secondaire en France) mais qui apparaissait tout aussi révolutionnaire et contraire à la position bien arrêtée de l’Administration des Impôts .

Ce jugement devrait mettre fin à une situation parfaitement hypocrite, puisque des sociétés dont l’objectif est uniquement patrimonial (et personne n’est dupe de cela et surtout pas le fisc) sont obligées de feindre de poursuivre une logique commerciale pour échapper à une taxation pénalisante.

La perte des recettes fiscales ne serait pas bien grave, car même lorsque ces sociétés déclarent un loyer, elles sont souvent déficitaires ou ne dégagent qu’un résultat très faible.

QUELLE IMPOSITION EN CAS DE VENTE DE L’IMMEUBLE ?

Mais, c’est surtout dans le cas de vente de l’immeuble que cette jurisprudence pourrait avoir des conséquences très importantes, si elle était analysée de manière à lui donner sa plus large portée.

En effet, en cas de vente d’un immeuble en France par une personne morale étrangère soumise à l’impôt sur les sociétés, la plus-value soumise au prélèvement du tiers prévu pour les non résidents est calculée de manière très pénalisante : Le coût d’acquisition de l’immeuble, loin d’être réévalué en fonction de l’indice des prix, est au contraire, du moins en ce qui concerne les constructions « dévalué » de 2 % par an, ce qui veut dire que plus la durée de détention est longue, plus la plus-value taxable est importante et qu’au bout de cinquante ans, la plus-value est égale au produit de la vente ! C’est tout le contraire du mécanisme prévu pour les particuliers qui aboutit à l’exonération au bout d’une certaine durée de détention.

De plus, la plus-value réalisée est également soumise à l’Impôt sur les Sociétés (le prélèvement du tiers étant quand même imputable sur celui-ci pour éviter une double imposition flagrante, mais non remboursable) et, cerise sur le gâteau, la différence entre le produit de la vente et l’impôt sur les sociétés est assujetti à l’impôt de distribution.

Ainsi, il ne reste pas grand chose du produit de la vente d’un immeuble en France par une société étrangère lorsque le fisc s’est servi.

Mais, les sociétés de capitaux étrangères qui n’ont pas d’activité lucrative en France ne sont pas assujetties à l’Impôt sur les Sociétés, peuvent-elles être assujetties au prélèvement sur les plus?values selon un régime qui est réservé par la loi aux personnes morales étrangères passibles de l’lmpôt sur les Sociétés ?

La simple vente de l’immeuble avec plus-value peut-elle être considérée comme une opération lucrative faisant entrer la société dans le champ d’application de l’Impôt sur les Sociétés et donc du régime des plus-values correspondant ? Et qu’en est-il du caractère lucratif de l’opération si la société ne réalise pas une plus-value réelle mais une plus-value fictive résultant des règles fiscales de calcul ?

Il semble possible d’estimer qu’une opération isolée s’inscrivant dans une logique patrimoniale ne suffit pas à caractériser l’existence d’une activité lucrative au sens commercial du terme et donc à entraîner l’assujettissement à l’Impôt sur les Sociétés.

Il serait souhaitable qu’un nouveau jugement s’inscrivant dans le droit fil de l’importante décision que le Tribunal Administratif de Nice vient de rendre apporte bientôt une réponse à ces questions.

 
Cabinets FONTANEAU
Paris-Nice-Bruxelles

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